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Situation des médias: le point avec l’expert Jean-Claude Fyon

Jean-Claude Fyon accompagne depuis dix ans des médias du Maroc. Pour cet expert qui a dirigé plusieurs groupes dans la presse et l’audiovisuel, le cataclysme de la publicité consécutif à la pandémie met le secteur à rude épreuve et l’oblige à trouver de nouveaux équilibres. Il évoque une série d’idées pour soutenir le rebond attendu de médias qui, dit-il, manifestent dans la crise une capacité de mobilisation remarquable et un rôle moteur dans la cohésion nationale…

N’est-il pas trop tôt pour parler de la sortie de crise des médias ?
Vivre cloîtré n’empêche pas de se préparer à surmonter le choc. Les impératifs de distanciation ont par exemple amené d’un seul coup dans les médias des pratiques prometteuses, susceptibles d’inspirer de nouveaux modes de fonctionnement agile. Après la mise en sécurité des collaborateurs, au-delà des mesures d’austérité immédiates et de la recherche de trésorerie pour maintenir l’activité, il y a place pour une réflexion structurante sur le monde d’après. C’est aussi un bon moment, entre médias et marques, pour repenser l’équilibre de leur relation, à la lumière de leurs responsabilités sociales respectives que la crise met en exergue. Une première action pourrait être de lancer un appel commun au Gouvernement afin d’étudier un système d’incitants fiscaux, limités dans le temps, en faveur des annonces publicitaires dans les médias. De quoi aider à relancer la machine.

Mais tous les médias ne sont pas logés à la même enseigne ?
Si vous parlez de télévision, les audiences qui surfent actuellement sur le temps rendu libre des confinés (voir encadré) ne l’immunise pas contre les effets de la baisse générale des flux de publicité. La préoccupation concerne au premier chef 2M dont le budget est à 90% dépendant des annonceurs et la situation financière est donc crispée depuis un certain temps. Dans la période de remontée qui risque d’être laborieuse, on pourrait s’attendre à ce que le projet d’un vrai pôle audiovisuel public, en gestation depuis 15 ans, se concrétise entre la SNRT et 2M, pour être performant à moindre coût dans ce qui ne touche pas à l’autonomie des programmes. Pour la télé comme les autres médias, le temps est à la mutualisation des moyens.

Quelle est la situation des radios privées ?
L’étude Radiométrie Maroc est venue rassurer le marché : l’audience et la durée d’écoute sont stables. L’écoute à l’extérieur s’est reportée sur le domicile. La radio se montre résiliente. Par contre, les écrans publicitaires ont fondu, certains jusqu’à s’effacer. Les équipes sont en service minimum. Chez certains, l’idée de devoir arrêter des contrats n’est pas un tabou. L’Association des radios et télévisions indépendantes (ARTI) voudrait que les redevances payées pour l’utilisation des fréquences en 2020 soient ristournées aux radios, ce qui donnerait de l’air aux trésoreries. L’ARTI demande aussi que puisse être étudié l’accès du secteur audiovisuel privé au produit de la taxe pour la promotion du paysage audiovisuel national (perçue sur la base des factures d’électricité). Des radiodiffuseurs reviennent avec l’idée de lever de l’argent en Bourse. Faudrait-il encore que la Loi sur l’audiovisuel autorise demain la cession d’au moins une fraction du capital des opérateurs privés à des actionnaires anonymes. La possibilité existe effectivement à l’international. Pour appuyer la relance des opérateurs privés, en particulier ceux qui ne sont pas adossés à d’autres médias, il serait intéressant de voir comment la HACA pourrait donner la priorité à la consolidation des acteurs existants, en les autorisant à se diversifier davantage dans des programmes de radio complémentaires ou des activités de télévision. Le régulateur met régulièrement en avant le besoin d’études chiffrées préalables encore annoncées en début d’années dans la feuille de route de la HACA et qui sont très attendues. Le projet de réforme de la loi sur l’audiovisuel, actuellement en stand-by, offre l’occasion d’étudier ces points de vue de façon inclusive.

Quel est, à votre avis, le défi du moment pour la presse ?
Face à la diminution structurelle des ventes papier et à la dépression conjoncturelle de la pub, le défi de la presse est de parvenir à monétiser avec plus de force ses formules digitales. Sans quoi l’équation économique va devenir intenable. Au début du confinement, le gouvernement a pris ses responsabilités en demandant la suspension des éditions papier. La presse a eu la noblesse de mettre ses versions PDF à disposition gratuite du public. Ces publications PDF ont fourni l’occasion à ceux qui n’avaient plus l’habitude de lire les journaux de les retrouver, au risque de renforcer dans l’esprit du public l’idée fausse de la gratuité de l’information. Le confinement passé, les éditeurs vont devoir impérativement transformer la consultation gratuite en habitude d’achat des versions digitales. Tous ne sont pas équipés pour le faire. Alors que les enquêtes internationales indiquent que les fake news véhiculées massivement par les réseaux sociaux à propos de Covid-19 profitent au trafic des sites médias professionnels, le moment est favorable pour encourager la bascule vers la monétisation des audiences connectées des titres de confiance. Dans ce cadre, la presse doit aussi être défendue vis-à-vis des géants mondiaux du Web qui affichent ses contenus sans rémunération. C’est le rôle des autorités de la concurrence d’enjoindre Google, comme c’est le cas actuellement en France, de négocier avec les éditeurs une rémunération à la hauteur de la valeur que le moteur retire des contenus d’information.

Qu’attendre des aides publiques dans ces circonstances ?
Les aides directes à la presse (90 millions de DH pour 2019) couvrent principalement aujourd’hui des dépenses ordinaires du modèle papier. Pour faire évoluer son business, la presse requiert un appui spécifique ciblé sur ses actions de transformation : mise en place de système rédactionnel de production multicanal, acquisition d’outil dynamique de monétisation des contenus en ligne, dispositif mutualisé de certification de l’audience globalisée des titres de presse sur les canaux papier et digitaux. Pour se valoriser sur le marché de la publicité, les publications ne disposent en 2020 que de la mesure très élémentaire du nombre d’exemplaires diffusés. La presse écrite ne meurt pas mais on ne peut plus l’assimiler au papier qui lentement s’envole ; les circonstances de la pandémie l’ont montrée particulièrement réactive. Elle a besoin des outils de ses nouvelles ambitions au service de sa mission centrale qui demeure : expliquer, anticiper et surprendre. Le jour d’après des médias, c’est maintenant, il y a urgence. 


Audiences TV : quels signes observer ?

À propos de l’embellie récente des audiences TV, Jean-Claude Fyon propose de porter un regard dans la durée : «Le JT en langue arabe d’Al Oula qui avait gagné deux millions de téléspectateurs en a reperdu la moitié après deux semaines. Il est nécessaire d’attendre la sortie de confinement pour mesurer la rémanence du gain de 1h30 de la durée d’écoute du média (6h07 la semaine dernière, selon les derniers chiffres de l’étude Médiamétrie Maroc). Il y a cependant des signes à observer pour ce qu’ils disent dans l’immédiat des attentes du public. C’est le cas de la fulgurance avec laquelle l’émission hebdomadaire
«Questions sur Coronavirus» s’est imposée sur 2M. Le 20 mars, le premier numéro avait réuni 6 millions de téléspectateurs. Ils étaient 7,7 millions la semaine suivante et 8,3 millions mardi dernier. Bien sûr, il y a le sujet mais on retiendra qu’une conversation sensible avec le public retient et contribue à renforcer la confiance envers le média. Globalement, les audiences récentes maintiennent le déficit pondéral des acteurs publics dans le total de la consommation de télévision au Maroc : 47,7% sur l’ensemble de la journée. Plus de la moitié du volume d’écoute reste réservée aux chaînes étrangères…et à Médi1 dont le CIAUMED ne publie pas les audiences pour des motifs contractuels.»



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