La décarbonation : des opportunités à la pelle
En juin 2021, le Maroc a revu ses ambitions climatiques à la hausse. Comme il l’a officiellement annoncé à la COP26 et dans diverses rencontres, son engagement consiste désormais à baisser ses émissions de gaz à effet de serre de 45,5% à l’horizon 2030, contre 42% auparavant. L’opération va se faire à travers le déploiement de son Plan Climat national qui compte 61 projets dans 7 secteurs d’activité qu’il juge les plus pollueurs. Zoom sur les secteurs et les projets ciblés.
A l’intar des pays ayant paraphé l’Accord de Paris, le Maroc s’est engagé à décarboner son économie à l’horizon 2030. Pour ce faire, le Royaume s’est doté d’un Plan climat national (PCN) qui vise à baisser ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 45,5% à cette échéance. Cette feuille de route, présentée pour la première fois à la COP26, qui s’est déroulée à Glasgow en novembre 2021, porte au total sur 61 projets qui devront être réalisés dans 7 secteurs d’activités économiques que le Royaume juge les plus pollueurs et émetteurs de GES.
Plus de 4.000 MW déjà opérationnels dans l’énergie
Il s’agit en premier lieu du secteur de l’énergie qui représente 20% de la consommation énergétique nationale et 34,5% des émissions de GES du pays. Dans ce secteur, 8 projets de production énergétique à partir de sources renouvelables (solaire, éolienne et hydraulique) ont été identifiés et devront permettre de produire 9 GWh d’ici 2030 pour un coût de 8 milliards de DH et faire baisser les émissions de GES de 34,5%. S’ils sont effectivement réalisés, plus du tiers du PCN serait déroulé. Apparemment, il y a lieu de se réjouir puisque cela se passe très bien dans le secteur énergétique.
En effet, plus de 4.000 MW seraient déjà opérationnels et 3.000 en cours de développement et de construction parmi les 8 projets identifiés, c’est-à-dire qu’il ne resterait plus que 2.000 MW à programmer sur 9 ans pour atteindre l’objectif assigné au secteur énergétique dans le PCN. Dans les deux derniers lots, on peut par exemple citer le projet d’extension de 450 MW de la centrale de Tahaddart prévu en 2025, la mise en place de plusieurs stations de transferts d’énergie par pompage (STEP) et de centrales hydroélectriques totalisant 1.098 MW de capacité à l’horizon 2030 et la réalisation de plusieurs centrales éoliennes sur plusieurs sites pour une capacité totale équivalente à 2.180 MW à l’horizon 2030.
Industrie : OCP et les cimentiers appelés à la rescousse
Le deuxième secteur ciblé par le PNC, pour contribuer à baisser les émissions de GES du pays de 45,5% à l’horizon 2030, est l’industrie qui représente 17% de la consommation énergétique nationale. L’État prévoit d’activer 15 projets qui permettront de baisser les émissions de GES de 28,6% à l’horizon 2030.
Parmi ces projets, on peut citer : l’application d’un programme d’efficacité énergétique, la mise en place de normes minimales de performance énergétique (NMPE) pour les moteurs électriques supérieurs à 75 kW, l’importation de gaz de pétrole liquéfié pour augmenter son utilisation industrielle en remplacement du mazout pour améliorer le rendement et l’environnement local, l’inventaire, l’organisation et la valorisation de la filière biomasse pour l’utilisation industrielle en substitution du mazout, et l’installation de centrales solaires photovoltaïques sur les toitures des sites industriels d’une capacité totale de 1.500 MW entre 2021 et 2030 en mode autoconsommation en attendant l’autorisation d’injection du courant sur le réseau Moyenne Tension.
Ce n’est pas tout, OCP et les cimentiers, qui viennent d’être intégrés dans la CDN révisée du Royaume, vont apporter une grande contribution pour baisser les émissions de GES dans l’industrie. En effet, ces deux sous-secteurs industriels devraient contribuer à hauteur de 50% à la baisse des émissions de l’industrie. Ce faisant, les cimentiers vont remplacer les combustibles fossiles utilisés (coke de pétrole) par des pneus usés, des boues de STEP, des déchets ménagers (RDF) et des grignons d’olive.
Ils substitueront aussi une partie du clinker par les cendres volantes dans un mélange permettant d’obtenir du ciment aux caractéristiques désirées et contribuer à la réduction des émissions de GES par la réduction de la production du clinker. OCP, lui, va construire des centrales thermiques et des systèmes de récupération de chaleur, multiplier les fermes solaires, remplacer le fioul n°2 actuellement utilisé pour le séchage du phosphate par de l’énergie solaire, et faire du captage et valorisation du CO2 des cheminées phosphoriques.
Six programmes dans l’agriculture
Le troisième secteur ciblé par les pouvoirs publics pour décarboner l’économie nationale de 45,5% à l’horizon 2030 est l’agriculture. Pour verdir ce secteur, l’État a décidé d’activer 13 projets qui permettront de faire baisser les émissions de GES de 14% d’ici 2030. Ils portent globalement sur 6 programmes à mettre en oeuvre: l’oléiculture, l’arboriculture fruitière, l’agrumiculture, le palmier dattier, le développement des parcours et de régulation des flux de transhumants ainsi que la plantation de cactus.
Notons qu’à travers le premier, il sera, par exemple, procédé à la plantation de 447.000 ha d’oliviers dans les zones inadaptées aux cultures annuelles, afin de lutter contre l’érosion des sols et améliorer les revenus des petits agriculteurs. Alors que le second programme portera sur la plantation d’arbres fruitiers sur 160.000 ha afin d’améliorer et de diversifier les revenus des agriculteurs surtout en zones fragiles de montagne. Le troisième programme lui, prévoit la plantation d’agrumes sur 45.000 ha (densité de 600 plantes/ha) afin d’améliorer le revenu des agriculteurs et les recettes à l’export.
L’économie circulaire mise à contribution
Le quatrième secteur sur lequel misent les pouvoirs publics pour baisser les émissions de GES du pays, c’est la gestion des déchets. Il devrait contribuer à hauteur de 7,6% dans l’effort de verdissement de l’économie nationale à travers 2 projets. Il s’agit notamment de la collecte du biogaz dans les stations de traitement des eaux usées (STEP) en vue de le valoriser dans la production d’énergie électrique ; et de la valorisation des déchets ménagers par un traitement biomécanique associé à la co-incinération. Ce procédé consiste en la réalisation des opérations suivantes : tri mécanique et broyage, opération biologique avec séchage en aérobie.
Les établissements touristiques devront se verdir
Le cinquième secteur prévu en renfort aux efforts de baisse des GES d’ici 2030 est celui des bâtiments. Ce secteur contribuera à baisser les GES de 6% à travers l’activation de 9 projets, parmi lesquels figurent la mise en œuvre du plan national de développement des chauffe-eaux solaires, du programme de généralisation des lampes LED dans le secteur résidentiel, de la Norme minimale de performance énergétique (MEPS) des climatiseurs, de la Norme minimale de performance énergétique (MEPS) des réfrigérateurs, de l’efficacité énergétique pour les enveloppes des nouveaux bâtiments, et de l’efficacité énergétique dans les établissements d’hébergement touristique.
Plusieurs réformes attendues dans le transport
L’avant-dernier secteur ciblé par l’État, en termes de contribution à la baisse des émissions de GES, est celui du transport qui devrait contribuer à hauteur de 4,8% d’ici 2030. Au total, 7 projets y seront activés, à savoir : l’extension des lignes du tramway de Rabat et de Casablanca, l’amélioration des normes environnementales des véhicules, la mise en place d’un système de bonus-malus visant à favoriser le choix d’un véhicule peu émetteur de CO2 et à pénaliser l’achat des modèles les plus polluants, un programme de renouvellement et de casse visant à remédier à la vétusté qui caractérise le parc professionnel du transport routier au Maroc, l’encouragement à l’éco conduite, et l’application des normes de performance en matière d’émissions de CO2 pour les véhicules particuliers neufs et pour les véhicules utilitaires légers neufs (Norme Euro 6).
Des fours pour éviter le déboisement
Enfin, le dernier secteur à contribuer à la baisse des émissions de GES à l’horizon 2030, dans la CDN du Maroc, est celui des forêts. A travers 7 projets identifiés, ce secteur devrait contribuer à verdir l’économie nationale de 4,3% d’ici 2030. Ces projets portent notamment sur des activités restauratrices des écosystèmes, de renforcement de la résilience des socio-écosystèmes dans des zones vulnérables, et à éviter des dégradations. D’ici 2030, 6 millions de plantes forestières seront distribuées par an ; 800 hectares de dunes maritimes et continentales seront fixés par an et plusieurs dégradations seront évitées à travers, par exemple, la distribution de 6.000 fours améliorés et la meilleure gestion des risques d’incendie.
Des projets suspendus au bon vouloir des pays du Nord
A signaler que ces 61 projets sont classés en deux catégories : 34 sont inconditionnels, tandis que 27 sont conditionnels. Qu’est-ce que cela veut dire au juste ? Cela signifie que le Maroc s’engage à réaliser par ses propres moyens financiers les 34 projets parmi lesquels on peut notamment citer 6 sur 8 dans l’électricité, 10 sur 15 dans l’industrie…
Par contre, s’agissant des 27 projets conditionnels, ils ne seront réalisés qu’avec le financement des bailleurs de fonds internationaux. Notamment avec les 100 milliards de dollars que les pays du Nord tardent toujours à mettre sur la table pour faire avancer la lutte contre le changement climatique et la transition énergétique dans les pays du Sud. A l’occasion de la COP26, «les principaux responsables du réchauffement climatique» ont encore repoussé l’échéance de déboursement, initialement prévue l’année en 2020, à l’année prochain
Un label national en gestation
Un label national est en train d’être mis en place par l’Institut marocain de normalisation (Imanor) et ses partenaires, dans le cadre de la Loi 12-06 relative à la normalisation, à la certification et à l’accréditation. «Pour le moment, nous sommes suspendus à la clarification des exigences techniques et des mécanismes d’ajustement carbone aux frontières (MACF) au niveau de l’Union européenne et éventuellement d’autres marchés d’exportation et à certaines actions préalables que doivent mener Imanor pour définir le contenu et le mode opératoire d’attribution de ce label», explique Abderrahim Taïbi, directeur d’Imanor.
En attendant que les exigences du MACF soient donc clairement définies, Imanor et ses partenaires institutionnels vont entreprendre plusieurs actions, notamment : compléter l’arsenal normatif marocain en lien avec ce domaine par l’adoption de toutes les normes internationales et européennes en relation avec les Gaz à effet de serre (GES) et l’empreinte carbonique des produits, assurer une veille normative appropriée, établir une méthode normalisée optimale pour la détermination du bilan carbone, former et qualifier des experts nationaux et des consultants en matière de détermination des GES en vue de satisfaire les besoins des opérateurs en la matière.
La sensibilisation est également au programme, puisqu’il est prévu d’organiser des séminaires sectoriels et des ateliers de formation en vue de sensibiliser les opérateurs concernés sur les enjeux de la décarbonation, et les former aux techniques de détermination des GES. Last but not least, l’Imanor et ses partenaires institutionnels travaillent aussi sur la future mise en place d’un système de validation des bilans carbone au profit des entreprises marocaines.
Le mode opératoire et le contenu du label national de décarbonation ne sont pas encore connus, mail il faut retenir que sa délivrance vise à qualifier les entreprises méritoires qui pourraient facilement faire face aux barrières non tarifaires qui seront notamment mis en place à partir de 2023 par l’UE. «Bien entendu, ce label sera élaboré suivant les standards internationaux les plus exigeants en la matière, ce qui permettra aux produits et services marocains de se vendre avec aisance sur tous les marchés à l’export», détaille Taïbi.
A la CGEM décarbonation rime avec compétitivité
A la CGEM, décarbonation veut dire compétitivité ! Et pour le patronat, l’énergie est le premier secteur à décarboner. Pourquoi ? La CGEM avance trois raisons. La principale raison, c’est que ce facteur de production pèse lourd sur la dépense de l’entreprise marocaine et donc l’intégration de son coût dans le prix final handicape sérieusement sa compétitivité. Par rapport à des pays concurrents comme la Turquie, l’Egypte et la Tunisie, par exemple, l’énergie électrique demeure relativement coûteuse pour l’entreprise marocaine avec un écart de l’ordre de 20%.
Comme seconde raison, la CGEM a invoqué la Contribution nationale déterminée (CDN) révisée, en rappelant que sur la période 2020-2030, la production d’énergie est le principal secteur concerné par la réduction des émissions de Gaz à effet de serre (GES) avec un taux de 34,5%. Autrement dit, c’est le secteur qui émet le plus de GES au Maroc. Raison de plus ! Enfin, selon la CGEM, la troisième et dernière raison qui plaide en faveur de décarboner en premier l’énergie, c’est ce qu’en dit le Nouveau modèle de développement (NMD).
Ce rapport déclare que parmi les cinq paris d’avenir pour un Maroc audacieux et leader régional dans des activités ciblées, il y a l’objectif de «devenir champion régional de l’énergie bas carbone». Pour y arriver le NMD préconise, entre autres, de réduire les coûts de l’énergie par la réforme du secteur et le recours aux énergies renouvelables et à bas carbone.
Les patrons disent la même chose puisque, selon eux, la dépense énergétique ne constitue pas un coût fixe pour l’entreprise. Elle peut être réduite si des changements sont opérés en adoptant des mesures d’efficacité énergétique et en recourant massivement aux énergies renouvelables ou à d’autres sources d’énergies propres et décarbonées.
Aziz Diouf / Les Inspirations ÉCO