Partenariat : pourquoi le moteur franco-allemand patine
C’est un nouveau raté dans le moteur franco-allemand : Paris et Berlin ont annoncé, mercredi dernier, le report d’un conseil des ministres commun prévu de longue date pour la semaine prochaine. C’est un nouveau symptôme de la brouille qui couve depuis plusieurs mois entre les deux pays.
Paris minimise ce report, l’imputant à des questions d’emplois du temps, de ministres en vacances… En revanche, à Berlin la chancellerie reconnaît l’absence d’accords sur des sujets essentiels. Le plus urgent, celui de l’énergie, sera débattu au niveau des 27 à partir de jeudi prochain, à Bruxelles, lors du conseil qui réunit tous les dirigeants de l’Union. Sur cette question, il n’y a pas que la France qui a du mal avec l’Allemagne. Le premier importateur de gaz russe fait cavalier seul depuis plusieurs mois pour pallier la fin des livraisons russes. En achetant massivement du gaz pour reconstituer ses réserves, Berlin a contribué à faire grimper les prix, mettant ainsi les autres importateurs européens de gaz en difficulté. En annonçant ensuite un vaste plan d’aide (200 milliards d’euros) pour soutenir son économie, l’Allemagne a provoqué la stupeur de Paris et des autres capitales. Car ce soutien généreux va sans doute aggraver les écarts de compétitivité entre pays européens. Berlin continue, par ailleurs, à bloquer les mesures exceptionnelles proposées par Paris. Le gouvernement allemand bloque sur le plafonnement du prix du gaz et sur la réforme du marché de l’électricité, laquelle est réclamée depuis un an par la France et l’Espagne. Dernier point qui fâche : au nom de la défense des intérêts énergétiques nationaux, Olaf Scholz milite pour le projet de gazoduc Midcat entre la France et l’Espagne, projet qu’Emmanuel Macron repousse, officiellement pour des raisons écologiques.
La défense, l’autre grosse pomme de discorde
Afin que cette Europe de la défense devienne réalité, Paris bataille, depuis des années, pour la construction de nouvelles armes franco-allemandes, notamment un char d’assaut ainsi qu’un avion de combat destiné à remplacer le Rafale et l’Eurofighter. Mais ces chantiers sont au point mort, faute d’accord entre les industriels concernés, chaque pays défendant ses entreprises. La guerre en Ukraine aurait pu précipiter un accord, mais c’est le contraire qui est en train de se produire. Et dans l’urgence, Berlin préfère acheter américain, en annonçant, au printemps, son intention d’importer des F35 pour renouveler sa flotte.
Difficile de trouver le chemin du dialogue
Olaf Scholz est un «taiseux», aux antipodes d’un Emmanuel Macron très disert et europtimiste. Mais cela ne suffit pas à expliquer la panne du dialogue franco-allemand. En arrière plan, il y a le contexte politique très délicat de la coalition formée par les sociaux-démocrates, les verts et les libéraux. Un attelage qui tire à hue et à dia sur les sujets-clés comme l’énergie ou la diplomatie. Ces divergences font écho à une profonde remise en cause des fondements de la prospérité de la nation allemande. En mai, le champion européen des exportations a affiché le premier déficit de sa balance commerciale depuis trente ans. La Russie n’est plus un partenaire fiable, ni pour le gaz ni pour les débouchés de l’industrie allemande. Cette situation nouvelle pousse Berlin à s’interroger sur sa dépendance à l’égard de la Chine, son principal client hors Europe. Faut-il repenser le modèle de la croissance allemande, et comment ? Un débat majeur et plus pressant, aux yeux de Berlin, que «l’amitié» franco-allemande.
Jules Gabas Avec Agence / Les Inspirations ÉCO