Khalid Zerouali : “Le soutien de l’UE n’est pas suffisant”
Wali, directeur de l’immigration et de la surveillance des frontières au ministère de l’Intérieur, Zerouali a mené les négociations avec l’UE pour le déblocage de fonds pour le Maroc et a dirigé la stratégie marocaine pour la lutte contre les réseaux de trafic. Cinq mois après, le directeur d’immigration nous livre le bilan de cette année chargée.
Depuis six mois, le royaume sollicite une aide européenne pour faire face à l’actuelle pression migratoire. Ces demandes ne sont-elles pas une forme de perte de souveraineté de la part du royaume ?
Le Maroc ne demande pas d’aide et reste souverain. Le Maroc travaille avec ses propres moyens. Mais nous sommes dans une démarche de responsabilité partagée, inscrite dans le cadre du Processus de Rabat. Nous sommes profondément convaincus que la gestion des frontières ne peut être menée par un seul pays. Dans ce domaine, la performance dépend des efforts collectifs. Si un des partenaires ne fait pas son travail, cette mission ne pourra être accomplie. Pour consacrer ce concept de responsabilité partagée, nos voisins du Nord doivent s’associer au travail que nous menons afin de lutter contre les réseaux de trafic d’êtres humains.
Où en est la promesse de l’UE de débloquer les 140 millions d’euros ?
Il ne s’agit pas d’une promesse mais d’un engagement. Cette enveloppe n’est pas suffisante, mais c’est un bon début sur lequel on peut s’appuyer aujourd’hui. La question migratoire ne va pas s’arrêter aujourd’hui, nous aspirons à une coopération durable avec nos partenaires du Nord.
Concrètement, comment ces fonds seront-ils dépensés ?
Nous évoluons dans un contexte régional marqué par une reprise de la pression migratoire sur le Maroc, encouragés par des facteurs d’appel au niveau des pays émetteurs. Cette pression peut être évaluée selon l’indicateur des interceptions des tentatives de migration irrégulière. En 2018, nous en sommes à 78.000 interceptions contre 32.000 en 2016 sur la route de la Méditerranée occidentale. Ces moyens seront destinés à l’acquisition d’équipements et de moyens de détection.
À combien sont estimés les effectifs des forces de l’ordre marocaines mobilisés pour la gestion des frontières ?
Pour l’unique bande méditerranée au Nord, ce sont 13.000 hommes qui sont mobilisés.
Les déplacements forcés des migrants irréguliers du Nord vers le Sud du Maroc ont été critiqués par les ONG. Pourquoi ces opérations ?
Ce n’est pas une action nouvelle que nous menons. Les réinstallations des migrants interceptés dans le Nord dans le Sud ont toujours existé. Contrairement à ce que disent les uns et les autres, nous ne déplaçons aucune personne dans le désert et personne n’est emprisonné. L’objectif de ces opérations est d’extirper ces personnes des réseaux de traite existant au Nord. Je rappelle que la loi 02-03 sur l’immigration nous le permet. Il est possible de réinstaller une personne en situation irrégulière dans des lieux que l’administration choisit. Je rappelle aussi que ces déplacements ne se font pas à l’aide de véhicules des forces de l’ordre (police nationale ou gendarmerie royale). Ces personnes sont transportées dans le respect de leur dignité dans des autocars de voyageurs.
Mais vous les extirpez des réseaux de trafic sans que ces mêmes réseaux soient démantelés ?
Bien sûr qu’on les arrête. De 2004 à aujourd’hui, nous sommes à environ 22.000 réseaux de traites démantelés. Cette année, nous sommes à déjà 174 réseaux démantelés. Ce qu’il faut savoir, c’est que tant qu’il y aura une forte demande sur les vecteurs de migration irrégulière, il y aura une régénération des réseaux. Contrairement aux réseaux de trafic de stupéfiants, un réseau de traite peut être aussi simple qu’un recruteur, un organisateur et un hébergeur.
Des migrants irréguliers sont détenus à Nador et Tanger. Dans quel cadre légal ces personnes sont-elles détenues ?
Il ne s’agit pas d’une détention. Tout ce que nous faisons est inscrit dans la loi. La loi prévoit la possibilité de retenir un immigrant tant que son origine n’a pas été identifiée. Ce processus se fait dans un cadre transparent et selon la loi.
Où en est le processus de révision de loi sur l’immigration et le séjour des étrangers ?
Avec le lancement de la Stratégie nationale d’immigration et d’asile (SNIA) en 2013, un chantier législatif a été lancé. La loi sur la traite a été adoptée, la loi sur l’asile finalisée, et la réforme de la loi 02-03 est dans le pipe et presque finalisée. Un travail quotidien est mené pour achever cette révision. Ce texte a bien sûr été revu pour être en synergie avec la SNIA.