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Flexibilité du dirham : Jouahri traque les spéculateurs

Alerté par un volume inhabituel d’achat de devises sur le marché à terme, Bank Al-Maghrib (BAM) s’apprête à mener une mission de vérification auprès des banques de la place. L’enquête porte sur des soupçons de spéculation sur fond de rumeurs autour d’une dévaluation du dirham et ce, à quelque jours du passage vers la flexibilité du dirham. La date de lancement du nouveau régime sera annoncée avant la fin du mois.

À quelques encablures du passage vers la flexibilité du régime de change, les volumes record de devises consommées ces dernières semaines sur le marché de change au titre des opérations de couverture, soit une moyenne quotidienne de 1,2 milliard de DH, auront suffi pour mettre en colère le wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri. Ces transactions ont contribué significativement à l’effritement des réserves de change d’un montant total de 40 milliards de DH en l’espace d’un mois entre mai et juin. Face aux journalistes présents à la conférence de presse tenue mardi 20 juin à l’issue de la réunion du Conseil de la Banque centrale, Jouahri n’a pas mâché ses mots en avouant avoir été déçu du comportement des banques de la place.

Que s’est- il passé au juste ?
Jouahri n’a pas voulu aller plus loin dans le détail des opérations de couverture à l’origine de sa colère. Il a beau tenter de mesurer ses propos, il finira par lancer le mot «spéculation». En effet, le dirham fait l’objet d’une attaque spéculative dont les raisons, les motivations et les instigateurs restent à ce jour inconnus. Des opérateurs économiques, essentiellement des importateurs, anticipant une dévaluation du dirham avant la migration vers la flexibilité, se sont rués sur les salles de marchés pour se prémunir en faisant appel aux instruments de couverture contre le risque de change. Cela a profondément surpris le gouverneur de la Banque centrale qui, des mois durant, n’a cessé de répéter et de rassurer quant à l’absence du moindre désalignement du dirham. Un constat d’ailleurs partagé par plusieurs institutions internationales. «Au contraire, provoquer une dévaluation serait contre-productif», affirme Jouahri en rappelant avoir souvent précisé qu’il n y aura pas de dévaluation avant le passage vers la flexibilité et que celle-ci se fera de manière graduelle avec une bande de fluctuation très étroite lors de la première phase.

Les banques en ligne de mire
«J’ai appelé les présidents des banques en leur disant que je suis très mécontent car, de la sorte, on remet en cause la crédibilité des autorités monétaires. Or, toute l’intervention de la Banque centrale est basée sur sa crédibilité», regrette le wali de BAM. Mais pourquoi Jouahri tance-t-il les banques alors qu’elles ont juste répondu à la demande d’une clientèle paniquée à l’idée, quoique fallacieuse, d’une dévaluation imminente? Aux yeux de BAM, les banques n’ont pas joué le rôle de conseil qui leur est dévolu dans le cadre de ce chantier auquel elles ont été étroitement associées. «Nous avons tenu 14 réunions avec le secteur bancaire et 12 réunions avec le secteur privé», rappelle le wali. Les banques étaient en quelque sorte le canal privilégié par BAM pour vulgariser la flexibilité et surtout rassurer les agents économiques, en particulier les entreprises. Quant à l’attitude des opérateurs importateurs, le gouverneur estime qu’ils ont fait un mauvais calcul sachant que la couverture coûte de l’argent : «on leur a probablement dit que les réformes de ce type s’accompagnent d’une dévaluation. Sauf que le Maroc n’a pas connu de crise de change. Nous sommes le seul pays à opérer la flexibilité de manière volontaire, progressive et mûrement réfléchie».

Le compte à rebours a commencé
Face à la consistance des couvertures commercialisées ces derniers jours et aux soupçons de spéculation qui les entourent, Jouahri a ordonné une mission de vérification où chaque banque devra justifier le recours aux options d’achat de devises durant cette période. L’objectif est de distinguer entre les opérations courantes (paiement des dividendes ou règlement d’une transaction commerciale) et celles à caractère spéculatif pour lesquels le wali promet des sanctions, sans pour autant en déterminer ni la nature, ni le soubassement juridique. Une source au sein de la Direction des opérations de changes a bien voulu nous décrire le type de mouvement ayant alerté les services du gendarme bancaire. D’abord, le montant livré est souvent déconnecté du chiffre d’affaires et peut financer quatre à cinq fois le besoin national annuel du produit sous-jacent. Ensuite, il se trouve que certains deals ont été cotés en dehors de la bande de fluctuation (0,6%) tolérée par le régime fixe en vigueur à ce jour. Aussi, certaines banques viennent acheter des devises sans disposer des liquidités nécessaires, ce qui risque de nuire à leur santé financière, ajoute notre interlocuteur. Pour Jouahri, il n’est pas question de brûler les étapes. La flexibilité doit être vécue selon un processus graduel, étape par étape, et non en la saucissonnant pour ne la limiter qu’à une seule étape. «Ce qui devait s’étaler dans le temps, les opérateurs se sont précipités pour le faire en quelques jours», note le gouverneur. De nouveaux instruments de couverture seront d’ailleurs mis en place dans le cadre du projet d’instruction générale des opérations de change. Ce dernier sera présenté lors d’un point de presse attendu avant la fin du mois de juin et dont l’annonce a été faite par le gouverneur de la Banque centrale. Il sera accompagné par le ministre de l’Économie et des Finances, Mohamed Boussaid. Programmée après l’Aïd, cette rencontre restera sûrement gravée dans les annales de l’histoire monétaire du pays. «Nous allons annoncer le lancement officiel de la flexibilité du dirham», a révélé, non sans fierté, le wali de BAM. 


Finance participative : «le travail est long mais nous avançons»

Contrairement à certains pays où la finance participative est chapeautée par un seul régulateur, le Maroc se caractérise par la diversité des organes de surveillance de l’écosystème de la finance participative. Il s’agit de BAM pour l’activité bancaire, l’ACAPS pour les assurances, de l’AMMC pour les marchés de capitaux et enfin le Conseil supérieur des Oulémas pour les questions liées à la charia. Le retard qu’accuse la mise en place de cette activité au Maroc n’est pas lié à cette situation, d’après le wali de BAM qui préside par ailleurs le comité de coordination et de surveillance des risques systémiques. «La finance participative nécessite un long travail où il faut tout mettre en place pour que le marché fonctionne dans de bonnes conditions», souligne Abdellatif Jouahri. En se référant à l’exemple de la convention d’ouverture de comptes, l’un des chaînons manquants de la banque participative à ce jour, une commission GPBM-BAM a été constituée pour établir une convention de place avant de la soumettre au comité de conformité charia (sharia board). S’agissant des sukuks indispensables pour le lancement du marché monétaire participatif, le chantier avance bien et les premiers titres seront prêts d’ici septembre, selon le wali. Le dossier des fonds d’investissements se trouve lui aussi au niveau du comité charia. L’on apprend aussi que la Caisse centrale de garantie a été saisie en lien avec le système participatif de Morabaha immobilier. Les équipes en charge des dossiers et circulaires manquants travaillent d’arrache-pied pour compléter le puzzle le plus tôt possible. «Même au niveau de Charia Board, nous avons mis en place trois équipes et nous avons désigné un rapporteur rien que pour gagner du temps», affirme Jouahri. 



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