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“Un grand écart existe entre la décision politique et l’évolution de la nature”

Said Karrouk : Climatologue

Les changements climatiques en cours ne doivent pas être considérés comme une exception, mais plutôt en tant que de nouvelles caractéristiques du nouveau climat. C’est ce que souligne, dans cet entretien, le climatologue Said Karrouk.

Quelles sont les causes du changement climatique ?
Le climat a déjà changé dans le passé, mais la seule raison de ce changement était l’évolution de la nature. Pour la première fois dans le changement climatique que nous vivons aujourd’hui, c’est l’Homme qui intervient  avec une part importante.  Et ce changement se fait brutalement, dans un laps de temps très réduit qui ne dépasse pas 100 à 120 ans, alors qu’auparavant les changements géologiques duraient dans le temps. Le changement s’effectue à deux niveaux: chimique à travers l’utilisation des énergies fossiles et physique.  On est en train de créer de nouveaux gaz dans l’atmosphère. Le niveau chimique induit un effet physique sur le fonctionnement de l’atmosphère. L’augmentation des gaz à effet de serre change  le bilan énergétique entre le sol et l’atmosphère et le bilan global de l’énergie solaire et de la terre.

À quel point l’Homme est-il responsable  ?
Avec l’utilisation du pétrole, l’homme a remplacé des forêts par des champs de blé et des villes. Ce qui a fait changer la nature du sol  et, par conséquent, impacté le bilan énergétique de la terre. Il faut qu’une part importante de l’énergie solaire pénètre au sommet de l’atmosphère et parvienne au sol. Pour que la température de la planète soit équilibrée, l’équivalent de l’énergie qui entre doit sortir sinon la terre va se réchauffer ou refroidir. Bref, le changement de la nature du sol et la composition de l’atmosphère a impacté  la réflexion énergétique du sol. On parlait dans les années 80 du changement climatique car on venait de le découvrir.

Quels sont les principaux défis que la planète devra affronter pour faire face aux changements climatiques ?
Devant cette évolution globale, on ne détient plus l’outil de gouvernance de notre milieu et système. La nature évolue à un équilibre très minutieux et fragile. L’augmentation d’un degré pour la terre est monumentale. Pour cette augmentation, il faut énormément d’énergie. Depuis le 19ème siècle, l’homme a découvert le pétrole et a pensé qu’il était devenu capable d’adoucir la nature. On a développé énormément de systèmes économiques et de services. Mais, la grande difficulté réside dans le fait que les outils développés par l’homme risquent de ne pas être adaptés à la nature en raison de son changement. Pour résoudre cette problématique, il faut de la concertation et du savoir-faire.

Qui sont les principales victimes ?
La nature évolue à un rythme très supérieur de celui de la prise de décision par l’Homme et de la science. La nature nous dépasse. Un grand écart existe entre la décision politique et l’évolution de la nature. Le discours politique est en quelque sorte l’alerte des scientifiques dans les années 80. La distance est de 30 ans entre les politiques et la science. Il est préférable d’avoir des instances scientifiques dans chaque pays qui devraient être des cellules de recommandations pour aider les décideurs à prendre leurs décisions.

Comment résoudre les problèmes climatiques dans le monde ?
Nous avons besoin de plans. Au Maroc, il faut ajuster les plans globaux et les intégrer dans les changements climatiques qui sont en train de bouleverser les relations économiques entre les partenaires. Le plan d’intervention doit être fait de trois niveaux : l’alerte en cas de problèmes liés au climat tels que les inondations et les vagues de chaleur à travers des instances logistiques ; la sauvegarde des écosystèmes et socio-systèmes à travers les rapports des scientifiques nationaux et internationaux pour avoir une idée sur l’évolution du climat et ses effets et réajuster la logistique et enfin,  le pilier scientifique. L’Etat doit développer un plan pour la science de manière globale au service du pays. A travers ces trois piliers, tout pays pourrait au moins adapter ses structures à l’évolution de son climat. Il faut profiter de l’opportunité de ce climat réchauffé au niveau de l’agriculture et des ressources humains. Heureusement qu’il fait plus chaud sur terre car l’eau se mobilise davantage et l’agriculture peut se développer.  Au Maroc, l’eau est de retour. On ne vit plus les sécheresses des années 80. Mais, cette eau apparaît là on ne l’attend pas.  Il faudrait se préparer pour avoir les moyens d’en profiter pour la stocker et éviter les dégâts.  

Les pays en voie de développement sont-ils plus concernés que les autres  ?
Tout le monde est victime du changement climatique qui concerne tous les pays, mais pas à un niveau égalitaire. Les grandes victimes sont, en effet,  les pays pauvres.  Les Africains sont doublement victimes car l’évolution industrielle a profité aux pays industrialisés et ils ont été appauvris avec le nouveau climat.

Quels sont les secteurs prioritaires pour lutter contre le réchauffement climatique  au niveau de l’atténuation ?
L’atténuation porte sur la lutte contre les causes du réchauffement climatique et à leur tête le pétrole. Cela relève du politique à travers un accord mondial pour régulariser l’utilisation du pétrole et du charbon. Depuis 2009, les politiques ont été convaincus qu’il était impossible de se débarrasser du pétrole. Depuis le sommet de Copenhague, on ne parle plus de l’atténuation avec le même sens. On a abandonné l’idée de la recherche des énergies alternatives et l’abandon du pétrole. Au Maroc, à titre d’exemple, il s’agit du lancement du chantier des énergies renouvelables. Par ailleurs, il faudrait s’intéresser à l’adaptation. Chaque pays doit avoir un plan d’adaptation prenant en considération plusieurs secteurs (agriculture, tourisme, l’aménagement du territoire…).

Contenir la hausse de la température moyenne à la surface de la Terre sous la barre de 2 °C, est-ce réalisable ?
La COP21  a connu un grand succès politique et diplomatique grâce à la méthode suivie par les Français. C’est la première fois qu’une COP a été présidée par le ministère des affaires étrangères.  Pendant toute une année, la diplomatie française a déployé de grands efforts pour avoir l’accord des principaux pollueurs. Cette politique a donné ses fruits. La France a réussi et va garder l’accord dans l’histoire du climat. Mais, cet accord est essentiellement politique. Plusieurs accords politiques n’ont jamais été respectés. Mais, nous avons la conviction  que les politiques sont conscients de la fragilité des systèmes socio-économiques vis-à-vis du changement climatique. La grande difficulté réside dans la transformation de cet accord politique en accord économique. L’humanité sera-t-elle capable de contenir la température sous la barre de 2 °C ? Théoriquement, les scientifiques disent que c’est réalisable, mais avec des conditions qui ne sont pas possibles à accomplir.



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