Engrais : les pays africains à la peine pour leur approvisionnement
L’Union européenne a annoncé la semaine dernière une nouvelle aide de 600 millions d’euros, essentiellement destinée à l’Afrique pour faire face à la crise alimentaire provoquée par la guerre en Ukraine. Un soutien pour résoudre la crise immédiate et préparer l’avenir, en favorisant par exemple l’accès aux engrais, le maillon faible de l’agriculture africaine.
En cette période de soudure, 43% des Africains sont en situation d’insécurité alimentaire, alors qu’ils étaient seulement 23% en 2021. Parce que les cours des céréales ont explosé, parce que les deux grands exportateurs mondiaux de blé et d’engrais, la Russie et l’Ukraine, manquent sur le marché mondial, les pays africains n’ont pas importé en quantité suffisante. Ils ont acheté seulement la moitié de leurs besoins en engrais, d’où la faiblesse des récoltes locales. Comme la guerre en Ukraine promet d’être longue, ces deux grands fournisseurs ne sont pas prêts à revenir rapidement sur le marché.
Il faut donc trouver des alternatives, pourquoi pas en privilégiant l’approvisionnement local ?
D’après l’agence Reuters, dans la première mouture du texte détaillant l’aide européenne, il était explicitement question d’un programme destiné entre autres à financer des usines d’engrais en Afrique. Cette mention a disparu. Étant donné que la fabrication des engrais est très énergivore, elle consomme beaucoup de gaz, la commission considère que le soutien à la production dans les pays en développement est incompatible avec les politiques énergétiques et environnementales des 27.
Les acteurs africains du secteur des engrais sont-ils en mesure de répondre aux besoins locaux ?
C’est vrai pour le principal fournisseur, le Maroc. Le quatrième exportateur mondial d’engrais est le premier fournisseur des pays africains. L’Office chérifien des phosphates assure 60% des besoins en Afrique de l’Ouest, en étant présent dans une douzaine de pays d’Afrique subsaharienne. L’OCP a augmenté sa production de 10% cette année et espère fabriquer 70% d’engrais phosphatés en plus d’ici quatre ans. Une délégation était, la semaine dernière, au Niger pour discuter d’une future usine. La deuxième source d’approvisionnement, le Nigeria, est moins orienté vers ses voisins. Pourtant le produit est là. Le magnat de l’agro-alimentaire, Aliko Dangoté, a ouvert au printemps la plus grande usine d’urée du continent. À terme, sa production pourrait largement couvrir les besoins du Nigeria et des voisins. La production a démarré et le carnet de commande est déjà bien rempli. Le milliardaire nigérian indique que des clients européens ont déjà passé des ordres. Il estime que cette usine pourrait rapporter 5 milliards de dollars par an de revenus d’exportation à son pays.
Le Nigeria privilégie les clients les plus lucratifs comme le Brésil ou l’Europe
Car les marges sont plus généreuses. Il est aujourd’hui plus facile et moins onéreux d’exporter du Nigeria vers le Brésil que de Lagos vers le nord du pays. Le trajet en bateau ne prend que quatre ou cinq jours tandis que le transport par la route du sud au nord du Nigeria prend jusqu’à dix jours et coûte beaucoup plus cher que le fret maritime. Pour assurer l’approvisionnement de proximité du continent il faut donc considérablement améliorer toute la chaîne logistique, mais aussi revoir la structure du marché. Aujourd’hui, le nombre d’intermédiaires et l’organisation des appels d’offres sont nuisibles aux importations. Juste un exemple, quand un appel d’offres est ouvert sur 90 jours, il repousse les fournisseurs, car l’urée, l’engrais le plus consommé, peut voir son prix varier d’une centaine de dollars en une semaine, aucun d’entre eux ne peut donc garantir un prix sur trois mois. Revoir ces procédures allègerait la facture et permettrait d’obtenir plus facilement les quantités nécessaires.
Sami Nemli avec agences / Les Inspirations ÉCO