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Régionalisation : Attention au danger de reproduire la centralité dans les régions

Mohand Laenser : Président de la région Fès-Meknès et de l’Association des présidents de régions

Dans cet entretien à bâtons rompus, Mohand Laenser revient sur les blocages de la régionalisation. Salaires des présidents et des élus, attributions et transferts des budgets, changement des mentalités, la mise en place du concept n’est pas de tout repos. La Caravane des régions, organisée par «Les Inspirations ÉCO», fera escale le 6 septembre dans la région Fès-Meknès que Laenser préside. Ce sera l’occasion d’approfondir le débat sur les problématiques que l’homme évoque, lui qui connaît son domaine et qui a été directement confronté à la problématique, du temps où il était ministre de l’Intérieur.

Les Inspirations ÉCO : Les décrets d’applications des lois organisant la nouvelle régionalisation ont tous été adoptés. Malgré cela, on a l’impression que la machine a du mal à démarrer. Pourquoi ?
Mohand Laenser : Vous savez, la loi organique sur la régionalisation est très précise car elle touche tous les détails que l’on ne trouve pas généralement dans ce genre de textes. Les décrets sont là pour apporter un certains nombre de précisions. C’est vous dire que l’on a commencé à travailler avant même les décrets puisque l’essentiel était dans la loi. Les décrets vont surtout unifier la façon de travailler des 12 régions. Toutefois, il ne faut pas se tromper: il ne s’agit pas d’une continuité des régions anciennes. Il y a une réelle rupture sur le plan des compétences, du découpage et des attributions. Nous sommes en train de construire la nouvelle régionalisation, avancée. Il y a aujourd’hui 7 décrets pour les régions, et autant pour les provinces et les communes; il y a en tout 22 textes. Mais on a besoin de plus que cela. Au Maroc, il y a une résistance à la déconcentration car nous sommes un État centralisé. Les gens se trompent en pensant qu’il y a une tradition régionaliste au Maroc. Il y a eu du tribalisme, mais la tendance régionale, comme en Espagne ou en Italie, n’existe pas. C’est une identité qui est en train de se construire. Tout cela demandera beaucoup d’efforts et de temps.

Mais concrètement, comment comptez-vous vous y prendre ?
Aujourd’hui, avec mes collègues présidents de régions, nous n’avons pas de difficultés, mais beaucoup de choses à clarifier. En dehors des textes, il faut une forte collaboration entre le niveau régional et celui central qui n’est pas uniquement le ministère de l’Intérieur, mais aussi d’autres départements. En fait, il y a deux dangers à éviter: notons d’abord cette rétention centrale de compétences et de ressources malgré ce que prévoit la loi. Mais le plus dangereux, c’est de ramener le centralisme au niveau des régions. Une région comme Fès-Meknès, qui compte 4,5 millions d’habitants et s’étend sur une superficie de 40.000 km², doit être gérée selon le principe de subsidiarité qui donne à chaque collectivité territoriale des compétences et rapproche les services de proximité des gens. C’est un travail pédagogique avant d’être législatif ou de gestion pure.

Vous avez pris part, récemment, au débat sur les salaires des présidents de régions et de leurs collaborateurs. Où en êtes-vous par rapport à ce dossier ?
C’est un problème sérieux. Aujourd’hui, on ne gère plus une municipalité, une ville où une région comme avant, lorsque c’était le gouverneur ou le caïd qui s’en occupaient. Désormais, il s’agit d’une gestion à temps plein. Il est donc tout à fait naturel que les gens soient indemnisés. Ajoutons à cela que le Maroc a choisi une option qui reste, certes, discutable, à savoir le non-cumul des mandats entre les présidents des régions, les membres du gouvernement ou du Parlement. Il faut donc tenir compte de cet aspect. Il faut aussi que les élus soient motivés, sinon ils ne s’intéresseraient pas à la chose locale. Mais je pense qu’il s’agit d’un problème qui est en train de se résoudre. Le ministre de l’Intérieur a signé les décrets qui sont au niveau de la primature, et ils passeront certainement en Conseil de gouvernement ces jours-ci. Quelques équilibrages ont été faits. Mais en réalité, la problématique réside dans le fait de donner aux régions les atouts pour commencer à réellement travailler. Je donnerai l’exemple des reports de crédits et les excédents que certaines régions n’ont pas encore pour la simple raison qu’il faut arrêter les comptes des anciennes régions et les transmettre au niveau central. Cela traîne alors que nous en sommes à la moitié de l’année. Cela a des répercussions sur l’exécution des budgets et les plans de développement. Le problème du financement d’une manière globale doit être examiné. Il faudrait qu’il y ait de la visibilité pour que les régions sachent les perspectives pour mettre en œuvre ces fameux programmes d’emploi qui s’étalent sur six ans qui doivent connaître leur financement. Il y a de la bonne volonté chez nos interlocuteurs, mais il faut un peu plus de célérité.

L’on a aussi le sentiment que les habitants n’ont pas encore intériorisé la nouvelle régionalisation…
Il faut qu’il y ait une rupture dans l’esprit des usagers de la régionalisation. Avant, compte tenu de l’étroitesse du champs de compétences et de la modicité des budgets, les régions distribuaient surtout des subventions aux associations, aux communes, etc. Aujourd’hui, on ne peut plus continuer comme cela. Or, si l’on parle de la région économique, il faut faire des projets structurants. Je prends l’exemple de Fès-Meknès qui aujourd’hui devrait penser à une autoroute entre Fès et Kénitra ou Fès-Tanger. C’est tout un travail d’explication et de changement des mentalités qu’il va falloir mener. Ce n’est pas toujours évident quand vous avez 9 provinces, des grandes villes et des localités rurales.

Justement la répartition des budgets entre les 12 régions devrait-elle répondre à certains critères précis ?
De toute façon, toute répartition est arbitraire. Si vous le faites au prorata de la population, vous pénalisez les régions les moins peuplées, mais qui sont très vastes. Je donne l’exemple des régions de Drâa et de Dakhla. Il faut donc tenir compte de ces deux éléments. Dans quel mesure? Il faut attendre de savoir où l’on va. C’est pour cela, d’ailleurs, que le système de financement prévu par la loi est assez complexe et assez complet. Il y a en effet les dotations initiales qui sont à 65 ou 70% au prorata des populations et le reste au prorata du territoire. Cependant, il y a aussi les dotations qui accompagnent les attributions et les projets. Si, demain, l’État décide que la construction des écoles se fera au niveau des régions, les ressources qui vont avec devront être transférées. Il y a aussi les deux fonds, à savoir celui de mise à niveau, qui intervient dans les régions les plus reculées, et le Fonds de solidarité interrégionale qui permet aux régions les plus riches de venir en aide à celles les moins dotées.

Enfin, quelle est la spécificité de la région Fès-Meknès que vous présidez?
La première spécificité qui apparaît est qu’il s’agit d’une région à vocation agricole. Cela ne signifie pas que la vocation industrielle ne se développe pas aujourd’hui. Elle a toujours existé. D’ailleurs, Fès était la 2e ville industrielle du Maroc il y a une quinzaine d’années. Mais c’est une région qui a des faiblesses aussi puisqu’elle se trouve à l’intérieur du pays et, par conséquent, loin des grandes portes d’entrée et de sortie du Maroc. Dans le plan que nous sommes en train de préparer, on essaie de voir comment rapprocher virtuellement la région de ces points de sortie. Il faut travailler à améliorer les voies de communication pour que l’investisseur ne soit pas pénalisé par la distance. La région a aussi beaucoup d’atouts puisqu’elle est la porte d’entrée vers le Sud marocain, vers les oasis et vers l’Est car les frontières ne resteront pas éternellement fermées avec l’Algérie. Nous avons aussi l’atout de la formation à travers cinq grandes universités dont deux internationales. 


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