Mobilité des fonctionnaires : une nouvelle législation en vue
Un nouveau texte relatif à la mobilité des fonctionnaires sera bientôt introduit dans le circuit législatif. L’objectif est d’accompagner la mise en œuvre de la déconcentration administrative. Le défi est de dépasser les couacs de la précédente mouture qui est mort-née. Des incitations au profit des fonctionnaires sont envisagées.
La mise en œuvre effective de la déconcentration administrative ne peut réussir sans une politique efficace visant la promotion des ressources humaines. Le transfert des compétences de l’administration centrale à l’administration régionale nécessite le redéploiement des fonctionnaires qualifiés au niveau local aux quatre coins du Maroc. Le gouvernement compte recourir à l’emploi régional, mais cette approche, à elle seule, ne sera pas suffisante pour combler les insuffisances en ressources humaines sur le plan local. C’est pourquoi, le redéploiement des fonctionnaires s’impose. Sauf que cette mission ne sera pas de tout repos. Le gouvernement a déjà réglementé la mobilité des fonctionnaires à travers un décret publié en 2015, mais il s’est heurté à d’énormes difficultés au niveau de la mise en œuvre de ce décret qui est toujours au point mort.
Le gouvernement mise, aujourd’hui, sur une réforme globale et intégrée à travers une législation qui doit voir le bout du tunnel en 2021. Le projet de réforme prévoit l’élaboration d’une plateforme électronique relative à la mobilité ainsi que la création de passerelles professionnelles entre les administrations, les collectivités territoriales et les établissements publics. L’enjeu est de prendre en considération les obstacles qui ont empêché l’implémentation de la mobilité au sein de l’administration publique afin de les éviter dans la nouvelle législation. Celle-ci misera, selon nos sources, sur le volet des incitations.
Aujourd’hui, aucune mesure incitative n’existe pour déclencher une dynamique volontaire de mobilité des fonctionnaires au niveau régional. Même l’indemnité pour le travail dans les zones éloignées et difficiles d’accès, qui devait bénéficier il y a plus de 11 ans essentiellement aux fonctionnaires de l’Éducation nationale et de la Santé est toujours en stand-by. Le dossier a été dépoussiéré lors de la dernière session du dialogue social national, mais il a fini par être encore une fois enterré au profit d’autres requêtes syndicales. Dans sa première offre aux centrales syndicales, le gouvernement, rappelons-le, avait proposé une enveloppe budgétaire de 420 millions de DH pour 50.000 fonctionnaires. L’instauration de cette indemnité doit être érigée en priorité pour accompagner le dossier de la mobilité. À cela s’ajoute la nécessité de se concerter avec les partenaires sociaux pour les faire adhérer au projet. Il faut dire qu’on ne peut réussir la mobilité sans la restauration de la confiance entre l’administration et les syndicats qui restent sceptiques. C’est pour cette raison principalement que la procédure avait échoué en 2015. La législation de la mobilité avait suscité une grande appréhension d’autant plus que la mutation à l’initiative de l’administration ne nécessite pas juridiquement l’accord du fonctionnaire concerné. Il s’agit d’une épée de Damoclès suspendue sur la tête des fonctionnaires, notamment les syndicalistes, qui peuvent faire l’objet des mutations arbitraires, selon le parlementaire de la Confédération démocratique du Travail, Mbarek Sadi. Il estime que la révision du cadre juridique ayant trait au redéploiement des fonctionnaires doit prendre en considération les intérêts des fonctionnaires et doit être basée sur le volontariat. Il s’avère, selon lui, nécessaire de mettre en place une approche globale prenant en considération une meilleure répartition des investissements publics et privés au niveau régional en vue d’inciter les fonctionnaires à aller travailler même dans les régions les plus reculées.
S’agissant de l’emploi régional, les syndicalistes sont on ne peut plus clairs : il peut être l’une des solutions pour résoudre le déficit en ressources humaines, mais à condition d’être opéré dans le cadre de la fonction publique.
Ils mettent en garde contre la reproduction du scénario des enseignants des Académies régionales de l’éducation et de la formation.
Le diagnostic de la Cour des comptes
Le gouvernement est appelé à prendre en considération les remarques de la Cour des comptes qui a pointé des mesures insuffisantes pour enclencher une dynamique de mobilité. Il s’agit, entre autres, des mesures d’indemnités qui s’annoncent d’ores et déjà insuffisantes pour donner un coup de fouet au système qui se heurte à la persistance de certaines contraintes de nature à limiter la portée des mesures de redéploiement. La Cour des comptes relève que la mobilité géographique se heurte à la réticence des fonctionnaires pour le travail en dehors de l’axe Kénitra-Casablanca et surtout dans les zones éloignées. Quant à la mobilité interministérielle, elle rencontre des contraintes liées au système de rémunération qui comporte des inégalités importantes entre les administrations en raison des primes spécifiques à certains départements. D’où le risque d’aboutir à une mobilité uniquement vers les administrations qui octroient le plus d’avantages et par conséquent l’appauvrissement des autres administrations.
Disparités régionales
Le taux d’administration au Maroc est de 15,9 % ,soit près de 16 fonctionnaires civils pour 1000.000 habitants, selon les statistiques officielles du gouvernement. L’effectif global de l’administration publique est passé de 542.670 en 2009 à 564.549 en 2019. La répartition géographique des fonctionnaires fait apparaître de grandes disparités régionales. En effet, 70 % du personnel de l’État se concentre dans cinq régions : Rabat-Salé-Kénitra (23,4%), Casablanca-Settat (13,9%), Fès-Meknès (11,7%), Marrakech-Safi (10,5 %) et Tanger-Tétouan-Al Hoceima (9,9%). Depuis 2016, le recrutement dans la fonction publique connait un repli, sous l’effet conjugué du lancement de l’opération relative aux enseignants des Académies régionales de l’éducation et de la formation et, aussi, les départs massifs à la retraite pour limite d’âge ou anticipés du personnel de l’Éducation nationale.
Jihane Gattioui
Les Inspirations ÉCO