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Foncier logistique : nerf de la guerre ou talon d’Achille ?

Le secteur logistique marocain fait face à un problème majeur de foncier, limitant son développement en raison du manque de terrains adaptés et de la réglementation restrictive. L’AMDL a lancé un programme ambitieux pour aménager 750 hectares de zones logistiques d’ici 2028, avec des investissements publics et privés en hausse. Cependant, des défis subsistent, notamment le coût élevé du foncier et l’accessibilité aux infrastructures essentielles. L’optimisation des plateformes logistiques et leur proximité avec les centres de consommation restent des enjeux cruciaux pour la compétitivité du secteur.

S’il est une problématique majeure à laquelle le secteur de la logistique est confronté, c’est bien celle du foncier. Le développement de plateformes logistiques de grande envergure au Maroc, de tous les secteurs, nombreux et variés, qui en dépendent, passe par là. Les problématiques sont nombreuses : disponibilité des terrains, leurs emplacements, leur raccordement aux axes routiers et aux services de bases, leur pricing. Autant de volets qui pèsent de tout leur poids sur la viabilité du secteur. Un secteur qui revient de loin. Il y a peu, la logistique était le parent pauvre des politiques publiques. Celles-ci ont bien digéré l’importance de disposer de zones industrielles, mais sans y intégrer son corollaire immédiat : les zones logistiques.

Directeur général de Dislog Group, un opérateur industriel dans l’économie de la vie et développeur de marques ayant intégré la logistique comme vecteur de compétitivité dans son business model, Mehdi Bouamrani en sait quelque chose. «De nombreux espaces sont disponibles dans des zones industrielles, comme à Aïn Sebaâ-Casablanca par exemple, mais ne sont pas exploités depuis les années 1970. Ils auraient potentiellement pu servir à des projets logistiques. Mais ce n’était pas autorisé. Une aberration. On se rabattait donc sur l’arrière-pays des villes pour trouver du foncier», illustre-t-il.

Se posait la question de la réglementation. «Dans la zone industrielle, on n’a pas le droit de faire de la logistique. C’est un non-sens. L’industriel a absolument besoin d’un logisticien à proximité, pour pouvoir externaliser justement une partie de ses stocks de matières premières ou de produits finis», soulève Hakim Belmâachi, président du directoire de Disway, acteur dans la distribution des nouvelles technologies, des énergies renouvelables et de la logistique.

2025, année charnière
Aujourd’hui, la logistique marocaine franchit un cap. En 2024, l’Agence marocaine de développement de la logistique (AMDL) a entamé une accélération sans précédent de l’aménagement des zones logistiques, renforçant ainsi la structuration du secteur.

Environ 200 hectares de foncier ont ainsi été sécurisés dans le cadre du programme stratégique visant 750 hectares de zones logistiques d’ici 2028. Une initiative qui s’appuie sur un partenariat public-privé renforcé. Des avancées notables ont été réalisées, notamment par le lancement de la commercialisation de la zone logistique au sud d’Ait-Melloul, tandis que l’aménagement de celle de Fès est en phase avancée. L’année 2025 s’annonce déterminante, avec le démarrage effectif des chantiers dans des pôles stratégiques comme Casablanca-Sud, Kénitra et Béni-Mellal.

Par ailleurs, une dynamique est enclenchée pour doter les provinces du sud, notamment Guelmim, Laâyoune et Dakhla, de structures logistiques adaptées aux spécificités régionales. L’attractivité du secteur logistique se confirme avec une montée en puissance des investissements privés.

Grâce à la nouvelle charte de l’investissement, plus de 1,1 milliard de dirhams ont été injectés dans des projets structurants en 2024. Ce n’est qu’un début et le plus dur reste à faire. Là encore, le foncier est le principal enjeu.

«Pour une entreprise comme la nôtre, le bâtiment logistique représente 70% à 80% du coût de revient de tout investissement. Les variables foncière et construction de bâtiment sont les premiers éléments à adresser pour pouvoir avoir un coût compétitif. Tout est de disposer du bon foncier ou du bon bâtiment logistique dans le bon endroit», explique Anass Moutaoukil, directeur général de Building & Logistic Services.

Pour lui, et grâce à l’AMDL, le foncier est sécurisé dans plusieurs villes et régions du Maroc, «mais il faudrait encore s’assurer que le mapping puisse couvrir tout le pays». Mehdi Bouamrani confirme.

«Ce qui est urgent, c’est l’identification du foncier, la préparation des plans et des autorisations, qui peuvent prendre du temps aussi. L’investissement proprement dit est incompressible. Il faut compter entre 12 et 18 mois. De la célérité des différentes parties prenantes dépendra notre capacité à être au rendez-vous des grands projets qui nous attendent d’ici à 2030», plaide-t-il.

Le rôle central de l’AMDL
De nombreuses autres conditions sont à remplir pour y arriver. La logistique est, par définition, une gestion des flux. Choisir le bon emplacement pour installer sa plateforme, à proximité d’une zone portuaire, d’un aéroport ou d’une zone industrielle ainsi que des axes routiers, est axial. Plus les distances sont marquées, plus le coût logistique est important.

«Nous avons également besoin d’être proches des centres de consommation. C’est ainsi que nous pouvons optimiser notre activité dans sa globalité, en incluant la partie entreposage et transport et la réactivité vis-à-vis du client», explique encore Mehdi Bouamrani, pour lequel l’accompagnement de l’AMDL est plus que jamais fondamental dans ces choix.

S’y ajoute un autre paramètre de taille : la nature des terrains, leur surface et les hauteurs autorisées pour un bâtiment donné. L’efficacité logistique en dépend. Là où le secteur industriel a besoin en moyenne de surfaces comprises entre 2.000 à 4.000 mètres carrés, un opérateur logistique nécessite entre 15.000 et 50.000 mètres carrés.

Hicham Mellakh, président de la Commission logistique et foncier à la CGEM, souligne à ce titre qu’un foncier logistique est différent d’un foncier industriel. «Sur la logistique, on a des zones de manœuvre de camions, donc on perd énormément de surface. Il faut également pouvoir disposer d’accès au réseau routier et autoroutier pour que les camions circulent vite. Le temps, c’est vraiment de l’argent. Les camions coûtent de plus en plus cher. Il faut les optimiser : qu’ils soient pleins, efficaces et fassent des kilomètres. La logistique est et devrait être un levier d’optimisation».

Si le travail mené par l’AMDL sur la mise à disposition du foncier est qualifié de salvateur, la nature même des terrains pose nombre de questions. En se basant sur sa propre expérience, Hakim Belmâachi indique que le foncier représente jusqu’à 30% des investissements dans le secteur.

«Mais est-ce que le foncier est directement exploitable ou faut-il l’aménager? Telle est la grande question», remarque-t-il.

Et pour cause, ce qui importe c’est le mètre carré à construire, et non pas le coût de mètre carré acheté, relève Mohammed Talal, président directeur général de La Voie Express, premier intégrateur marocain dans les métiers de la supply chain et ancien président de la Commission logistique à la CGEM.

«Quand vous êtes dans une zone comme Mohammedia, vous êtes déjà sur un coût de 2.000 dirhams le mètre carré rien que dans le terrassement. Alors que dans une zone industrielle comme Roches Noires, vous êtes directement sur la roche. Vous avez zéro dirham de coût supplémentaire. S’ajoutent à cela des facteurs comme le raccordement à l’ONEE pour l’eau et l’électricité qui, parfois, peut coûter jusqu’à 6 millions de dirhams pour une connexion à la moyenne tension». Dans l’absolu, le prix est un facteur déterminant.

«À l’heure d’aujourd’hui, on ne sait pas à quel prix l’offre mise en place par l’AMDL sera commercialisée», note Anass Moutaoukil, directeur général de Building & Logistic Services.

Et dans tous les cas, pour lui comme pour tous les autres intervenants, il ne faudrait pas que les tarifs à venir dépassent 250 dirhams au mètre carré.

«C’est le prix target pour un opérateur logistique comme le nôtre. Au-delà, l’équation ne tient pas», conclut-il.

Foncier : la spéculation m’a «tuer»

L’un des principaux obstacles au développement d’un foncier dédié à la logistique, au même titre que de nombreux autres secteurs, reste la spéculation immobilière.

«Certains préfèrent gagner plus d’argent, plus facilement, en faisant main basse sur les assiettes foncières disponibles qu’ils bloquent pour des projets immobiliers. Dans de nombreuses villes, il n’y a plus d’industrie parce que c’est plus rentable de faire de la spéculation sur des terrains ou de construire des immeubles qu’en prenant des risques dans l’industrie ou la logistique», déplore Hakim Belmâachi.

Ce déséquilibre de rentabilité et de risque fait que l’investissement est redirigé vers le choix de la facilité. Au grand dam des acteurs industriels et logistiques. Professeur d’économie à l’UM6P, Mohamed Benchekroun relève, lui, que tous les secteurs d’activité souffrent de ce fléau.

«Le lobby immobilier est en train de prendre en otage toute l’économie», tranche-t-il. Jusqu’à quand ?

Ilyas Bellarbi / Les Inspirations ÉCO



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