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Dialogue social et réforme administrative : La méthode Benabdelkader

Mohamed Benabdelkader, ministre chargé de la Réforme de l’administration et de la fonction publique

Le ministre chargé de la Réforme de l’administration et de la fonction publique, Mohamed Benabdelkader,  pointe  du doigt les maux du secteur,  affichant sa volonté de changer de paradigme. Cette fois-ci sera-t-elle la bonne ? En tout cas, le responsable gouvernemental est optimiste tout en reconnaissant les difficultés à mettre en œuvre la réforme escomptée. Il compte s’attaquer, en premier lieu, à la refonte de la haute fonction. Au niveau du dialogue social, sa mission ne sera pas de tout repos au vu de la position de son parti politique et de la doléance syndicale relative à l’augmentation salariale…Benabdelkader reste prudent sur ce dossier épineux. Des réunions «individuelles et informelles» ont été tenues, lundi, entre les quatre centrales syndicales les plus représentatives et le chef de gouvernement pour baliser le terrain à la seconde réunion du premier round du dialogue social.

Les Inspirations ÉCO : Le dialogue social est un dossier épineux surtout pour vous en tant que ministre socialiste de la Fonction publique. Votre mission semble délicate au vu des attentes des salariés et de la position de l’USFP sur cette question…
Mohamed Benabdelkader : En dépit de la conjoncture nationale difficile, le gouvernement s’est engagé avec détermination à reprendre et institutionnaliser le dialogue social qui était pratiquement au point mort. On aurait pu prendre le temps nécessaire avant de lancer le premier round. Il n’est pas, en effet, courant qu’un gouvernement entame le dialogue social pendant les six premiers mois de son mandat, alors qu’on est en pleine dynamique de préparation du projet de loi de finances. Mais, l’engagement du gouvernement est ferme en la matière.

Ne pensez-vous pas que le dialogue social pourrait buter sur la question de l’augmentation salariale ?
Cette question a été évoquée lors de la première réunion. Nous avons écouté très attentivement les interventions des dirigeants des centrales syndicales mais aussi celles des représentants du patronat. Plusieurs points ont été soulevés comme l’augmentation des salaires, la pression fiscale, la loi de la grève…Du côté du gouvernement, le ministre de l’Économie et des finances a exposé les grandes lignes du projet de loi de finances en précisant les différents indicateurs.

Est-il possible de répondre à la doléance syndicale de l’augmentation salariale dans la fonction publique ?
La première réunion s’est déroulée dans une ambiance prometteuse. Mais, les négociations n’ont pas été entamées. Nous nous sommes mis d’accord sur la nécessité d’adopter une méthodologie de travail en vue de parvenir à une charte sociale. Il faut pouvoir formaliser les accords et les négociations. Tout est possible dans les limites des moyens du pays.

Pourquoi évitez-vous de vous exprimer clairement sur les augmentations salariales ?
Je ne suis pas le porte-parole du gouvernement et je tiens à respecter mon statut. Je coordonne le pôle «secteur public». Le premier secrétaire de l’USFP s’est exprimé lors d’une rencontre ouverte à l’occasion de la présentation du bilan des 120 premiers jours de l’action gouvernementale sur la position du parti en ce qui concerne le dialogue social. Je l’ai fait, moi-aussi, à plusieurs reprises. Mais, quand il s’agit d’une réunion de dialogue social, les choses sont différentes. La question de l’augmentation salariale a été posée par les syndicats ; et le gouvernement a promis de poursuivre le dialogue sur ce dossier et d’autres points.

Vous allez donc étudier cette question en fonction de la marge de manœuvre budgétaire dont dispose le gouvernement ?
Cette question ne sera pas forcément inscrite au niveau de la loi de Finances de cette année. Nous souhaiterions aboutir à une charte étalée sur deux, voire, trois ans pour avoir une vision claire et pouvoir aller progressivement dans les limites des possibilités du pays. En s’écoutant les uns les autres, tout est possible. Je suis optimiste. Nous espérons promouvoir la qualité du dialogue social.

Est-il possible de changer, enfin, l’image  écornée de l’administration auprès de l’opinion publique ?  
Dans l’immédiat, il serait peut-être difficile d’avoir une réponse. Ce sont les urnes qui vont apporter la réponse à cette question. Notre vision est désormais claire. Il est important de souligner que l’administration fonctionne déjà et que des chantiers sont lancés partout. Mais, il reste à corriger des dysfonctionnements et des pathologies. Nous avons hérité d’une administration interventionniste. Ce n’est qu’à partir de la fin des années 80 que le concept de la modernisation des services publics a vu le jour, grâce au discours de feu le souverain Hassan II. Un autre discours royal de 1999 sur le nouveau concept de l’autorité constitue un tournant décisif dans la réforme de l’administration qui doit être au service du citoyen et de l’intérêt public. Fini l’administration autoritaire, pliée sur elle-même et se concentrant sur les acquis et les droits des fonctionnaires. L’administration existe pour être au service du citoyen. En tant que pays émergeant, le Maroc a des engagements au niveau continental et international. À cela s’ajoute une donnée importante : des citoyens de plus en plus exigeants. Notre pays mérite une autre administration qui ne fait pas traîner les dossiers.

Quelles sont les mesures prioritaires à court terme ?
Après le discours du trône du 29 juillet, le chef de gouvernement a créé une commission ad hoc qui a proposé quinze mesures réglementaires et de gestion. Parmi ces mesures, certaines concernent l’amélioration des relations entre l’administration et le citoyen. Outre les textes déjà adoptés récemment, un projet de décret, -déjà finalisé que je vais proposer bientôt à l’adoption au Conseil de gouvernement-, vise à améliorer les services administratifs sur la base de trois principes : la transcription de toutes les procédures pour éviter les abus, l’affichage des pièces demandées (le droit d’accès à l’information) et l’opposabilité. Toute infraction aux règles sera passible de sanction. Il est proposé de créer un bureau d’orientation dans chaque administration. Par ailleurs, un portail dédié aux réclamations des citoyens est en train d’être finalisé pour unifier le système de la réception et du traitement des plaintes. Il devra être lancé en janvier, soit six mois après la publication du décret y afférent au Bulletin officiel. Un rapport périodique sera élaboré sur les traitements des plaintes par les différentes administrations.

Le gouvernement a-t-il concrètement les moyens de lutter contre la corruption qui entache plusieurs secteurs dont la justice ?
La volonté politique existe et elle est plus importante que les moyens. La dimension éthique dans l’action publique a été introduite dès le gouvernement Youssoufi. Néanmoins, les actions prises ne s’inscrivaient pas dans une vision intégrée. La stratégie de lutte contre la corruption a été élaborée en concertation avec la société civile. Elle est transversale et est basée sur plusieurs volets dont la communication, l’éducation et la prévention. À mon niveau, je chapeaute le volet de la transparence et de l’intégrité des services publics. Parmi les mesures phares, figure la dématérialisation du rapport entre le citoyen et l’administration pour davantage d’efficacité et de transparence. Je suis en train de réfléchir à une idée importante : la mise en place de deux guichets dans les administrations chargées de l’accueil dont l’une dédiée aux citoyens qui tendent à un service rapide moyennant paiement.

Ne pensez-vous pas que cette question peut créer des problèmes et provoquer une polémique sur l’égalité d’accès aux services publics ?
Il s’agit de mettre en place deux guichets. Au lieu de recourir à la corruption, le citoyen peut payer l’État pour bénéficier d’un service rapide. Il ne faut pas tout critiquer. C’est une idée pour améliorer les conditions d’accueil et lutter contre la corruption. Dans ce cadre, je tiens à annoncer que nous travaillons sur une charte d’amélioration des services publics.

Le projet relatif au droit d’accès à l’information traîne à la Chambre des conseillers et est très critiqué en raison de ses multiples restrictions. Êtes-vous prêt à accepter les propositions d’amendement ?
Tous les pays ont une liste de restrictions relatives aux secrets d’État, à la défense…Cela s’inscrit dans le cadre de la souveraineté de l’État. Chaque pays négocie avec les forces vives cette liste en fonction du niveau d’évolution de la société et des institutions. Le projet est amendable dans le cadre du renforcement du mécanisme des droits de l’Homme, de la démocratie et de la transparence. Il faut accélérer le processus pour que le Maroc gagne le point qui lui manque pour accéder à l’initiative du partenariat pour un gouvernement ouvert. Nous travaillons sur tous les fronts : national, international, législatif, exécutif…

Que comptez-vous changer au niveau du statut de la fonction publique ?
Il faut non seulement revoir le texte, mais procéder plutôt à une refonte globale du système de la fonction publique. Le modèle actuel est inspiré du modèle français axé sur la gestion des carrières, alors qu’il faut un système basé sur la gestion des compétences à l’instar de ce qui se fait dans les pays anglo-saxons. Au fil des ans, on a créé une fonction publique fermée qui gère des carrières au lieu de gérer des compétences. Il est temps de changer cette situation. Au niveau de chaque métier, il faut définir des compétences. Des réformes ont été faites auparavant. Mais, cette fois-ci nous tendons à changer de paradigme en vue de transformer l’administration pour qu’elle soit au service du citoyen. Le Maroc mérite une autre administration en se basant sur quatre transformations que je dois négocier. Au niveau manageriel, je dois mener un plaidoyer pour une transition vers une gestion de compétences basée sur la méritocratie et la justice salariale. Il faut dire que la promotion par ancienneté produit la paresse et l’inefficacité. Certes, le changement va être difficile et compliqué. Mais, il faut mettre le train sur les rails. La réforme doit être par la haute fonction publique. Il est aussi possible d’aborder la fonction publique en général ne serait-ce qu’en matière de réduction des statuts spécifiques pour les regrouper en trois catégories uniquement : les décideurs, la catégorie de maîtrise, et celle de l’exécution. Outre le volet manageriel, nous comptons sur la transformation organisationnelle à travers la charte de la déconcentration, la transformation numérique ainsi que la transformation éthique (la stratégie de lutte contre la corruption, le gouvernement ouvert…).


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