Michel Bouvier. “Il faut réduire le décalage entre la fiscalité et la réalité économique”
Michel Bouvier, professeur à l’Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, directeur de la revue française des finances publiques et président- fondateur de FONDAFIP analyse les enjeux et les contraintes liées aux finances publiques au Maroc et en France.
Quelle est l’importance des finances publiques pour la réduction des inégalités sociales ?
Actuellement, les finances publiques sont au cœur de tous les problèmes que nous avons aujourd’hui. Pendant des années, les finances publiques ont été considérées comme un moteur de la justice sociale. Avec l’État-providence dans l’après-Guerre mondiale, il y avait une forte articulation entre les finances publiques et la justice sociale. À l’époque, nous avons développé les impôts progressifs pour atténuer les inégalités des revenus entre les contribuables, par conséquent, il y avait une osmose entre les finances publiques et la justice sociale. Par la suite et avec les problèmes rencontrés dans la seconde moitié des années 70, à la faveur des deux chocs pétroliers de 1973 et 1979, plusieurs États se sont engagés dans une logique limitant systématiquement leur fonction régulatrice au regard du marché économique afin de restaurer «la liberté du choix» des individus sur ce marché. Les gouvernements de nombreux pays ont remis en cause les postulats des politiques budgétaires et financières qui, jusque-là, prédominaient. Il s’en est suivi un processus de dérégulation qui s’est étendu à l’ensemble de la planète et qui se poursuit, et même s’accentue aujourd’hui dans le cadre de l’économie numérique. L’État qui avait été considéré comme un fournisseur de bien-être et de justice sociale pendant «les Trente glorieuses», les trente années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, a été subitement frappé de discrédit. C’est alors qu’a commencé à se dessiner, intellectuellement d’abord puis dans les faits, une profonde transformation et même une métamorphose du politique qui se poursuit encore aujourd’hui.
Par quels mécanismes les finances publiques peuvent-elles y contribuer ?
Je crois qu’il faut d’abord que nous ayons un grand débat sur ce que doit être l’impôt aujourd’hui. En effet, nos deux pays fonctionnent actuellement avec des impôts qui sont créés au XVIIe siècle (fin de la Révolution française) pour l’impôt local, et d’autres établis au début du XXe siècle pour les impôts d’État (IR, IS, TVA). Donc, la plupart des impôts appliqués ne sont pas adaptés au monde d’aujourd’hui. D’où la nécessité d’un grand débat sur la fiscalité pour réduire le décalage qui existe entre notre fiscalité et la réalité économique d’aujourd’hui. Par ailleurs, nous sommes également dans un monde qui fonctionne encore avec des institutions qui sont issues du XVIIe siècle, mais la société s‘est complexifiée considérablement avec l’apparition de nouveaux acteurs qui demandent à prendre parole et à co-décider. Donc il faut reconsidérer notre société par rapport à cette complexité sociale. D’où, notre proposition pour la création d’une institution de régulation des finances publiques. En effet, les finances publiques ne se limitent pas à l’État, mais également aux collectivités locales et à la sécurité sociale, or actuellement chacun de ces éléments fonctionne de façon isolée. Il faudrait qu’il y ait maintenant un organisme qui réunisse les représentants de l’État, des collectivités locales et de la sécurité sociale pour identifier les problèmes qui leur sont communs, puis faire le choix des investissements prioritaires et des mesures d’imposition qui seront prises pour remédier au mieux à la pression fiscale.
Comment les finances publiques peuvent-elles mieux contribuer à la justice sociale ?
Pour la finance publique au Maroc, il y a deux choses, d’abord l’application de la loi organique de la loi de finances (LOLF) de 2015 qui n’est pas encore mise en œuvre, sauf en partie avec la modification, en janvier dernier, de la comptabilité de l’État. Généralement, c’est la mise en œuvre des nouvelles procédures issues de la LOLF qui devait permettre de mieux gérer les finances de l’État et d’être plus opérationnel.
Comment vous voyez l’avenir des finances publiques en France surtout avec les dernières manifestations des gilets jaunes ?
Pour la France, ce qui est nécessaire de faire aujourd’hui, c’est de revoir tout notre système fiscal et de dépenses publiques. D’ailleurs, le Premier ministre a annoncé un débat sur cette question-là. Je crois que si nous voulons nous en sortir, il faut qu’il commence à lancer ce débat dès cette semaine. Avec la suspension de la dernière taxation du carburant, nous avons seulement 6 mois pour régler ce problème social, si les gilets jaunes arrivent déjà à se calmer et ne sortent pas ce samedi pour manifester. Donc, il faut, dans les six prochains mois, mettre au clair et identifier ce qui est pertinent de ce qu’il ne l’est pas dans notre système des finances publiques, surtout en ce qui concerne les impôts et les choix de dépenses publiques. Deuxièmement, il est nécessaire d’apporter des propositions de réforme de la fiscalité et des dépenses publiques, sinon nous allons perdre la confiance dans le politique.