Botola Pro : Les nouvelles exigences comptables des clubs de foot
Fini l’anarchie, l’heure est à la transparence dans la gestion des finances des clubs de football. Ceux évoluant en première et deuxième divisions doivent désormais se conformer au plan comptable qui vient de recevoir le feu vert du ministère des Finances. Les détails…
Présidé mercredi dernier par le ministre des Finances, le Conseil national de la comptabilité (CNC) a ratifié plusieurs nouvelles normes, dont le tout premier plan comptable dédié aux clubs de la Botola Pro. L’objectif est de mettre de l’ordre dans la gestion et garantir la transparence des informations financières soumises au contrôle des auditeurs externes. La Fédération royale marocaine de football souligne, en préambule du document soumis à l’approbation du CNC, que la transparence financière sera de nature à favoriser l’augmentation des ressources des clubs et à rationaliser les charges. «Du fait de la certification de leurs états financiers par des experts indépendants, les clubs enregistreront un saut qualitatif au niveau de leur gouvernance, de la reddition de leurs comptes et de leurs performances», ajoute la Fédération. La transparence serait même exigée si l’on sait que tous les clubs bénéficient de concours financiers publics provenant de collectivités territoriales et d’établissements et entreprises publics.
Le nouveau plan comptable oblige les clubs à établir des états de synthèse à la fin de chaque exercice comptable. Toute écriture comptable doit faire l’objet d’un ordre de recette, d’un ordre de paiement ou d’un ordre d’imputation appuyés de pièces justificatives probantes. Toute dépense doit être préalablement engagée, ordonnancée et liquidée. Les clubs sont tenus de disposer constamment de ressources financières suffisantes et compatibles avec le volume de leurs activités. La priorité est donnée à la solvabilité, à l’autonomie et la prévention des risques. Ainsi, par exemple, il sera strictement interdit de recruter de nouveaux joueurs sans avoir préalablement honoré ses dettes antérieures. La traçabilité aussi demeure incontournable. Le système d’information du club doit permettre d’obtenir à tout moment un certain nombre de documents : situations et prévisions de trésorerie, états de reporting sur les réalisations budgétaires, états des salaires et rémunérations, les états des salaires, les états des assurances souscrites, des arriérés de créances et de dettes, etc.
Aussi, le nouveau plan insiste sur la notion du contrôle interne en obligeant les clubs à se doter d’un dispositif dédié à cette fonction. Cela implique une organisation et des procédures appropriées (organigramme, etc.), une délégation de pouvoirs, une tenue des comptes permettant leur suivi et leur justification (en séparant les dépenses importantes qui couvrent le long terme et celles courantes à court terme). Concernant la billetterie, des règles strictes sont à respecter (émission de billets propres à chaque match, une impression permettant d’éviter la falsification, la commercialisation selon des procédés évitant la spéculation, la rédaction à la fin de chaque manifestation d’un procès-verbal relatif à l’état de la billetterie en présence du commissaire du match). Des procédures formelles devront également encadrer la collecte des cotisations, dons et subventions, le traitement du courrier, la gestion des archives. Idem pour les sponsors qui auront droit à une procédure formelle de suivi et de fidélisation, requérant la mise en place d’une cellule de contact et d’une stratégie de sponsorisation bien identifiée.
Une compta’ pour les clubs TPME
À la fameuse problématique des avances accordées par les dirigeants des clubs, le nouveau système de contrôle interne insiste à ce que les avances de faible montant (aucun seuil n’est précisé dans le document de la FRMF) soient justifiées en faisant l’objet d’un accord de la part de l’organe de direction. Quant aux avances dont le montant est important, elles devront transiter par des comptes courants des dirigeants et membres de l’organe de direction et être considérées comme des dettes. La récupération de ces avances sera soumise à l’approbation de l’organe de direction qui ne doit pas omettre de respecter les équilibres financiers du club. Le nouveau plan réserve tout un chapitre aux opérations relatives aux joueurs. Ces derniers sont considérés comme un «actif immatériel», et donc une source principale de performance à la fois sportive et financière. Le club a ainsi le droit d’utiliser les qualifications techniques d’un joueur dans l’intention d’augmenter ses performances financières. Les contrats des joueurs acquis sont à comptabiliser en tant qu’immobilisations incorporelles pour leur coût d’acquisition. Une distinction sera établie entre la prime de signature, la prime de rendement servie au joueur et le bonus sur contrat servi au club cédant. D’autres règles ont été fixées pour le recrutement des joueurs professionnels de moins de 23 ans, les prêts/emprunts de joueurs, la résiliation des contrats, etc. Par ailleurs, un traitement spécial est accordé aux clubs «TPME». Des simplifications seront accordées aux associations dont le total annuel des dépenses est inférieur à dix millions DH. Ces clubs sont dispensés de l’établissement du manuel d’organisation comptable et peuvent se contenter d’un bilan et d’un compte de produits et de charges (CPC).
ISSAM EL MAGUIRI
Président du Conseil national de l’Ordre des experts comptables
En tant que professionnels, nous ne pouvons que saluer l’adoption par le CNC du plan comptable des clubs de football. Nous espérons que les clubs concernés prendront les mesures nécessaires pour lui assurer une meilleure application. Les auditeurs sont appelés à jouer un rôle majeur dans l’accompagnement des clubs. Si des difficultés surgissent dans la mise en application de ce plan, notre profession restera mobilisée pour apporter le soutien nécessaire. Je tiens à féliciter les professionnels de la comptabilité et le ministère des Finances qui se sont mobilisés pour élaborer ce plan ainsi que d’autres projets sur lesquels nous sommes en train de travailler, dont le projet d’amendement du plan comptable des sociétés de crédit pour l’adapter à la finance participative, le projet relatif aux OPCI, le mode de comptabilisation du chiffre d’affaires et d’évaluation des stocks par les sociétés de promotion immobilière, etc.
Plan comptable : Une révolution culturelle pour les clubs de foot
Mehdi El Fakir, Expert-comptable, consultant en risk management
L’économiste et expert-comptable, Mehdi El Fakir, commente à chaud l’esprit et le contenu du plan comptable des clubs de football de la Botola Pro.
Les Inspirations ÉCO : Quelle appréciation faites-vous du nouveau plan comptable des clubs de foot ?
Mehdi El Fakir : Ce plan est annonciateur d’une vraie «révolution culturelle» dans la gestion des clubs, dans la mesure où il consacre le passage d’une comptabilité de trésorerie à une comptabilité d’engagements, où l’ensemble des actes de gestion d’un club est désormais «transcriptible» d’un point de vue comptable, abstraction faite de l’impact sur la trésorerie (recette-encaissement/dépense-décaissement). Ainsi, les dettes, les créances et les engagements commerciaux, contractuels et fiscaux doivent être repris de façon fidèle et surtout exhaustive. Les clubs seraient en mesure d’améliorer leur gestion en disposant d’une information comptable et financière pertinente afin de veiller au maintien de la stabilité financière et d’appuyer l’opportunité de la prise de décision par les instances du club (transferts-gratifications – financement d’investissement…). Par ailleurs, le plan impose certaines mœurs en matière de gestion courante tendant à instaurer une culture de transparence et d’optimisation des ressources (appel à la concurrence notamment) ce qui renforcera la confiance vis-à-vis des sponsors et des organes de soutien et apportera de la légitimité à toutes futures sollicitations d’appui financier de la part des clubs. C’est une première étape pour évoluer d’une professionnalisation sur le terrain vers une professionnalisation financière qui devra à terme faciliter la transformation tant souhaitée des clubs du statut d’association vers le statut capitalistique (société de capitaux).
Le nouveau plan insiste sur la notion de contrôle interne. Qu’est-ce que cela implique pour les clubs concernés ?
Le plan oblige à mettre en place un dispositif de contrôle interne afin de sauvegarder leur patrimoine, d’assurer le respect des lois et règlements en vigueur (y compris sur le plan fiscal), garantir la fiabilité et la sincérité des opérations et prévenir les fraudes et les erreurs. Ce dispositif devrait être transposé à deux niveaux : un premier niveau de contrôle permanent à travers la mise en place des mécanismes de suivi et de contrôle de nature procédurale (manuel des procédures, instructions…), des mécanismes d’appréciation de gestion et de pilotage (comptabilité analytique – contrôle de gestion) ainsi que des instances dédiées (comité d’audit et de contrôle – comité stratégique…). Puis, un deuxième niveau de contrôle périodique dans la mesure où les clubs sont désormais soumis à l’obligation de passer par un audit externe auprès d’un expert-comptable inscrit à l’Ordre, selon une fréquence annuelle afin d’exprimer une opinion sur l’image fidèle des comptes et leur conformité aux référentiels (notamment comptables) en vigueur au Maroc. L’objectif est de dimensionner dans un premier temps le dispositif selon la taille et le volume d’activité du club en vue de le faire évoluer/mûrir avec le temps en créant une dynamique managériale grâce au retour/cumul d’expérience sur lequel les instances et les structures de gestion vont capitaliser.
Quelles sont les actions que les clubs doivent entreprendre pour se conformer au nouveau plan comptable ?
Les clubs doivent dès maintenant se pencher sur la mise en place du plan en initiant dans un premier temps une étude d’impact afin de décider une feuille de route pour ce chantier. Plus ils anticipent ce passage, plus les clubs auront le temps matériel pour gérer et faire plier les contraintes qui vont être identifiées. Cette étape devrait faire l’objet d’échanges et d’un travail de communication en interne afin d’expliquer les impacts futurs, pour ne citer que les aspects d’ordre fiscal : justification des dépenses par des factures, fiscalisation des rémunérations des joueurs, etc. Dans un deuxième temps, il faut se doter des moyens humains et matériels nécessaires pour cette transition en recrutant du personnel comptable dédié (le cas échéant en sous-traitant avec un cahier des charges précis et conforme aux prescriptions du nouveau plan) mais également en se dotant des outils de gestion courante (progiciel dédié) et de pilotage (tableaux de bord, indicateurs de gestion…). En dernier lieu, un programme de formation et de sensibilisation dédié devra être conçu et entrepris au profit des différentes parties prenantes du club afin de garantir l’adhésion aux changements induits par le nouveau plan. Il est fortement recommandé de se faire accompagner par des experts en la matière afin de garantir la bonne conduite et la réalisation des objectifs d’une transition aussi stratégique que vitale.