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Les Marocains d’Italie. Entre coopération et développement

Marocains du monde (4/9)

L’Italie connaît une montée des mouvements d’extrême droite anti-migrants, comment la communauté marocaine dans ce pays s’adapte à ce contexte hostile ? Éléments de réponses à partir de l’étude «Marocains de l’extérieur» publiée par la Fondation Hassan II pour les Marocains résidents à l’étranger.

L’Italie, en particulier, traverse une phase très délicate par rapport au phénomène migratoire : on est passé depuis plusieurs années de l’époque des migrations pour le travail et plus tard pour le regroupement familial à celle caractérisée par de nouveaux flux concernant l’asile politique et la protection internationale. Plus précisément, en 2016, 226.934 nouveaux permis ont été délivrés en Italie, avec une diminution de 5% par rapport à l’année précédente (ISTAT, 2017). Cette baisse concerne principalement les migrations pour le travail (41% de moins qu’en 2015) qui ne représentent plus que 5,7% des nouveaux permis tandis que les admissions à l’asile et à la protection humanitaire atteignent le maximum historique (77.927, soit 34% du total des nouveaux permis). Dans ce contexte, certains pays comme le Nigéria, le Pakistan et la Gambie représentent les principales nationalités des demandeurs d’asile et de protection internationale, atteignant ensemble 44,8% des entrées pour ces raisons. Toutefois, dans le scénario migratoire actuel, l’Italie, face à l’augmentation des nouvelles présences qui sont moins stables, gère simultanément un autre aspect, profondément différent qui concerne précisément la stabilisation des anciennes communautés dont témoignent les acquisitions croissantes de la citoyenneté. Ces dernières, inférieures à 50.000 en 2011, atteignent 84.638 en 2016 et concernent principalement les Albanais (36.920) et les Marocains (35.212) qui représentent ensemble plus du 39% du total des acquisitions. En ce qui concerne les Marocains, les données de l’Institut national de la statistique (ISTAT) sur la présence de ressortissants de pays tiers avec un titre de séjour délivré en Italie au 1er janvier 2017 placent le Maroc au premier rang des pays les plus représentés. Cela confirme le poids des Marocains par rapport aux autres nationalités, dont ils se distinguent surtout par une importante ancienneté migratoire et par une présence significative de mineurs. Par ailleurs, le rôle remarquable des Marocains dans le système migratoire italien s’exprime par l’intérêt de cette communauté à être pleinement intégrée dans la société italienne, une intention qui, cependant, n’a pas toujours été complètement comprise par l’opinion publique et par les acteurs institutionnels responsables de la gouvernance du phénomène migratoire.

Histoire de la migration marocaine en Italie
[…] En ce qui concerne les Marocains, l’Italie depuis la fin des années 60 a été un pays de destination pour les jeunes étudiants ou enseignants arrivant pour effectuer un travail saisonnier pendant les vacances d’été et/ou pour une catégorie de migrants avec un projet basé sur le «va-et vient» entre l’Italie et le Maroc, bien exprimé à travers le commerce de la valise. Grâce à la proximité géographique et aux anciennes traditions de relations d’affaires, les premiers Marocains arrivés en Italie sans qualification et sans emploi deviennent des vendeurs de tapis et d’autres produits artisanaux mais aussi des exportateurs de produits italiens à vendre à la maison (Pittau et Ricci, 2014). À côté, il y avait des ouvriers agricoles et des petits agriculteurs, d’un certain âge, à cause de l’exode dû à la sécheresse et à un difficile contexte économique. Cette première phase de peuplement a été suivie dans les années 80 par une phase de consolidation grâce notamment au phénomène bien connu des chaînes migratoires : les premiers arrivés font venir des parents et amis originaires du même village ou des régions voisines. Au départ, ces immigrés provenaient essentiellement du milieu rural difficile de la frange sud de la plaine des Chaouia, limitrophe de la plaine du Tadla. Ici l’exode des «Beni Meskine» semblait inévitable en raison des conditions environnementales caractérisées par l’aridité de leurs terrains et les structures foncières inégalitaires du périmètre irrigué du Tadla. Cependant, par la suite, les départs ne se sont plus limités aux seules campagnes et ont concerné aussi des villes comme Settat, Khouribga et Casablanca, qui représentent souvent une étape intermédiaire avant de continuer vers l’Italie […].

Selon les données statistiques de l’ISTAT, l’effectif des ressortissants non communautaires qui vivent en Italie avec un titre de séjour était de 3.714.137 au 1er janvier 2017. Il faut souligner ici comme principale caractéristique de cette présence non communautaire l’hétérogénéité des nationalités où pratiquement 48% des migrants non communautaires sont originaires de six pays seulement qui sont le Maroc (12,1%), l’Albanie (12%), la Chine (8,6%), l’Ukraine (6,3%), les Philippines (4,4%) et l’Inde (4,3%). […. ]

Le profil socio-démographique
[…] Après des années de croissance continue et d’une forte présence marocaine, on assiste à partir de 2014 à une réduction des effectifs passant de 510.450 au 1er janvier 2016 à 454.817 l’année suivante. Cette chute qui a commencé en 2014 se confirme les années suivantes, annonçant la forte diminution de 2017, qui ramène la communauté à des effectifs plus bas que ceux de 2010. La tendance continue à la fois suite à la réduction des flux d’entrées et à la sensible augmentation des acquisitions de la citoyenneté italienne. En ce qui concerne ce dernier aspect, la communauté marocaine est la deuxième des nationalités ayant obtenu la citoyenneté. Il faut rappeler que pour la même période, les effectifs des citoyens non communautaires en Italie, ont connu une croissance constante jusqu’en 2016 après un ralentissement significatif à partir du 2014 et enfin et pour la première fois une nette diminution en 2017. Les statistiques confirment que les Marocains restent, après plusieurs années, le premier groupe étranger présent en Italie. En chiffres absolus au 1er janvier 2017 les Marocains avec un titre de séjour valide, étaient 454.817, soit 12,2% du total des ressortissants non communautaires. On a enregistré une diminution de presque 11% par rapport à l’année précédente et on confirme une majeure présence des hommes migrants (54,6%) par rapport au sexe féminin (45,4%). []

Considérations finales et perspectives
[…] Dans ce contexte, la communauté marocaine a eu et conserve un rôle très important dans l’histoire de l’immigration en Italie et malgré les changements apportés par les flux provenant de l’Europe de l’Est, de l’Asie ou de l’Amérique latine, elle a toujours été la première ou parmi les premières communautés d’immigrants en Italie. En effet, il existe de nombreux indicateurs sociodémographiques liés à une implantation stable : regroupement familial, naissances, accès des enfants à l’école, mariages mixtes, acquisition de la citoyenneté italienne et aspiration à l’intégration et à l’égalité des chances face à toute discrimination. D’autre part, les Marocains, bien que principalement engagés dans des emplois de qualification moyenne-faible, ont montré des performances remarquables, même pendant les années de crise, comme en témoigne l’analyse sur les dynamiques de l’emploi des étrangers et sur l’insertion dans le tissu économique italien, à la fois en tant que salariés et en auto-emploi, un domaine dans lequel la communauté marocaine est aujourd’hui première dans le classement par rapport aux autres. Toutefois, l’observation des données, en plus d’apporter des réponses, met également en évidence les problèmes à résoudre. Dans ce cas, sans prendre en compte d’autres variables tout aussi importantes dans une analyse globale du phénomène, les Marocains ainsi que les immigrants dans leur ensemble devraient à long terme être en mesure d’augmenter leur capital humain et accéder à des emplois plus qualifiés. Cependant pour que cela puisse se concrétiser il y a nécessité non seulement d’un très long horizon temporel mais aussi et surtout d’un soutien substantiel à l’esprit d’initiative et aux capacités personnelles des individus. Cela se reflète également dans la question générale de l’intégration et de la question spécifique de l’inclusion financière et des envois de fonds. En effet, au-delà des crises tout court et des politiques fragmentées et inefficaces, c’est l’interaction complexe entre les caractéristiques du tissu socio-économique et culturel du contexte de départ et celles du territoire de destination. Dans ces contextes, l’adoption d’une approche axée sur l’intégration des politiques et mesures pertinentes est strictement nécessaire, non seulement en ce qui concerne la migration et le respect des droits de l’homme, mais aussi en ce qui concerne le développement des migrants et de la société dans son ensemble, aussi bien celle d’origine que celle d’accueil. Les mots clés deviennent alors, non-discrimination, coopération et coordination entre les différents niveaux de gouvernance internationale et nationale, en mettant davantage l’accent sur la dimension territoriale locale et la participation active non seulement des organisations de la société civile et du troisième secteur mais aussi et surtout des associations d’immigrés et leurs communautés dans un échange mutuel de connaissances et savoirs avec les populations autochtones. À cet égard, les analyses menées sur la communauté marocaine en Italie soulignent ses fortes relations tant avec le Maroc qu’avec notre pays, confirmant la contribution significative qu’elle peut apporter au développement humain, économique et culturel des deux pays et des deux rives de la Méditerranée. Dans ce sens, la forte interaction entre la communauté marocaine et la société italienne ainsi que les nombreuses initiatives de coopération réalisées et à réaliser consolident la conviction que nous pouvons tous être des protagonistes pour atteindre cet objectif essentiel qui est de renforcer la dignité et le rôle des personnes impliquées dans le phénomène migratoire. Dans le contexte actuel, en fait, il y a un besoin croissant de renverser le paradigme culturel avant même le politique par un changement de perspective. Ceci consiste à mesurer le développement et le bien-être basés sur les besoins des personnes (besoins fondamentaux) au-delà de la nationalité et du processus de mobilité et non pas selon une approche utilitaire qui choisit de centrer les politiques migratoires et la perception de l’immigration presque exclusivement sur la mesure des avantages et des inconvénients dérivés de la présence étrangère, souvent en termes purement économiques. Et ce sont précisément les institutions intermédiaires (ONG, associations, société civile, universités, centres de recherche, etc.), étant le trait d’union entre les structures gouvernementales et les citoyens, qui peuvent, d’une part, légitimer à travers leurs fonctions cette transformation et d’autre part assumer un rôle central «derrière la pratique politique».


Où vivent les Marocains d’Italie ?

La carte de la répartition des Marocains dans les différentes régions italiennes selon le sexe paraît associer deux facteurs de localisation : les impératifs économiques et les meilleures opportunités du marché du travail dans le nord de l’Italie. En effet, les Marocains, montrent encore une préférence marquée pour les régions de l’Italie septentrionale où ils continuent à s’insérer principalement dans les secteurs de l’industrie et du commerce et de la restauration. […] Les régions de Lombardie, Piémont, Émilie-Romagne et Vénétie ont toujours représenté les principaux pôles d’attraction pour les possibilités d’emploi soit dans l’industrie, soit dans le bâtiment.


Bio des auteurs

Immacolata Caruso est chercheuse au Conseil national de la recherche (CNR), département des sciences humaines et sociales, patrimoine culturel (DSU), Institut d’études des sociétés méditerranéennes (ISSM).

Sabrina Greco est chercheuse au Conseil national de la recherche (CNR), département des sciences humaines et sociales, patrimoine culturel (DSU), Institut de recherche sur l’innovation et les services pour le développement (IRISS) dans l’axe de recherche «Migrations et développement».



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