Marché laitier. La fraude pénalise la filière
La mise en place d’un traceur pour identifier le lait en poudre rassure les associations de protection des consommateurs mais l’enjeu est ailleurs…Une réforme de l’ONSSA est dans les tuyaux.
Au centre des inquiétudes du mouvement consumériste, le marché laitier a connu une année 2018 difficile, entre mouvement de boycott, polémiques médiatiques et reconfiguration sectorielle…Ainsi pour couper court à la controverse et rassurer son monde, le ministère de l’Agriculture a déposé au Secrétariat général du gouvernement un projet de décret coercitif contre la fraude, qui a été diffusé aux membres de l’Exécutif. En effet, l’article 9 du décret du 7 décembre 2000 relatif au contrôle de la production et de la commercialisation du lait et produits laitiers ne permet pas la fabrication du lait pasteurisé à partir de lait en poudre reconstitué.
«Pour contrôler le respect de cette interdiction, les services de contrôle habilités se trouvent des difficultés du fait de l’absence de méthodes d’analyses de laboratoire permettant de différencier avec certitude un lait pasteurisé fabriqué avec du lait frais, un lait pasteurisé fabriqué avec du lait en poudre ou des préparations laitières reconstituées», indique le ministère.
La seule méthode pratique, simple et testée auparavant c’est le recherche dans le lait en poudre ou les préparations laitières d’un traceur additionné intentionnellement à ces produits dans l’objectif de lutter contre l’utilisation frauduleuse de lait en poudre ou les préparations du lait pasteurisé. Afin d’introduire dans la réglementation l’utilisation de cette méthode, le décret prévoit d’imposer aux établissements laitiers de ne détenir, fabriquer, utiliser ou entreposer que du lait en poudre ou des préparations laitières additionnées d’amidon (traceur) à raison de 5 gr/ kg. Cette disposition n’est applicable qu’aux établissements qui fabriquent des laits traités et non aux autres industries agroalimentaires qui fabriquent d’autres types de produits laitiers.
Un retour à une ancienne pratique
En réalité, la mise en place de ce «détecteur de mensonge» pour produits laitiers était déjà courante dans le royaume, ceci depuis le début des années 1980. «C’est sous la pression du lobby laitier que cette pratique a été abandonnée», nous explique Bouazza Kherrati, président de l’Association marocaine de protection et d’orientation du consommateur. Il ajoute : «Cette mesure était mise en forme par un service de répression des fraudes mais ce service n’est plus actif depuis la création de l’Office national de la sécuritaire sanitaire des produits alimentaires (ONSSA)». En effet, l’enjeu ici n’est pas sanitaire mais économique, la préparation laitière en poudre étant autorisée pour la préparation des dérivés laitiers tels que les laits fermentés, yaourts, fromages et desserts lactés…Selon le ministère, la reconstitution du lait à partir des préparations laitières et du beurre «ne présente pas d’intérêt économique particulier. Compte tenu du prix actuel de ces matières, le coût du lait reconstitué se situerait à 4 DH/litre, ce qui est équivalent voire 15% plus cher que le prix moyen du lait payé aux producteurs par les industriels laitiers».
Des données contestées par le mouvement consumériste qui indique qu’un lait pasteurisé fabriqué à base de lait en poudre devrait coûter «35% moins cher», ce qui rend la fraude autrement plus grave…Néanmoins, de part ses statuts, l’ONSSA n’est pas compétent. Dans ce cas, deux options se présentent pour le législateur. La première serait d’élargir les pouvoirs de l’ONSSA, à savoir l’élargissement des compétences d’intervention des agents habilités de l’office pour la recherche et la constatation des infractions, ce qui devra se traduire, entre autres, par la capacité de fermeture administrative temporaire des lieux suspects dans l’attente des résultats des analyses de laboratoires et des investigations complémentaires en cas de non-conformité des produits alimentaires. La seconde option, préférée par le mouvement consumériste, serait de réactiver l’instance de répression de la fraude, qui relève du ministère de l’Industrie et du commerce et dont la mission coercitive serait parallèle à celle de l’ONSSA. «Lors de ses années phares, à savoir entre 1983 et 1995, ce service veillait à assurer la qualité que les consommateurs sont en droit d’attendre d’un produit, alimentaire ou non-alimentaire ou d’un service, (règles d’étiquetage, de composition et de dénomination des marchandises, contrôle des falsifications et tromperies). Elle recherchait et constatait les infractions et manquements aux règles de protection des consommateurs (publicités mensongères, faux rabais, abus de faiblesse…) et vérifiait la bonne application des règles de publicité des prix», conclut Kherrati.