PLF 2021 : les amendements des conseillers commencent à prendre forme
Après de longues heures de débat général, les conseillers de la Commission des finances ont entamé, vendredi, les discussions détaillées autour du projet de loi de Finances. Les parlementaires de la Chambre haute entendent amender plusieurs dispositions, même certaines déjà révisées par les députés. Il s’agit notamment de la contribution sociale de solidarité, de l’exonération de l’IR des salaires versés aux jeunes lors de leur premier recrutement, de l’application des sanctions pénales dans le cas de fausses factures…
Les conseillers comptent amender, à leur tour, le projet de loi de Finances (PLF) qui devra franchir le cap de la Commission des finances de la Chambre haute, le 2 décembre. Ils entendent compléter ce qui a été fait à la Chambre des représentants. Les premières propositions d’amendement commencent à filtrer. Ainsi, à titre d’exemple, même si certains conseillers se félicitent de l’amendement de la contribution sociale de solidarité par les députés, ils estiment que le seuil des revenus pour les personnes physiques doit encore être élevé au-delà de 20.000 DH/mois. Le groupe de la Confédération démocratique du travail propose même de supprimer cette mesure pour les personnes physiques et d’instaurer une contribution de 5% pour les entreprises dont les bénéfices dépassent 25 MDH.
À cet égard, le ministre de l’Économie, des finances et de la réforme de l’administration, Mohamed Benchaâboun, tient à souligner que cette contribution, qui vise essentiellement le financement du démarrage du chantier de la généralisation de la couverture médicale à partir de janvier 2021, concerne uniquement 1,24% des salariés. Le montant total espéré est de 5 MMDH (90% provenant des entreprises). Il sera donc difficile pour les parlementaires de convaincre l’argentier du royaume de faire des «concessions» supplémentaires sur cette disposition. Certains conseillers (UMT, CDT) plaident plutôt pour l’instauration de l’impôt sur la fortune que Benchaâboun a rejeté au sein de la Chambre basse. En ce qui concerne la disposition portant sur l’exonération de l’impôt sur le revenu (IR), durant 24 mois, des salaires versés aux personnes de moins de 35 ans (30 ans dans la mouture initiale du gouvernement) lors de leur premier recrutement, le groupe parlementaire de la Confédération générale des entreprises du Maroc espère qu’elle sera appliquée aux CDD et non aux CDI, comme exigé par le PLF. Et ce, dit-on, pour encourager les entreprises à actionner cette mesure.
Le groupe de la CGEM entend également présenter des propositions d’amendement portant sur certains articles relatifs aux impôts et aux droits de douane qui ont été revus à la hausse dans le projet de loi de Finances «pour certaines matières premières». Une autre disposition risque de susciter des débats animés au sein de la Commission des finances, lors des discussions détaillées du texte : l’application des sanctions pénales dans le cas de facilitation de l’évasion fiscale ou l’obtention d’une déduction sur l’impôt ou le recouvrement de montants injustement versés, mais aussi pour les factures fictives. Cette mesure que vient d’ajouter le gouvernement au PLF nécessite, selon le groupe de la CGEM, d’être bien détaillée afin d’éviter les conflits et les problèmes voire les injustices. Un avis qui semble être partagé par quelques conseillers d’autres groupes parlementaires. À ce titre, Benchaâboun est catégorique sur cette réforme qui s’impose, selon lui, pour enfin barrer la route aux émetteurs de fausses factures. Les propositions d’amendements devront aussi porter sur la déductibilité fiscale (IR) des frais de scolarité des enfants afin de sauvegarder le pouvoir d’achat des citoyens et booster ainsi la demande. À cela s’ajoute également l’extension des indemnités octroyées par la CNSS (2.000 DH) aux salariés ayant perdu leur emploi en 2021.
Remarques virulentes
Par ailleurs, il y a lieu de signaler qu’à l’instar des députés, les conseillers n’ont pas été tendres avec l’argentier du royaume. L’opposition dégaine et tire : «Le PLF 2021 démontre encore une fois la grande incapacité du gouvernement à gérer la crise sanitaire et ses répercussions économiques et sociales.» Nombreux sont les conseillers qui mettent en doute la capacité du projet de loi de Finances à rétablir la confiance des opérateurs pour réaliser la relance économique tant espérée en vue de faire tourner la machine de production et améliorer la situation sociale. Les remarques acerbes ont notamment concerné le faible impact socio-économique de l’investissement public. Les efforts déployés au cours des dernières années ne suffisent pas à garantir un accès mérité du Maroc au concert des pays émergents.
Le gouvernement est appelé à plancher sur une évaluation minutieuse de ce dossier en portant un intérêt particulier à l’impact de l’investissement sur la croissance et à la dimension de sa répartition régionale en vue de réduire les disparités territoriales. Dans ce cadre, le chef du département des Finances affiche la volonté du gouvernement de faire mieux en 2021, rappelant que le taux d’exécution des investissements avoisine les 80%. Plus précisément, ce chiffre a atteint 78% pour le Budget général de l’État et 72% pour les établissements et entreprises publics en 2019.
Pour l’année 2020, ces taux sont respectivement de 54% et 49% (jusqu’en septembre). Le manque à gagner est ainsi énorme. Benchaâboun souligne que le gouvernement s’attèle à améliorer la gouvernance de gestion des investissements publics à travers nombre de dispositions, dont la mise en œuvre des dispositions de la loi organique de la loi de Finances, la réforme du système des marchés publics et la réforme en vue du secteur public.
Sur le même registre, des interrogations sont posées sur les budgets «faramineux» de certains comptes spéciaux du Trésor alors qu’ils enregistrent de faibles taux d’exécution des investissements. En ces temps de crise, quelques parlementaires estiment qu’il serait judicieux de réaffecter une partie des budgets de ces fonds à d’autres secteurs, notamment ceux à caractère social. À commencer par la santé qui devait bénéficier d’une dotation budgétaire spéciale en vue de permettre à ce département de faire face aux aléas de la crise sanitaire. L’augmentation du budget de ce secteur ne dépasse pas 1 MMDH en 2021 alors que les besoins sont énormes pour pouvoir maîtriser l’évolution de la situation épidémiologique. Les choix gouvernementaux en la matière sont vertement critiqués alors qu’il était temps de prendre le taureau par les cornes et de lancer la réforme du secteur qui est émaillé par plusieurs dysfonctionnements et qui commence à être dépassé par la crise. Mêmes remarques pour le secteur de l’enseignement dont le budget est resté le même par rapport à 2020 (72 MMDH), malgré les exigences de la réforme et les nouveaux besoins imposés par la crise sanitaire. L’augmentation de 4,5 MMDH annoncée par le gouvernement n’est qu’un point de comparaison avec la loi de Finances rectificative qui a connu une baisse du budget de l’enseignement. Les parlementaires estiment qu’il s’avère ainsi très difficile de répondre aux besoins de la conjoncture actuelle, surtout en matière d’enseignement à distance, enseignement qui ne favorise toujours pas l’égalité des chances. Rappelons qu’il aurait fallu débloquer 3 MMDH supplémentaires pour financer l’achat de tablettes pour les élèves et étudiants issus des familles démunies.
Jihane Gattioui / Les Inspirations Éco