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Le contrat social marocain en 5 questions

À quoi pourrait ressembler un contrat social marocain? Responsables publics,  universitaires, syndicalistes et entrepreneurs apportent des éléments de réponse.

Et si on dessinait un contrat social marocain? L’esquisse de ce tableau s’apparente à un exercice où l’art de la négociation doit s’allier avec le génie de l’innovation pour répondre aux besoins pressants des différentes composantes de la société marocaine. Ce futur contrat serait-il une formalisation d’un autre, non-écrit, entre acteurs économiques et sociaux? La CGEM a posé la question du contrat social dans le pays lors de sa conférence du 26 avril, selon son optique de la relation employeurs-employés. Cette journée a finalement débordé de son thème de départ pour aller vers des questions systémiques. Sans une approche holistique, il sera difficile de réconcilier entre les intérêts des différents acteurs de la société et les contraintes de l’État. Dans ce débat de quatre heures, deux postures se sont dégagées. Les premiers sont les tenants d’une nécessité d’avoir «une approche de rupture pour faire face à la disruption technologique dans le monde du travail». Un discours porté par Jamal Belahrach, de la CGEM, ou encore Ahmed Rahhou, du CESE. À l’opposé, une deuxième posture défend la nécessité de partir de l’existant et de l’améliorer, notamment sur le plan législatif. C’est la position défendue par les représentants syndicaux et gouvernementaux. Certes, les échanges n’étaient pas manichéens et laissaient place au consensus sur certains points. « Nous sommes tous d’accord aujourd’hui sur le fait que le notre modèle de développement est à bout de souffle. Une position critique exprimée par la plus haute autorité de l’État. Le registre de la critique est donc épuisé. Il faut laisser place aux propositions», appelle Fouad Benseddik, membre du CESE. En partant de ce «consensus négatif», 22 intervenants se sont relayés pour répondre à la question du jour «Quel contrat social pour le Maroc?».

Question n°1: Quelles références?
Le nom de Jean-Jacques Rousseau, auteur du Contrat social, est rapidement apparu dans la discussion. «C’est un livre qui mérite d’être relu aujourd’hui», affirme Benseddik. Larbi Jaidi, professeur universitaire, abonde dans le même sens, tout en y ajoutant des références anglo-saxonnes comme les philosophes libéraux David Hume ou John Locke.   Le texte marocain le plus cité comme référence à tout contrat social est tout naturellement la Constitution de 2011. Tawfik Mouline, DG de l’IRES, y ajoute «le rapport du cinquantenaire» qu’il décrit comme «un document de diagnostic et de propositions essentiel» pour formaliser ce futur contrat social. «Le Maroc dispose d’un arsenal juridique extraordinaire», rappelle Miloudi Moukharik, SG de l’UMT. «Sauf que l’effectivité de la loi fait défaut», regrette Abdelfettah El Baghdadi, du bureau exécutif de la CDT. Les syndicalistes évoquent l’accord du 25 avril 2011, dont certaines dispositions ne sont pas toujours appliquées. On y ajoutera l’accord de 1996 qui serait le premier grand accord social au Maroc à sceller une paix sociale, balisant le terrain aux privatisations et l’avènement du gouvernement d’alternance. «Dans la hiérarchie des normes, la Constitution demeure la loi suprême du pays. Si un contrat social est signé, il faudra bien définir son statut juridique avant sa ratification», souligne le représentant de l’UNTM.  

Question n°2:  Quel contenu?
«Les deux grands modèles de protection sociale sont en crise. Le modèle libéral comme celui de l’État-providence social sont confrontés à des difficultés depuis la crise économique de 2008», rappelle Jaidi. Le modèle des pays nordiques avec la flexisécurité séduit, notamment à la CGEM, mais est-il applicable dans un pays où l’État-providence n’a jamais eu droit de cité? Les résultats d’un nouveau rapport du CESE alertent sur l’indigence de la situation de la protection sociale des Marocains. «Nous sommes parmi les derniers pays de la région MENA dans ce domaine», confirme Benseddik. Ce rapport révèle le décalage entre les capacités et la volonté de l’État d’étendre la couverture sociale.   La CGEM a fait appel à l’expertise du Bureau international du travail (BIT) lors de cette journée. «Nos études montrent que les obstacles à l’instauration d’un socle de minima sociaux sont d’abord politiques, matérialisés par des raisons fiscales ou idéologiques», analyse Youcef Ghellab, expert au BIT. Sur ce registre, Driss El Yazami, président du CNDH, met les points sur les i: «Il ne faut pas avoir peur des mots: un contrat social, c’est d’abord un contrat politique». Et El Baghdadi, de la CDT, de renchérir: «:nous sommes preneurs d’un contrat qui permettra de consolider la démocratie et de prévenir les interférences entre les pouvoirs politiques et économiques». De son côté, Jaidi insiste pour que ce contrat «dépasse le champ de la relation patronat-syndicats afin de couvrir le rapport entre la société et l’État, et particulièrement la protection sociale».

Question n°3:  Quelles priorités?
La réforme de l’éducation fait l’unanimité, à en croire les intervenants. Or, si on se réfère à un sondage réalisé par le CNDH auprès de 3.685 ménages, il en ressort plutôt que les Marocains admettent trois significations de l’accès aux droits humains: «Travail, éducation et santé». Ce triptyque est «au cœur du contrat social pour les Marocains», conclut El Yazami. Cette expression pour l’accès aux services de base est en train de modifier les conceptions, même les plus idéologiques, portées par des institutions comme la Banque mondiale. «Le Printemps arabe a fait resurgir les besoins des citoyens en termes de services publics. Ceci passe par un contrat social solide qui dépasse le seul domaine de l’emploi pour aller vers l’amélioration de la qualité des services publics», recommande Anne-Lucie Lefebvre, experte à la Banque mondiale. L’emploi féminin et des jeunes sont aussi des préoccupations majeures.

Question n°4: Quels acteurs?
La CGEM, initiatrice de ce débat, ne souhaite pas porter seule le poids d’un tel projet. «L’ensemble des parties prenantes doivent y prendre part. Avec les syndicats, nous nous ne sommes pas toujours d’accord, mais nous avons pu créer un espace de dialogue, sans avoir d’agenda caché», souligne Meriem Bensalah-Chaqroun, présidente de la CGEM. En plus des employeurs et des représentants des employés, qui doit prendre part à ce contrat? «Le salariat n’est pas l’activité dominante au Maroc. Un contrat doit donc aussi inclure d’autres pans de l’économie», rappelle Rahhou. Même son de cloche de Jaidi: les syndicats partout dans le monde souffrent «d’un déficit de crédibilité et de représentativité. Le taux de syndicalisation au Maroc stagne à 10%. Il faut donc élargir la représentativité des salariés». El Yazami appelle à multiplier les lieux de délibérations citoyennes pour renforcer les institutions. «Si on avait installé ces espaces, on aurait eu 36 instances au niveau des régions, 86 au niveau des conseils préfectoraux, 1.300 conseils de la parité et de l’égalité dans les conseils communaux», énumère le président du CNDH. Ces espaces manquant, et à défaut d’une confiance, les citoyens ont pris d’assaut de nouveaux moyens d’expression, en particulier les réseaux sociaux.

Question n°5: Quels freins?
86% des entreprises ont moins de 10 salariés, 62% des entreprises ont moins de 3 salariés, alors que seul 1% des entreprises ont plus de 200 salariés. Ces chiffres rappelés par Benseddik indique une fragilité du tissu économique qui serait  à l’origine de cette vulnérabilité économique des salariés comme de leurs employeurs. Deuxième frein structurel, l’informel. «Ce sont les mêmes qui paient: les salariés et les entreprises structurées. Il faut élargir l’assiette et y inclure l’informel», préconise la présidente de la CGEM. Moukharik de l’UMT se joint à cet appel pour dénoncer «la contrebande sociale de certains entrepreneurs et la sous-déclaration à la CNSS. 47% des déclarés à la caisse gagnent moins que le SMIG. C’est inacceptable».


Larbi Jaidi
Professeur universitaire

Ce contrat doit apporter une réponse à la conflictualité actuelle exprimée dans les territoires, et permettre une stabilisation sociale. Un contrat, c’est un moyen pour mieux dialoguer avec la société. La société connaît des transformations de son mode de vie et de consommation, et aspire à une meilleure qualité de vie. Elle revendique plus de droits. Ce dialogue doit être ouvert et transparent».

Ahmed Rahhou
PDG du CIH et membre du CESE

Un contrat doit prendre en compte la dimension de la régionalisation pour élargir le champ aux territoires, et ainsi pouvoir intégrer les spécificités de chaque région. Ce document doit pouvoir nous permettre de disposer d’un cadre moins rigide au niveau du droit du travail en respectant aussi les spécificités sectorielles. L’objectif ultime est de restaurer la confiance entre les acteurs».


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