Maroc-UE : Rabat met en stand-by l’agenda bilatéral

Le Maroc passe à l’offensive face à l’arrêt de la Cour européenne de justice annulant l’accord agricole avec l’Union européenne (UE). Le ministère des Affaires étrangères vient d’envoyer une note à tous les départements de l’État pour suspendre, jusqu’à nouvel ordre, les participations aux réunions organisées par l’UE. L’objectif est d’exercer une pression sur les instances européennes.
La consigne de Mbarka Bouaida est claire : «J’ai l’honneur de vous demander de bien vouloir donner vos instructions aux différentes structures relevant de votre département afin que soit suspendue, immédiatement, toute participation aux réunions organisées par l’UE et l’organisation de celles inscrites à l’agenda bilatéral Maroc-UE, et de s’abstenir de tout échange ou contact avec la délégation de l’Union européenne à Rabat, et ce jusqu’à nouvel ordre». La note de la ministre déléguée auprès du ministre des Affaires étrangères, dont Les ÉCO détient copie, a été envoyée, le 23 décembre dernier, à tous les départements gouvernementaux. Elle s’inscrit «dans le cadre des mesures prises par le Maroc à l’égard de l’UE suite à l’arrêt de la Cour européenne de justice annulant l’accord entre le royaume du Maroc et l’Union européenne sur la libéralisation réciproque des échanges des produits agricoles, des produits agricoles transformés, du poisson et des produits de la pêche», précise le numéro 2 de la diplomatie marocaine.
Offensive
Au lendemain de l’arrêté du tribunal de l’Union européenne au sujet du recours introduit contre l’accord agricole entre le Maroc et l’Union européenne, Rabat s’est fendue d’un communiqué exprimant son étonnement à l’égard de cette «péripétie judiciaire à forte connotation politique» tout en indiquant qu’elle prendra, le cas échéant, «les mesures qui s’imposent». Aujourd’hui, Rabat met à exécution ses menaces et passe à l’offensive. L’objectif est de mettre de la pression sur les instances européennes pour remettre les choses dans l’ordre. «Tous les départements publics sont concernés par cette mesure.
Il s’agit d’une suspension temporaire de toutes les réunions dans le but de pousser le Conseil et la Commission européenne à se mobiliser pour mettre fin à ce processus judiciaire qui remet en question la nature des relations entre les deux parties», indique une source au département des Affaires étrangères. Les destinataires de cette note n’ont pas tardé à donner suite à cette décision. «Nous avons bel et bien reçu ledit courrier. Et suite à cela, les négociations autour de l’ALECA et les réunions de concertation ont été gelées jusqu’à nouvel ordre», indique-t-on auprès du ministère du Commerce extérieur. Du côté de la délégation de l’Union européenne au Maroc, l’on botte en touche : «Nous n’avons reçu aucun courrier officiel dans ce sens. Ces deux dernières semaines, pratiquement toutes les instances de l’UE ont été en vacances, donc aucune réunion n’a été programmée». Toutefois, ce qui est sûr, c’est que le ministère des Affaires étrangères ne voit pas d’un bon œil le déroulement de cette affaire. À la suite de l’arrêt de la Cour européenne de justice, le Maroc a «exprimé son étonnement de cette décision» et a indiqué qu’il «s’attend à ce que l’UE prenne les mesures appropriées en vue de trouver une issue définitive à cette procédure».
Impasse
Certes, le Conseil des affaires étrangères a approuvé unanimement le pourvoi en appel de la décision du Tribunal européen appelant à l’annulation de l’accord agricole conclu en 2012 entre le Maroc et l’Union européenne, mais nombre d’observateurs y voient une manœuvre politique pour, d’un côté, afficher son soutien au royaume et de l’autre gagner du temps dans l’espoir de trouver une issue qui arrange tout le monde.
Il faut dire que le Conseil et la Commission européenne sont dans de sales draps. «Cette affaire pose une question de fond aux dirigeants de l’UE. Après un long processus de négociation, durant lequel les deux parties ont fait des efforts pour trouver un terrain d’entente, une instance vient tout remettre en question. Le problème concerne essentiellement l’UE et doit être réglé par ses dirigeants», estime ce haut responsable au département du Commerce extérieur. Comme l’ont admis les experts de la Commission européenne, la situation est singulière, au point que les services juridiques peinent à trancher sur la lecture à faire de cet arrêt, le premier du genre concernant un accord signé avec un pays tiers. Dans tous les cas, la bataille judiciaire s’annonce très longue.
Selon la législation en vigueur, la Commission et le Conseil disposent d’un délai de deux mois pour introduire leur pourvoi, soit jusqu’au 11 février 2016. Les instances européennes étant en vacances jusqu’au 8 janvier, la procédure de l’appel devrait être enclenchée dès mi-janvier. Selon des sources diplomatiques, deux aspects devront être mis en avant par les avocats de l’UE : l’admissibilité du Polisario comme «seul représentant du peuple sahraoui» et les questions de fond relatives à l’arrêt lui-même. La Cour n’est tenue par aucun délai pour livrer son verdict, mais selon des statistiques élaborées sur plusieurs années, il faut compter entre 15 et 24 mois.