« La Banque mondiale a un visage beaucoup plus humain »

Timothy Grant Evans, Directeur principal du Département Santé, nutrition et population à la Banque mondiale
L’instauration d’une assurance maladie universelle est l’un des moyens les plus efficaces de faire face à la baisse des financements dans le secteur de la santé en Afrique. C’est le point de vue de Timothy Grant Evans, directeur principal à la Banque mondiale, en charge du Département Santé, nutrition et population. Selon lui, la BM a changé de visage en Afrique.
Les ECO : Face à la baisse de l’aide au développement, comment financer le secteur de la santé en Afrique ?
Timothy Grant Evans : Il existe plusieurs moyens de financer le secteur de la santé, mais le plus important d’entre eux c’est d’avoir un appui très solide des gouvernements des pays africains. Actuellement, le grand problème est que cet appui gouvernemental n’est pas suffisant. La conséquence est que les gens paient les services de santé lorsqu’ils sont malades, c’est-à-dire lorsqu’ils ont besoin de se soigner. Ce système est inefficace et est une cause principale de la pauvreté en Afrique. Chaque année, 11 millions de personnes se retrouvent en dessous du seuil de pauvreté parce-q’ils paient de leur poche les soins de santé, soit plus de 20.000 personnes par jour.
Que proposez-vous comme solution ?
Il faut que les gouvernements fassent les réformes nécessaires dans le financement de la santé. Autrement dit, on doit dépasser le stade où les populations sont obligées de payer pour se soigner lorsqu’elles tombent malades. Au lieu de payer lorsque l’on tombe malade, chaque personne doit faire des contributions soit par les impôts, soit par les assurances. Avec ces méthodes de pré-paiement, cela permet de se soigner sans dépenser en cas de maladie.
Mais la majorité des Africains sont dans le secteur informel, voire inactifs. Comment les faire cotiser?
Vous posez là une question essentielle. L’Afrique n’est pas le seul continent à faire face à ce problème. Plusieurs pays à travers le monde sont confrontés aux mêmes réalités. Les moyens de les inclure passent par des solutions nouvelles. Par exemple, au Kenya, ils ont une plateforme d’échanges de monnaie électronique appelée « M-PESA ». Et sur cette plateforme, il a été créé un portefeuille dédié au secteur de la santé dénommé « M-Tiba ». Ainsi, les gens cotisent via ce portefeuille et peuvent se soigner par la suite dans des cliniques accréditées par le gouvernement kenyan. L’importance de ce système est que la grande majorité du secteur formel est déjà sur cette plateforme. Alors si on offre une possibilité d’avoir une assurance et une protection sur les frais de santé, il y a une forte chance d’attirer le secteur informel. Donc, il nous faut ce genre d’innovations.
Malgré les cotisations, la plupart des soins se font sur remboursement. N’est-ce pas un frein potentiel pour les inactifs ?
Je pense qu’il faut faire le nécessaire pour éviter que les gens qui cotisent soient obligés de payer pour se soigner avant de se faire rembourser. Cela est non seulement vrai en Afrique, mais partout ailleurs. Je comprends bien cette situation et c’est effectivement un frein. Il y a des systèmes différents dans lesquels les gens ne paient pas lorsqu’ils se présentent à l’hôpital, et je pense que l’on doit les privilégier car ils sont beaucoup plus efficaces et équitables.
Avec quels programmes la Banque Mondiale compte-t-elle accompagner les pays Africains dans le financement de leur système de santé ?
Dans tous nos programmes, nous appuyons les gouvernements dans le financement des réformes du système de la santé. Nous avons par exemple le Mécanisme de financement global, destiné aux femmes et aux enfants. Ce programme insiste sur une utilisation plus intelligente des ressources disponibles. Habituellement, on constate que 30 à 40% des ressources sont gaspillées. Il faut donc solutionner l’utilisation des ressources. Dans ce contexte global de baisse des financements, il faut aussi inclure le secteur privé pour venir en appoint aux gouvernements. Enfin, l’aide au développement ne doit pas se substituer aux fonds publics des Etats dans les programmes de santé. Elle doit renforcer et non se substituer aux budgets des Etats.
Qu’en est-il du suivi des programmes de financements ?
Nous avons changé le moyen d’accorder les financements. Désormais, nous donnons les ressources en fonction des résultats prévus et réalisés. Ce mode de financement a donné des résultats probants, dans environ une trentaine de pays où il a été expérimenté. Les gens y ont trouvé eux-mêmes des moyens d’avoir un meilleur rendement avec les ressources disponibles et permettre ainsi l’accès universel aux services de santé essentiels.
En Afrique, la Banque Mondiale rappelle l’expérience des PAS. Aujourd’hui, pouvez-vous rassurez que vos politiques ne risquent pas de condamner le secteur de la santé ?
Tout d’abord, je pense que les craintes de l’opinion publique africaine sur la Banque mondiale sont bien fondées. Dans les années 80, il ya une politique économique globale pour réduire les charges publiques. Par la suite, l’histoire a montré que cette politique fut une grande erreur, non seulement pour l’Afrique mais partout ailleurs, surtout dans le secteur social. Aujourd’hui, la Banque mondiale a changé. Nous appuyons les investissements dans le capital humain. Nous travaillons avec les gouvernements pour un appui plus consistant sur le développement du secteur de la santé, de l’éducation et de la protection sociale. Cette politique est à l’opposé des PAS.
Peut-on dire que la Banque mondiale a maintenant un visage plus humain ?
Beaucoup plus humain ! Je pense que nous avons appris de nos erreurs du passé et maintenant je crois que nous sommes sur la bonne voie.