Les Marocains d’Espagne: Enracinement et mobilité
Marocains du monde (2/9)
Dans notre série estivale sur «Marocains du monde», tirée de l’ouvrage de Marocains de l’Extérieur édité par la Fondation Hassan II, nous nous arrêtons sur la situation des Marocains d’Espagne. L’editing est de Les Inspirations ÉCO.
L’effectif des Marocains d’Espagne de l’après-crise de 2008 dépasse le million, soit 20% des Marocains du Monde. Jeune à ses débuts, cette communauté esquisse un début de rééquilibrage démographique durant les années 2000. Enregistrant une certaine baisse dans les arrivées, elle tend à se stabiliser davantage, se féminise de plus en plus, continue à acquérir la nationalité espagnole et connaît même un début de vieillissement. Des aspects que ce chapitre traite sur la base des dernières données statistiques officielles produites en Espagne. Par ailleurs, la crise économique et ses conséquences n’ont rien changé à la place qu’occupaient les Marocains en tête de liste des travailleurs immigrés déclarés actifs occupés à la sécurité sociale. S’adaptant à un marché d’emploi instable, les travailleurs marocains sont désormais plus nombreux dans les services que dans le bâtiment et la construction, et plusieurs d’entre eux ont tenté l’aventure du travail autonome. À l’école, les élèves occupent, comme jadis, la première place parmi les écoliers étrangers en effectifs, avec néanmoins une situation préoccupante en termes de réussite scolaire. Décrochage scolaire et de moins en moins d’étudiants marocains dans les universités sont les nouvelles évolutions durant les dix dernières années […] L’immigration marocaine en Espagne, bien qu’étant relativement récente, comparée aux flux qui s’y sont dirigés, il y a bien longtemps de cela, vers les autres pays européens, a derrière elle assez d’années pour commencer à donner des signes de stabilisation. Baisse apparente des effectifs mais hausse des effectifs des naturalisés, équilibrage démographique accompagné d’une esquisse de vieillissement, scolarisation, densification du tissu associatif sont autant d’indicateurs qui révèlent cette stabilisation. Ce sont ces paramètres qui feront l’objet de cette première partie.
Baisse des effectifs globaux et hausse des Marocains communautaires
Leur nombre total avoisine le million, soit 15% de la population étrangère vivant en Espagne et 2% de la population totale espagnole. Ils constituent la deuxième communauté marocaine d’Europe et 20% des Marocains du Monde. Plus de 25% de cette communauté ont été naturalisés. Signes de la stabilisation de cette population, 27% sont nés en Espagne, 1/4 sont encore sur les bancs des écoles et 150.000 environ ont moins de dix ans d’âge. […] Il est une catégorie de Marocains dont le nombre enregistre une chute soutenue, incompréhensible et paradoxale à bien des égards. Il s’agit des étudiants universitaires. Ils étaient plus de 3.000 au début du siècle; aujourd’hui ils sont à peine la moitié. […] La croissance exponentielle des résidents marocains en Espagne qui a fait couler beaucoup d’encre dans le passé, fait désormais partie de l’histoire. Aujourd’hui, la situation s’est inversée puisque durant la décennie en cours, le nombre des Marocains titulaires d’un titre de séjour en cours de validité est passé d’environ 800.000 en 2012 à 760.000 en 2017, soit une baisse moyenne de 5.000 personnes par an, avec une chute en 2013-2014 de 14.445 . Le coup d’envoi de cette baisse fut l’année 2012, après une hausse importante de 20.146 entre 2011 et 2012, suivie immédiatement d’une baisse qui a perduré: -5.078 en 2012/2013, -14.445 l’année d’après, etc. Cette situation ne concerne pas uniquement les Marocains, elle touche l’ensemble des étrangers extracommunautaires. […] La communauté marocaine en Espagne qui, il y a quelques années encore, pouvait être considérée comme issue d’une migration récente peu stable, et fortement marquée par une mobilité internationale, renvoie aujourd’hui tous les signes d’une communauté bien ancrée. Rééquilibrage démographique, début de vieillissement de la population, nomadisme interrégional de familles entières avec enfants à charge et en situation légale de séjour, fort mouvement de naturalisation sont autant de signes qui annoncent cette stabilisation. Mais si cette communauté qui s’installe dans la durée vit aussi des difficultés comme l’échec scolaire et celui de l’expérience associative, notamment celle à caractère culturel, jadis dynamique, elle fait preuve de capacités d’adaptation aux contraintes de la vie. Ici, il faut souligner que les travailleurs marocains ne sont pas plus touchés par la crise et le chômage que les autres communautés et les nationaux. Le développement et la diversification de l’entrepreneuriat comme réponse à la crise, ainsi que le travail à domicile des Marocaines qui s’est développé durant la période étudiée sont le signe d’une adaptation de la famille et des mentalités aux conséquences de la crise économique. Quant au boom des naturalisations de 2013-2014, bien que facilité par une décision politique et un effort technique du gouvernent central espagnol, il est aussi le résultat d’une volonté des Marocains de s’intégrer dans la société espagnole. En termes de motifs, c’est plus par la naissance et la résidence de longue durée que par le mariage mixte que les Marocains obtiennent la nationalité. Les effectifs des résidents évoluent tout comme ceux des naissances, des naturalisés, des travailleurs, etc. mais ceux des détenus marocains semblent restés figés. Les étudiants marocains, eux, se détournent de l’université espagnole qui, en moins de dix ans, en a perdu plus de la moitié.
Défis d’une migration en mutation
Au terme de cette analyse, beaucoup de questions interpellent au sujet de l’évolution et de l’avenir des Marocains d’Espagne. Il faut, à ce propos, se rappeler un point essentiel des politiques publiques migratoires de l’Espagne. Le contexte migratoire de la décennie objet de cette analyse et les projections du gouvernement central à Madrid en la matière diffèrent de ceux d’antan. À titre d’exemple, en 2013, l’Espagne adopte une loi passée presque inaperçue (Loi 14/2013 du 27 septembre) qui traduit clairement la volonté du pays de changer de cap en matière d’immigration et d’en finir avec la conception traditionnelle «qui était utile dans le passé [et] devient insuffisante dans le nouveau contexte économique mondial». En résumé, le pays s’oriente vers une nouvelle direction, et de nouveaux profils de migrants sont visés: «Investisseurs, entrepreneurs, professionnels hautement qualifiés, chercheurs et transferts entre les entreprises ». Cela signifie qu’un avenir difficile se dessine pour les migrants marocains, qui généralement sont peu ou pas instruits, déficitaires en formation qualifiante avec un décrochage scolaire alarmant. Un an après l’entrée en vigueur de la loi susvisée, un Comité spécialisé de l’immigration voit le jour (le 10/07/2014) sur décision du Conseil de sécurité nationale. Présidé par le ministre de l’Intérieur, le comité est composé de 8 départements ministériels dont les Affaires étrangères, la Défense, la Justice en plus du département de la Sécurité nationale et du Centro Nacional de Inteligencia – CNI (contre-espionnage). Sa mission est de «renforcer au niveau politique stratégique les efforts de toutes les administrations publiques et des autres acteurs concernés pour faire face au phénomène de l’immigration avec une approche globale». Le Rapport annuel de sécurité nationale (IASN) élaboré par le département de la Sécurité nationale souligne dans le chapitre «Ordonnancement des flux migratoires» que «la question migratoire constitue un des principaux défis (…) Notre pays est toujours affecté par la migration irrégulière de la Méditerranée occidentale (…). Pour 2016, les grands défis en matière migratoire seront les mêmes qui ont marqué l’année 2015». Le rapport précise que l’immigration clandestine a enregistré une hausse de 16,7% par rapport à 2014 soit, en effectifs, 5.312 immigrés irréguliers. L’Espagne recevait des dizaines de milliers de clandestins par an. Cela relève désormais du passé. L’économique mondialisé et le sécuritaire vont-ils négliger ou reléguer au second plan le côté intégration des migrants sur place? Le Maroc et l’Espagne sont certes liés par des traités et accords bilatéraux qui touchent directement ou indirectement la chose migratoire, dont la communauté marocaine dans la péninsule. Des structures mixtes de travail y sont dédiées exclusivement et tiennent des réunions plus ou moins régulières. Comprendre et analyser les différents aspects de la situation des Marocains d’Espagne ne peut être accompli sans en tenir compte.
Où vivent les Marocains d’Espagne?
Géographiquement, deux grandes concentrations se détachent. La première, le long du littoral méditerranéen avec néanmoins deux sous-espaces: la Catalogne, autour de Barcelone, et l’espace compris entre Valence au Nord et Almería au Sud. La seconde concentration entoure Madrid. Le reste des Marocains sont dispersés un peu partout dans le reste du pays. Les chiffres confirment que 75,7% des Marocains sont installés dans 5 régions: la Catalogne (28,7%), l’Andalousie (16,4%), Murcie (11%), Madrid et Valence (9,8% et 9,7%). Or, ces cinq régions regroupent 75,1% des étrangers non-communautaires.
Bio express
Mohammed Khaldi est hispaniste, orienté vers les questions de la migration des Marocains à l’étranger et membre de l’Observatoire de la Communauté marocaine résidant à l’étranger relevant de la Fondation Hassan II pour les MRE. Diplômé ès Langue et littérature espagnoles de l’Université de Fès, et en Anthropologie culturelle à l’Institut d’études ibériques et latino-américaines de la Sorbonne. Il a contribué aux précédents ouvrages de la série Marocains de l’Extérieur.