Maroc-UE : à quoi ressemblera la nouvelle politique de voisinage ?
À l’orée de la révision de la Politique européenne de voisinage, les deux parties examinent les moyens de renforcer et de donner une nouvelle impulsion à leur coopération, au-delà des questions sécuritaires et de migration. Plusieurs secteurs sont ciblés, notamment l’éducation et les programmes et projets de recherche.
Dix-sept ans après son lancement, la Politique européenne de voisinage (PEV) garde toute sa pertinence. Ce partenariat a commencé à être déployé à travers quatre espaces homogènes : Politique et sécurité, Économique et social, Connaissances partagées et Valeurs partagées. Il s’articule aussi autour de deux axes transversaux dédiés à l’environnement et à la migration. Toutefois, les deux parties identifient des créneaux innovants et prioritaires, à même de contribuer au déploiement du Plan de relance voulu par le roi Mohammed VI. Pour Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, il est temps que la Politique européenne de voisinage évolue, notamment pour transcender la logique financière pure, afin de se concentrer sur l’horizon du «tout sauf les institutions». «La PEV doit évoluer pour transcender la logique financière pure et réhabiliter ses principes directeurs, à savoir la différenciation, la complémentarité, la solidarité, l’appropriation et le More for More», soutient le ministre des Affaires étrangères, à l’issue des discussions avec Olivér Várhelvi, commissaire européen à au Voisinage et à l’élargissement, mardi dernier, lors de son premier déplacement dans un pays de voisinage. La PEV est aussi appelée à être une ligne directrice pour toutes les structures de l’UE. Elle se doit également d’impliquer davantage les pays du Sud dans le «decision shaping» les concernant et créer des synergies avec les cadres bilatéraux, régionaux et bicontinentaux. «L’objectif de cette visite au Maroc est de déterminer les projets concrets à mettre en œuvre», a indiqué Olivér Várhelvi, mettant l’accent sur l’importance de concrétiser des projets en commun en vue de promouvoir les économies des deux parties.
Coopération dans l’enseignement supérieur
Le Maroc aspire à un renforcement de sa position dans le cadre de la coopération éducative et scientifique avec l’Union européenne (UE). L’enjeu est d’élargir les programmes existants et de réfléchir à de nouveaux modèles de coopération. En effet, le royaume se distingue par l’obtention de la première place au niveau africain, dans le cadre de programmes phares comme Erasmus +, les programmes de masters conjoints, de mobilité entrante et sortante d’étudiants, staffs et enseignants, ou encore les projets de renforcement des capacités (capacity building). Le Maroc se distingue également par sa participation active dans les Programmes-cadres pour la recherche et le développement technologique (PCRD) et Horizon 2020. «Compte tenu des résultats que le Maroc a eus dans les éditions précédentes, nous prétendons à un renforcement de notre position pour briguer davantage d’appels à projets et être pays associé pour coordonner les programmes et domicilier un certain nombre de projets de recherche», soutient Saaïd Amzazi, ministre de l’Éducation nationale, de la formation professionnelle, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, à l’issue de l’entretien qu’il a eu mardi dernier avec Olivér Várhelvi. Le ministre a, dans ce sens, exprimé la volonté de créer des universités jumelées entre le Nord et le Sud pour contribuer à l’accompagnement et à la formation d’un niveau élevé en ingénierie et en cadres médicaux. Exprimant la volonté de l’UE d’accompagner le royaume dans ce chantier, le commissaire européen insiste sur l’importance de s’investir davantage sur toutes les formations qui ont un arrimage avec l’aspect innovation et industrie. Le ministre et le commissaire européen se sont accordés à explorer les voies potentielles de mise en place d’actions de coopération à l’horizon 2027, en matière d’enseignement supérieur et de recherche scientifique, particulièrement celles relatives à l’échange d’étudiants et d’enseignants entre les universités de part et d’autre, ou encore la participation des structures de recherche marocaines aux appels à projets collaboratifs lancés par l’UE dans le cadre du programme Horizon Europe et à la mise en place de modèles innovants de coopération inter-universitaires Nord-Sud.
Gestion du volet sécuritaire et migratoire
Le commissaire européen à la Politique de voisinage et d’élargissement effectue sa visite au Maroc en compagnie de son homologue Ylva Johansson, commissaire européenne aux Affaires intérieures. La responsable européenne a saisi l’occasion pour saluer les efforts entrepris par le Maroc dans la gestion de la question migratoire. «Nous avons une très bonne coopération et un partenariat très privilégié avec le Maroc que nous souhaitons poursuivre», précise Ylva Johansson à l’issue d’une réunion avec Abdelouafi Laftit, ministre de l’Intérieur. Depuis 2018, le Maroc a reçu 343 millions d’euros d’aides européennes dans le cadre de divers programmes (formation de la police, éducation, etc.). L’Union européenne veut également améliorer la coopération avec le Maroc pour le retour des migrants illégaux et discuter en parallèle de la facilitation des visas, a indiqué mardi à Rabat la commissaire européenne aux Affaires intérieures. «Je suis là avec un mandat pour négocier les réadmissions et la facilitation des visas», a-t-elle affirmé au début de sa visite officielle. «L’Europe vieillissante a besoin de main-d’œuvre, et les arrivées irrégulières font peur aux citoyens européens (…) : Pour moi, avoir moins d’arrivées irrégulières et renvoyer ceux qui ne sont pas autorisés à rester est étroitement lié à la facilitation des visas et à la migration légale», a-t-elle expliqué. Sa première visite au Maroc vise aussi à «continuer les discussions» sur les mécanismes de réadmission lancés par le ministre espagnol de l’Intérieur, Fernando Grande-Marlaska, la semaine dernière lors d’une visite à Rabat. Les arrivées illégales dans l’archipel espagnol situé au large des côtes nord-ouest de l’Afrique «ont augmenté de plus de 1.000%» cette année. «Il semble que plus de la moitié des migrants soient marocains et il est important de savoir comment faire en sorte qu’ils rentrent», a indiqué la commissaire. L’Union européenne voit chaque année entre deux et trois millions d’arrivées régulières (travailleurs, étudiants ou réfugiés) des différents pays. Environ la moitié de ceux qui entrent de façon légale repartent. L’an dernier, il y a eu environ 100.000 décisions d’expulsion, dont environ le tiers a été suivi d’un retour effectif, le plus souvent vers l’Ukraine et les Balkans, selon les chiffres communiqués mardi. Yvla Johansson, qui pilote la réforme du Pacte migratoire européen, plaide pour une efficacité accrue dans les retours des migrants illégaux vers leur pays d’origine et considère comme une priorité d’obtenir de «bons accord de réadmission».
Chaînes de valeur régionales
Les industriels européens gagneraient à poursuivre et accélérer leur développement au Maroc dans le cadre des nouvelles chaînes de valeur régionales. En effet, «le Maroc a franchi des pas importants dans sa transition énergétique et est résolument engagé dans la transition verte de son économie, à travers notamment son plan de relance industrielle dont l’industrie décarbonée et circulaire constitue la pierre angulaire», fait valoir le ministre de l’Industrie, du commerce, de l’économie verte et numérique. Le Maroc ambitionne de jouer un rôle moteur dans la mise en place de chaînes de valeur régionales au niveau euro-méditerranéen. Capitalisant sur la proximité géographique, les coûts logistiques réduits et les avantages comparatifs du royaume ainsi que sur la réduction de l’empreinte environnementale de la supply chain, ce relais de compétitivité permettrait le doublement des outils de gestion de la production, a précisé Moulay Hafid Elalamy à l’issue d’une entrevue avec le commissaire européen à l’élargissement.
Un plan économique dès le printemps prochain
«Les chemins et les pistes sont maintenant clairs pour mettre sur la table, dès le printemps prochain, un plan économique détaillé de partenariat bilatéral», annonce Olivér Várhelvi. Le responsable européen estime qu’il n’y a pas une solution à cette crise sanitaire pour l’Europe en dehors de la politique de voisinage. «Le Maroc est un partenaire crédible de l’Union européenne, d’où l’importance d’établir ensemble un plan économique détaillé pour un partenariat plus profond entre les deux parties», a-t-il souligné.
Modeste Kouame / Les Inspirations Éco