«Le ministère d’État des droits de l’Homme ne doit pas être juste une image»
Croisé en marge de la 8e réunion de la Commission parlementaire mixte Maroc-Union européenne, Pier Antonio Panzeri livre aux Inspirations ÉCO une interview exclusive. Le nouveau président de la très stratégique Commission des droits de l’Homme du Parlement européen explique son avis sans concession sur les grandes questions qui lient ses missions au Maroc. Il s’agit de sa première sortie médiatique devant la presse marocaine en tant que président de cette commission, avant sa première visite officielle au Maroc sous cette casquette, prévue dans quelques semaines.
Les Inspirations ÉCO : Quelle lecture faites-vous du chantier de réforme judiciaire au Maroc ?
Pier Antonio Panzeri : C’est un bon début. Il y a encore un travail à effectuer pour affirmer de manière plus claire l’indépendance de la magistrature. En marge des travaux de la 8e réunion de la Commission parlementaire mixte (CPM) Maroc-Union européenne, nous avons rencontré le nouveau ministre de la Justice, Mohammed Aujjar. Durant cet entretien, il a développé des idées que l’on partage. Nous l’encourageons à poursuivre sur ce chemin.
Aujourd’hui, le Maroc s’est doté d’un ministère d’État en charge des droits de l’Homme. Quelles synergies ce département stratégique peut-il développer avec le partenaire européen ?
C’est quelque chose de très important, à condition qu’il ne s’agisse pas seulement d’une image. Ce ministère doit pouvoir réaliser un monitoring efficace de la situation des droits de l’Homme au Maroc. Le travail sur la question des droits de l’Homme doit être un travail continu, et ce, dans n’importe quel État, puisque la question des droits de l’Homme peut être à tout moment remise en question. La création d’un ministère d’État en charge des droits de l’Homme est un bon point de départ. Sur cette base, nous pourrons créer une synergie pour une collaboration.
Qu’en est-il du dossier migratoire et que pensez-vous de la démarche du Maroc à ce niveau ?
La politique migratoire est l’un des dossiers sur lesquels il existe une très bonne collaboration entre le Maroc et l’Union européenne. Il s’agit d’une donnée très importante pour notre partenariat. Au cours de la 8e réunion de la Commission parlementaire mixte Maroc-Union européenne, nous avons eu l’occasion d’approfondir cette question. Le Maroc a adopté une politique migratoire très utile. En tout cas, pour nous, il est fondamental que les droits des migrants soient toujours sauvegardés.
À la lecture de la conjoncture régionale, mais aussi des engagements liant le Maroc et l’UE, quelle place le dossier des droits de l’Homme occupe-t-il ?
La place qu’occupe la question des droits de l’Homme est centrale. Nous avons assisté à la déclaration gouvernementale du nouveau chef du gouvernement, qui a évoqué dans son discours la lutte contre la torture et la lutte contre la violence à l’encontre des femmes. Sur la base de cette déclaration, le dossier des droits de l’Homme doit être considéré comme central à l’action publique. Je souhaite que les déclarations que nous avons entendues soient traduites en faits.
Une question un peu «sensible» si j’ose dire : Antonio Pier Panzeri a dans le passé eu des positions virulentes, voire opposées au plan d’autonomie proposé. Qu’est-ce qui a changé ?
Je n’ai pas eu de positions virulentes ! J’ai déclaré qu’il fallait approfondir le processus de régionalisation avancée, et ceci a d’ailleurs été rappelé lors de la déclaration du nouveau chef du gouvernement. J’ai rappelé l’exigence d’une vitesse accrue de la régionalisation avancée, et que l’autonomie qu’il faut donner doit être forte. La loi sur la régionalisation a été approuvée, maintenant, il faut accélérer son implémentation.
En 2015, la Commission des droits de l’Homme présentait le rapport sur la situation des droits de l’Homme dans le monde. Et c’était la première fois que le Territoire du Sahara marocain n’y était pas critiqué. Justement, c’est vous qui présentiez le rapport en question …
J’ai apporté des innovations dans la façon de présenter le rapport. Nous sommes passés d’une approche géographique, où l’on citait pays après pays, à une approche thématique, où l’on se concentre davantage sur les sujets. Cela ne doit pas représenter un alibi pour les pays tiers. Nous avons choisi une approche thématique, car nous estimons que la question des droits de l’Homme doit être au cœur des processus législatifs, à partir de la peine de mort, à la négation des droits civils et sociaux, et en passant par la torture ou les violences à l’encontre des femmes.
Quelles pistes de renforcement du travail avec les partenaires marocains ?
Nous allons rencontrer nos partenaires marocains dans les prochains mois. Il faudra alors effectuer un monitoring de la situation et vérifier les pas en avant, les avancées réalisées, ainsi que les points sur lesquels il faut s’améliorer. Nous pourrons également produire un rapport bilatéral qui pourra être utile pour atteindre nos objectifs. Je suis très confiant. À cet égard, la Commission parlementaire mixte Maroc-UE s’est imposée comme un acteur incontournable pour les relations entre nos deux institutions, et le Maroc dispose désormais d’un instrument très fort pour renforcer la coopération avec l’Union européenne. Je tiens à rappeler ma fierté d’avoir co-présidé la Commission parlementaire mixte Maroc-Union européenne, lors de son dernier mandat au côté de mon collègue, Abderrahim Atmoun, co-président de la CPM. En tant que membre, et en tant que président de la Commission des droits de l’Homme, j’espère poursuivre ce travail aux côtés de ma collègue Ines Ayala Sender, nouvelle co-présidente de la CPM.
Vous effectuez une visite au Maroc dans un contexte particulier, celui du SIAM, de la tenue de la Commission parlementaire mixte Maroc-UE, de la mise en place du nouveau gouvernement… Quelles sont vos impressions ?
Au SIAM de Meknès, nous avons pu visiter le pavillon international. Mon pays, l’Italie, était d’ailleurs l’invité d’honneur de cette édition. Le processus de modernisation de l’agriculture marocaine représente un marché intéressant pour les opérateurs économiques italiens et européens. J’espère que l’on pourra développer des collaborations accrues dans ce domaine. En ce qui concerne le nouveau gouvernement, nous avons assisté à la séance de présentation de la déclaration gouvernementale, six mois après les dernières élections législatives. J’ai noté une longue liste d’engagements. Maintenant, il s’agit de voir comment le gouvernement mettra en œuvre ces engagements et comment il travaillera avec le Parlement. Le discours du chef du gouvernement avait de la substance, j’ai tout de même une remarque à y apporter : l’absence d’une quelconque référence à l’Union européenne. Notre disponibilité en tant que Parlement européen a, quant à elle, été clairement démontrée lors de la 8e réunion de la Commission parlementaire mixte Maroc-Union européenne, tenue les 18 et 19 avril au Maroc.