ALECA : Le Maroc doit mieux définir les secteurs prioritaires
Pour ne pas perdre trop de temps en négociations, l’UE propose au royaume de cibler les secteurs qu’il juge importants. Le Brexit, la montée du populisme et le repli identitaire en UE poussent le Maroc à faire preuve de sagesse pour éviter les contrecoups, sans pour autant se détourner complètement de son partenaire historique.
Pour que l’Accord de libre échange complet et approfondi entre le Maroc et l’UE (ALECA) sorte de la situation de blocage dans laquelle il se trouve depuis prêt de deux ans, il faut satisfaire deux conditions : préciser les secteurs prioritaires et entamer un sérieux processus de convergence législative du côté marocain. C’est le verdict donné par Marta Moya Diaz, chef de la section commerciale à la représentation de l’UE à Rabat, lors d’un débat organisé par HEM en fin de semaine. Une manière pour Moya Diaz de responsabiliser la partie marocaine qui, de son côté, se plaint de la lourdeur des organes de l’Union et de la complexité de tout rapprochement économique et commercial. Mais il ne faut pas non plus oublier que c’est le gouvernement marocain qui a demandé une pause des négociations, le temps d’effectuer une étude d’impact économique. N’arrangeant pas les choses, le fameux jugement de la Cour de justice européenne ne pouvait pas tomber plus mal alors que les deux parties étaient prêtes à reprendre langue en octobre 2015. La tension qui prévalait alors ne laissait pas de place à des discussions dépassionnées sur les possibilités pour l’ALECA de prendre son envol. Depuis beaucoup d’eau est passé sous les ponts et le Maroc, à travers une diplomatie économique royale intensive, s’est tourné vers l’Afrique tout en diversifiant ses relations économiques avec la Russie, l’Asie et l’Afrique de l’Est. Vue de cet angle, l’Europe est devenue moins séduisante, pour reprendre l’assertion de l’économiste Larbi Jaidi.
Le Brexit, la montée du populisme et du repli identitaire en relation avec les questions migratoires déstabilisent l’Europe de l’intérieur et en donnent une image pas très enviable. C’est donc une sage politique que de chercher d’autres partenariats tout en gardant un œil vigilant sur les nouvelles perspectives d’amélioration des relations économiques avec le partenaire historique. Car, comme l’a rappelé Rupert Joy, ambassadeur de l’UE à Rabat, le Maroc est le premier fournisseur de légumes aux Européens et l’UE est le premier contributeur dans les différents projets d’infrastructures au royaume.
Le Maroc est aussi le premier récipiendaire des nationalités européennes avec 614.000 acquisitions de nationalités entre 2004 et 2013.«Dans un contexte marqué par un glissement vers le populisme et le repli, les relations entre le Maroc et l’UE se nourrissent de valeurs marquées par l’ouverture, la paix, le bon voisinage et la solidarité», a affirmé l’ambassadeur. Dans le même sens, Phillip Holzapfel, chef de la section politique de l’UE à Rabat, a écarté d’un revers de la main les allégations à propos d’un agenda caché de l’UE au Maroc ou ailleurs. Pour lui, certes la prise de décision au niveau des institutions européennes n’est pas assez rapide, mais cette lourdeur défend en fin de compte les intérêts du citoyen européen face aux États membres. À quelques jours du 60eme anniversaire du traité de Rome, le 25 mars, l’Europe n’a jamais été aussi faible face à ses démons. Et c’est pour le Maroc un véritable examen afin de se préparer aux bonnes comme aux mauvaises surprises.
Justement, les mauvaises surprises font réagir Najib Akesbi, enseignant chercheur à l’IAV, connu pour son énergie à dire la vérité crue sans ornements. Pour lui, il y a eu une phase ascendante dans les relations Maroc-UE jusqu’en 2008 où le statut avancé a été accordé, mais qui a découché ensuite sur une phase descendante. En atteste, rappelle-t-il, l’accord agricole qui a eu tant de mal à passer le cap du Parlement européen avant son adoption en 2012. «Malgré la signature de l’accord de pêche, l’UE comme le Maroc continuent de faire semblant en ce qui concerne le statut du Sahara. C’est un jeu pas très sain sur le long terme», a-t-il affirmé. Akesbi va encore plus loin dans son argumentaire pour affirmer l’existence d’une crise existentielle chez les deux parties qui se traduit côté nord par des signaux de déconstruction de l’Europe et pour le Maroc par une « panique intérieure » le poussant à multiplier les initiatives : signatures d’ALE, partenariats avec l’Afrique, adhésion à la CEDEAO etc… Comme le soutient Jaidi, l’UE comme le Maroc n’ont pas pensé à faire une évaluation du statut avancé alors qu’il pose aujourd’hui plusieurs questionnements sur le vrai rôle économique et politique du Maroc.
Vigilance
Le Maroc est le premier pays de la région à avoir été éligible pour un ALECA. Il fallait donc tout imaginer et concevoir en l’absence de cas similaires. Un accord complet et approfondi sous-entend l’ouverture du marché européen à d’autres produits marocains outre que l’agriculture. Le commerce des services se trouve donc dans cette configuration. Mais le hic, c’est que les standards et lois ne sont pas les mêmes. La convergence réglementaire ou législative entre en scène pour montrer toute la complexité d’un tel accord. D’autres facteurs méritent une attention particulière comme les marchés publics, la protection des IDE, la concurrence, la simplification des procédures douanières, la normalisation, la réglementation sanitaire et la protection du consommateur. Toutefois, il y a d’autres considérations qui entrent en jeu. Car, quand bien même l’acquis communautaire semble difficile à atteindre, le Maroc est bien positionné pour faire valoir les rôles économique et politique qu’il joue dans la région. Mais il faut bien verrouiller les négociations pour ne pas sortir perdant. Il faut aussi mieux cerner les conflits d’intérêt avec les autres ALE que le Maroc a signés avec plusieurs pays.