Conjoncture mondiale : alerte sur l’inflation et les dépréciations monétaires
Les dépréciations monétaires risquent d’aggraver la crise alimentaire et énergétique mondiale. Les prix élevés des produits de base pourraient prolonger les pressions inflationnistes.
La conjoncture mondiale est, certes, déjà critique, mais les choses pourraient devenir plus critiques encore si des déclics ne surviennent pas. C’est, en somme, l’un des messages contenus dans la dernière édition du rapport Commodity Markets Outlook de la Banque mondiale (BM).
Parmi ces constats, l’institution de Bretton Woods signale notamment que la dépréciation de la monnaie de la plupart des économies en développement entraîne non seulement une hausse des prix des denrées et des carburants, mais elle pourrait aggraver les crises alimentaires et énergétiques auxquelles nombre d’entre elles sont déjà confrontées. Et alors que les inquiétudes s’amplifient autour de l’imminence d’une récession mondiale, les prix en dollars de la plupart des produits de base ont baissé par rapport aux sommets atteints récemment, indique le rapport. «Entre l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 et la fin du mois dernier, le cours du pétrole brut (Brent) en dollars des États-Unis a chuté de près de 6 %.
Toutefois, en raison des dépréciations monétaires, près de 60 % des économies de marché émergentes et en développement importatrices de pétrole ont enregistré une hausse des prix du pétrole en monnaie nationale au cours de cette période», détaille la BM. Et la même source de rappeler que plus de 90 % de ces économies ont connu une augmentation des prix du blé plus importante en monnaie locale que celle observée en dollars.Autre constat mis en avant par le Commodity Markets Outlook: les prix élevés des matières premières énergétiques utilisées comme intrants agricoles font grimper les prix des denrées alimentaires. Par ailleurs, «même si le prix de nombreux produits de base a reculé par rapport à son pic, il reste élevé par rapport à son niveau moyen des cinq dernières années. Une nouvelle envolée des cours mondiaux des denrées pourrait prolonger les problèmes d’insécurité alimentaire dans les pays en développement. Il est nécessaire de mettre en place un ensemble de politiques destinées à stimuler l’offre, faciliter la distribution et soutenir les revenus réels», indique Pablo Saavedra, vice-président de la Banque mondiale pour la division Croissance équitable, finances et institutions.
L’énergie «moins chère» ?
Un semblant de «bonne nouvelle» toutefois, figure dans le rapport de la BM. Les experts de Bretton Woods prévoient un tassement de la volatilité des marchés de l’énergie, observée depuis le début de la guerre en Ukraine. «Après avoir bondi d’environ 60% en 2022, les prix de l’énergie devraient diminuer de 11% en 2023. Malgré cette décrue, ils resteront supérieurs de 75% à leur moyenne des cinq dernières années», est-il toutefois signalé.
Les prévisions pour 2023 tablent sur un niveau de 92 dollars le baril, comme cours moyen du Brent, contre une moyenne sur cinq ans de 60 dollars. Les prix du gaz naturel et du charbon, eux, devraient reculer en 2023 après avoir atteint des niveaux record en 2022. «Les projections montrent toutefois qu’à l’horizon 2024 les cours du charbon australien et du gaz naturel américain seront encore deux fois plus élevés que leur moyenne des cinq dernières années, tandis que les prix du gaz naturel européen pourraient être près de quatre fois plus élevés. La production de charbon devrait augmenter considérablement, plusieurs gros exportateurs ayant intensifié leur production, ce qui met en péril les objectifs en matière de lutte contre le changement climatique», souligne le rapport.
«La combinaison de prix élevés pour les produits de base et d’une dépréciation monétaire persistante se traduit par une hausse de l’inflation dans de nombreux pays, commente de son côté Ayhan Kose, directeur de la cellule Perspectives de la Banque mondiale et économiste en chef pour la division Croissance équitable, finances et institutions, qui produit le rapport. Et le verdict de la BM est sans appel: «Les responsables politiques des économies émergentes et en développement ont une marge de manœuvre limitée pour affronter une vague d’inflation mondiale sans précédent depuis des décennies. Ils doivent calibrer soigneusement les politiques monétaires et budgétaires, communiquer clairement leurs plans et se préparer à une période de volatilité encore plus grande sur les marchés financiers et des matières premières». Les prix des matières premières agricoles devraient refluer de 5 % l’année prochaine.
Au troisième trimestre de 2022, les prix du blé ont chuté de près de 20 %, mais restent supérieurs de 24 % à leur niveau d’il y a un an, d’après la BM. Notons que les prévisions de baisse des prix agricoles pour 2023 reposent sur une récolte mondiale de blé meilleure que prévu, la stabilité des approvisionnements sur le marché du riz et la reprise des exportations de céréales en provenance d’Ukraine. «Les perspectives d’évolution des prix des produits de base sont cependant exposées à de nombreux risques. Les marchés de l’énergie sont l’objet de préoccupations importantes sur le front de l’offre du fait des inquiétudes grandissantes quant à la disponibilité de l’énergie pendant l’hiver prochain en Europe. Des prix de l’énergie plus élevés que prévu pourraient avoir des répercussions sur les prix des produits non énergétiques, notamment les denrées alimentaires, prolongeant ainsi les problèmes liés à l’insécurité alimentaire. Un ralentissement plus marqué de la croissance mondiale constitue également un risque majeur, notamment pour les prix du pétrole brut et des métaux», est-il indiqué.
Sami Nemli avec agences / Les Inspirations ÉCO