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Abdelkrim Belguendouz : «Le Maroc doit refuser d’accueillir des centres de rétention»

Abdelkrim Belguendouz, professeur universitaire, chercheur en migration

À l’occasion du 5e anniversaire de la Stratégie nationale d’immigration et d’asile (SNIA), Pr Abdelkrim Belguendouz déploie sa  fine maîtrise des enjeux liés à la migration pour  analyser l’actualité de la migration et tracer un premier bilan de la SNIA.

Depuis le 4 août dernier, les autorités déplacent des migrants subsahariens du nord vers le sud du pays. Comment expliquez-vous cette campagne ?
Ces déplacements forcés suscitent d’abord deux remarques. En premier lieu, ces opérations sont d’une violence inouïe. Une véritable chasse à l’homme touchant même ceux qui sont en situation régulière. Cette opération mine le vivre-ensemble. Deuxième remarque, même si le gouvernement dit ne pas vouloir jouer au gendarme de l’Europe, ces déplacements sont un message du Maroc à l’adresse des Européens disant qu’on fait le job sécuritaire et ce, en éloignant les migrants du détroit de Gibraltar et des deux villes sous occupation espagnole, Sebta et Melilia. Cette campagne, de même que l’acceptation par le Maroc des «refoulés à chaud» de l’Espagne et l’expulsion de certains vers leur pays d’origine avec la connivence de leur ambassade, sont des faits troublants. Ils sont en totale contradiction avec la nouvelle politique migratoire basée sur une démarche humaniste et un acte de solidarité avec les autres peuples africains.

Pourtant, les autorités avancent que cette opération vise le démantèlement des réseaux de passeurs…
On ne les contredira pas. Cependant, la traque doit concerner en priorité les passeurs et les réseaux de traite, non les migrants. Ce combat doit être mené sans relâche. Sur ce plan, la demande d’aide du Maroc à l’Europe peut se justifier.

On lie le timing de cette campagne à l’augmentation des aides à recevoir par le Maroc. Partagez-vous cette lecture ?
Il faut faire la distinction entre deux positions, même si elles mènent à des résultats similaires. La première est celle de l’Europe. Sa volonté est sans ambiguïté : l’UE veut voir les pays du Sud jouer le rôle de gendarme face aux flux migratoires irréguliers. Pour assurer ce rôle, le Maroc reçoit des demandes nombreuses et insistantes, comme la création de centres de rétention, de tri ou de débarquement des migrants sauvés en mer, ainsi que la création de hotspots pour étudier les demandes d’asile en Europe depuis le sol marocain.

Comment les autorités marocaines gèrent-elles ces demandes de l’Europe ?
À juste titre, toutes ces propositions ont été refusées par le Maroc. Le royaume doit continuer à opposer son refus. En revanche, les autorités sollicitent l’aide de l’Europe pour l’équipement en matériels pouvant permettre de mieux lutter contre les réseaux des passeurs. Pour cette raison, la deuxième position, celle du Maroc, est qu’il ne mène pas l’actuelle campagne de déplacements forcés contre une aide financière européenne. Ce n’est pas du donnant-donnant, il ne s’agit pas d’être payé pour le faire. C’est plus complexe que cela.

Mais le Maroc a réclamé, durant la même période, “davantage d’aides de l’UE”…
Ces demandes ne sont pas nouvelles. Elles s’expliquent par la nécessaire responsabilité partagée dans la lutte contre les passeurs .La surenchère observée durant le mois d’août est d’abord alimentée par l’Espagne. C’est une manière pour ce pays de se présenter comme «l’avocat du Maroc» auprès de l’UE. En réalité, l’Espagne défend ses propres intérêts.

La Stratégie nationale d’immigration et d’asile fête ses cinq ans cette année. Quel est votre premier bilan de cette politique publique ?
Cette politique est louable, elle doit réussir avec l’apport de tous, sauf que sa mise en œuvre comporte des insuffisances. Nous constatons un retard inexplicable dans la nouvelle législation relative à l’immigration et à l’asile. On ne peut parler d’une nouvelle politique si elle n’est pas adossée à une loi sur l’asile et à une refonte en profondeur de la loi 02-03 relative à l’immigration. La politique humaniste du Maroc doit se traduire par l’accès aux droits sociaux, économiques, culturels, politiques (Constitution, article 30) aux nouveaux arrivants. Dans les faits, malgré certains efforts, le gouvernement se contente de se tresser des lauriers, un satisfecit officiel entaché cette année par la traque aux migrants menée au Nord. Maintenant, cette stratégie a le mérite d’exister en tant que volonté politique assumée du Maroc, un choix courageux, souverain et irréversible.

Quel bilan faites-vous de la stratégie nationale visant les Marocains résidant à l’étranger (MRE) ?
Nous n’avons pas encore de stratégie nationale globale, cohérente et intégrée concernant les citoyens MRE. Certes, il y a des actions en leur direction couvrant les domaines de la culture, de l’enseignement, de la pratique religieuse ou de la mobilisation des compétences, mais sans vision d’ensemble, comme la Cour des Comptes vient d’ailleurs de le soulever. Pourtant, le besoin d’avoir un cap, d’améliorer la coordination et la synergie entre les différents intervenants dans ce secteur se fait sentir. 


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