Comment «verrouiller» le risque de change ?
La flexibilité du dirham devrait accentuer la volatilité des cours de change. Les entreprises exportatrices et importatrices devront se familiariser avec les instruments de couverture à terme commercialisés par le secteur bancaire. Crédit du Maroc a organisé une conférence pour ce faire.
Le report sine die de la mise en œuvre de la flexibilité du dirham n’a pas empêché les banques de poursuivre les actions de sensibilisation dédiées à la clientèle. Il faut dire que le besoin d’information se fait de plus en plus ressentir au fur et à mesure que l’on s’approche du déploiement du nouveau régime de change.
Le Crédit du Maroc (CDM) a ainsi réussi à rassembler des centaines de dirigeants d’entreprises exportatrices et/ou importatrices à l’occasion d’une conférence-débat, mardi 4 juillet à Casablanca. L’évènement a été organisé en partenariat avec l’Asmex, l’Office des changes et l’administration des Douanes. L’économiste Mehdi El Fakir a planté le décor en rappelant le référentiel théorique de la flexibilité (triangle d’incompatibilité de Mundell) et surtout ses enjeux pour l’économie nationale, en faisant appel à l’exemple quasi-similaire de la Pologne, qui a mis neuf ans avant d’entériner le passage d’un régime fixe au flottement total.
Pour réussir le saut de la flexibilité, Mehdi El Fakir estime que le Maroc doit développer un modèle économique industrialisé basé sur l’exportation, sachant que toute dépréciation du dirham devrait se traduire par un renchérissement des importations. On retient également l’appel lancé par l’économiste aux banques les invitant à réfléchir à une offre dédiée aux MRE qui, naturellement, devraient bénéficier de la flexibilité en cas de baisse de la valeur du dirham. Les entreprises, elles, sont appelées à adopter un style de management anticipatif pour tirer profit du nouveau régime, à travers une gestion active du risque de change.
Gare à la volatilité du dirham
Une entreprise est en risque de change dès lors qu’elle est engagée dans une opération commerciale (import/export) ou financière libellée dans une monnaie étrangère. L’on s’accorde à dire que la volatilité (variations des cours de change) va s’accentuer avec le nouveau régime de change flexible. La largeur de la nouvelle bande de fluctuation, d’après les révélations du chef de gouvernement, lors de sa dernière sortie télévisée, va passer de 6/1000 à 50/1000. L’enjeu pour les entreprises serait de gérer les risques liés à cette volatilité en utilisant les différents instruments de couverture commercialisés par le secteur bancaire. Le responsable de la salle de marché du CDM, estime que le marché va chercher la borne inférieure de la bande avec davantage de flux «importateurs» que de flux «exportateurs». Ce n’est que rarement que se produit l’inverse, comme cela fut le cas en 2016, suite à une grosse émission en dollar de l’OCP, où le marché est resté, pendant six mois, proche de la borne supérieure du tunnel de cotation du dirham.
Les entreprises devront donc se préparer d’avance à une situation marquée par l’accentuation des fluctuations de cours de change. Karim Kortbi, directeur de la Business Unit Trade chez CDM, invite les entreprises exportatrices à bénéficier de la possibilité de placer jusqu’à 70% du chiffre d’affaires réalisé à l’export dans un compte en devises. Cela leur permet d’éviter de subir le risque de change et répondre éventuellement à leurs propres besoins en devises en cas d’importation. Kortbi laisse toutefois remarquer que cet outil est très peu utilisé de nos jours, contrairement aux comptes en dirhams convertibles qui, paraît-il, séduisent de plus en plus d’entreprises, malgré leur exposition au risque de change.
De tous les instruments prévus par la réglementation marocaine, la couverture à terme reste le produit phare qui attire le plus de clients, notamment du côté des entreprises exportatrices et importatrices. Il s’agit d’un engagement ferme qui permet d’acheter ou de vendre un montant fixe de devises contre le dirham à un cours fixé à l’avance. Certains dirigeants, présents lors de la conférence-débat du CDM, ont soulevé la question des «options», ces produits dérivés de couverture qui permettent de bénéficier de l’évolution des cours de change, qu’elle soit favorable ou défavorable, moyennant une prime d’assurance. «Plus le marché est volatil, plus la prime est chère. Le régime de la flexibilité aura pour effet de renchérir la prime d’assurance adossée aux options», anticipent les experts du CDM. Celle-ci représente un coût supplémentaire qu’il va falloir intégrer dans le coût final de l’opération de change. C’est la raison pour laquelle on recourt rarement aux options sur le marché marocain. «La majeure partie des clients fait appel aux produits classiques de couvertures à terme», souligne Karim Kortbi.
Ce dernier invite les entreprises à éviter la logique du «beurre et l’argent du beurre». La couverture à terme, insiste-t-il, permet juste de maîtriser à l’avance le prix de vente (en cas d’exportation) ou bien le prix d’achat (importation). «Il ne faut pas la prendre comme une technique qui permet de gagner en cours de change, mais plutôt comme un outil qui permet de fixer un cours et de comptabiliser l’opération avec un prix fixé à l’avance», poursuit Kortbi.