Culture

Cinéma : pour saluer Souleymane Cissé

La disparition de Souleymane Cissé, l’un des «pères» du 7e art sur le Continent, endeuille les cinémas malien, africain et mondial.

Le célèbre réalisateur malien Souleymane Cissé s’est éteint mercredi 19 février, dans une clinique de Bamako. Il avait 84 ans. «Nous sommes sous le choc. Toute sa vie, il l’a consacrée à son pays, au cinéma et à l’art», a déclaré sa fille, Mariam Cissé. Le ministre malien de la Culture, Mamou Daffé, a fait part de sa «tristesse» pour la disparition «de ce monument du cinéma africain», saluant aussi un «cinéaste admiré et respecté».

Un réalisateur couvert d’honneurs
Mercredi matin même, Souleymane Cissé avait tenu une conférence de presse à Bamako, plaidant pour «que les autorités nous aident à vulgariser nos œuvres cinématographiques. Qu’elles comprennent que c’est le cinéma qui fait l’éclat du Nigeria ou du Ghana. Et c’est possible au Mali».

Il a demandé un effort particulier pour l’ouverture de salles de cinéma. Son travail a reçu de nombreux prix, au fil des années : l’Étalon de Yennenga au Fespaco et la Montgolfière d’or au Festival des trois continents, à Nantes (France) pour «Baara» en 1978. Un autre Étalon de Yennenga et le Tanit d’or aux Journées cinématographiques de Carthage (Tunisie) pour «Finyè» («Le Vent») en 1983. Le Prix spécial du Jury au Festival de Cannes en 1987 pour «Yeelen» (La Lumière), ce film, important, marque un tournant majeur de sa carrière.

Le cinéaste récoltera ensuite le Prix d’Aide à la distribution au Festival international de films de Fribourg (1988), toujours pour «Yeelen», puis le Prix Henri-Langlois de Vincennes (2007), le BFI Fellowships de Londres (2009), le Dubai International Film Festival (2010), ainsi que le Grand Prix Hommage au 7e Festival international du Film black de Montréal (2011) et le Carrosse d’Or, à Cannes (2023).

Une œuvre engagée et humaniste
Né à Bamako en 1940, Souleymane Cissé a fait ses études secondaires à Dakar, puis a obtenu une bourse pour suivre les cours du VGIK à Moscou. À son retour, il est devenu caméraman-reporter au Service Cinéma du ministère de l’Information. Il tourne en 1975 «Den Muso» («La Jeune fille»), premier long-métrage de fiction malien en langue bambara, aussitôt interdit par les autorités qui le condamnent à la prison. Le film raconte l’histoire d’une jeune fille muette violée par un chômeur. Enceinte, elle est abandonnée par sa famille et le père de l’enfant, qui refuse de le reconnaître.

Souleymane Cissé a «voulu exposer le cas des nombreuses mères célibataires rejetées de partout. J’ai voulu mon héroïne muette pour symboliser une évidence : chez nous, les femmes n’ont pas la parole.» Ce n’est qu’en 1978 que le visa d’exploitation sera accordé. Cette même année, il sort «Baara» («Le Travail») qui narre cette fois l’histoire d’un jeune ingénieur, révolté par l’attitude de son PDG. Puis, en 1982, vient «Finyè» («Le Vent»), chronique sur le soulèvement des étudiants maliens face au pouvoir militaire. Un lycéen est amoureux de la fille du chef des militaires. Dans le n° 126 de la revue «Présence africaine», en 1983, Ange-Séverin Malanda analyse la représentation des différents discours de pouvoirs qui s’affrontent à l’écran.

Le gouverneur militaire explique aux lycéens que son pouvoir ne tient sa force «ni de leurs pères (sous-entendu : de l’ancienne chefferie), ni d’eux. L’appareil militaire se veut une «totalité se suffisant à elle-même». L’ancienne chefferie est représentée par le personnage de Kansaye, et «l’armée s’insinue entre les forces anciennes (Kansaye) et les forces anticipatrices (Bii, Batrou et les autres jeunes). Elle oblige Kansaye à léguer ses responsabilités à ces dernières : «notre temps est passé. Le monde vous appartient».

Le chef d’œuvre acclamé
Sorti en 1987, «Yeelen» (La Lumière) retrace un parcours initiatique à une époque non définie. Un jeune homme, Nianankoro, part en quête de la connaissance que les Bambaras se transmettent depuis toujours. Le père ne supporte pas que son fils s’éloigne de ce pour quoi lui-même vit avec les autres sorciers du désert.

«Je voulais montrer des aspects inconnus de notre culture aux jeunes générations et en même temps je voulais m’amuser à faire une histoire fantastique. L’histoire est donc inspirée de la tradition malienne, plus exactement de la tradition bambara, mais avec une part de fiction», avait précisé le réalisateur à Jean-François Senga, dans le n° 144 de «Présence africaine», en 1988.

Inutile, donc, de tenter une ethnographie ou une analyse des rituels à partir du film, dont la clef, à la fin, est donnée par l’un des objets fétiches du pouvoir, qui reproche au père de s’être égaré dans l’exercice de ce pouvoir. C’est sans doute pourquoi, dans le n° 148 de la même revue, toujours en 1988, le réalisateur nigérian Segun Oyekunle, installé à Los Angeles, titre son article «There’s Power in “The Light” (Il y a du pouvoir dans “La Lumière”).

Il y note que l’intérêt de Cissé n’est pas pour le passé, mais pour le futur, un nouveau commencement. Il pointe «un réquisitoire contre l’obsession des dirigeants pour le pouvoir absolu, celle des idéologues pour la domination totale, les opinions religieuses extrémistes et les objectifs personnels, au détriment de la responsabilité ultime envers un groupe humain plus large.» Les fétiches, clairement, indiquent que ce n’est pas le pouvoir en soi qui serait mauvais, mais son mésusage. Oyekunle souligne aussi l’utilisation du montage associatif, par Cissé, «qui consiste à juxtaposer deux éléments opposés pour en créer un nouveau».

Cette technique, très répandue dans le cinéma soviétique, «ressemble à la théorie du matérialisme dialectique de Karl Marx». Toutefois, si Cissé a été formé en Russie, il est né et a grandi en Afrique, «dans la tradition orale africaine qui possède les mêmes éléments de continuité à travers la confrontation des opposés et la création de nouvelles significations. Cette culture et cette tradition sont antérieures à Marx.

En Afrique, les mères utilisaient cette forme dans leurs récits lorsqu’elles éduquaient leurs enfants au coin du feu, bien avant que les parents de Marx ne se soient embrassés pour la première fois.» À Jean-François Senga, Souleymane Cissé confiait : «l’Afrique est une multitude de cultures. Quiconque arrive à s’exprimer et se faire comprendre dans tous ses pays, peut se faire comprendre dans le monde entier».

Murtada Calamy / Les Inspirations ÉCO



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