OCDE : Le point sur le programme pays-Maroc
Signé en juin 2015, le nouveau programme pays-Maroc avec l’OCDE s’achemine vers sa clôture. Les différents rapports sur les dimensions économiques, sociales et de gouvernance devront être livrés au plus tard en octobre. Une réunion d’évaluation est prévue aujourd’hui à Rabat entre les parties prenantes aussi bien du Maroc que de cette organisation.
Le Maroc se rapproche de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour améliorer son image et sa visibilité à l’échelle internationale, mais aussi pour vaincre les contraintes administratives et pouvoir mettre en place les meilleures normes, en matière de politiques publiques. Le royaume essaie de s’aligner sur certaines normes de l’organisation, bien qu’une grande partie des standards, mis en place, soit difficile à atteindre.
En juin 2015, le Maroc a pu franchir un pas important avec cette instance internationale en signant un accord portant sur un nouvel outil offrant une forme de participation structurée et stratégique aux pays non membres désireux et capables de s’aligner sur les différentes normes de cette organisation : «Le programme-pays» qui vise à aider un nombre limité de pays non membres de l’OCDE à se conformer aux normes et meilleures pratiques de cette organisation et à fournir un point d’ancrage à leurs réformes. Sur demande du chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, le Maroc a été retenu pour ce programme qui bénéficie aussi à uniquement deux autres pays : le Pérou et le Kazakhstan. Trois dimensions ont été retenues : l’économie, l’inclusion sociale et la gouvernance.
Pression morale
Cet outil s’articule autour de trois axes : l’examen d’un ensemble de politiques publiques, la participation à un ensemble d’organes de l’OCDE et l’adhésion à des instruments de cette organisation. Plusieurs dossiers sont passés au crible ayant trait, entre autres, au système éducatif, au secteur touristique et au système de gouvernance et de lutte contre la corruption (voir encadré). L’objectif du rapprochement avec l’OCDE est de permettre au Maroc de bénéficier des retombées positives de ses différents outils dont l’amélioration de la visibilité auprès des pays avancés grâce à la production des différents rapports qui seront élaborés.
Les Marocains peuvent aussi s’inspirer de la manière dont les normes sont produites au sein des comités et leurs avantages sur le développement. L’échange des expériences et des bonnes pratiques n’est pas en reste. En matière de recommandations, elles ne sont pas certes contraignantes. Mais, une pression morale est exercée sur les pays pour que les normes soient respectées. Le Maroc a déjà entrepris des réformes pour s’arrimer aux standards et a fait le choix d’adhérer à un certain nombre de normes (marchés publics, l’intégrité publique, l’investissement public…). La livraison des différents rapports est attendue pour octobre à l’exception du dialogue sur les politiques territoriales qui nécessitera davantage de temps pour le finaliser. Jusque-là, un seul rapport sur la gestion des risques au Maroc a été finalisé. Une évaluation devrait être faite après la clôture du programme.
Pour l’OCDE, la relation avec le Maroc s’inscrit dans la continuité : «Le Maroc sera bientôt pleinement intégré dans de nombreux comités de l’OCDE, sera soutenu pour mettre en œuvre les recommandations issues du travail d’analyse mené par les experts de l’OCDE, utilisera de plus en plus d’outils statistiques et analytiques développés et testés par les pays de l’OCDE, et sera en mesure d’évaluer l’impact de ses réformes sur son économie et ses citoyens». Le royaume est en train de réfléchir à une deuxième phase éventuelle portant sur la mise en œuvre de certaines recommandations lourdes nécessitant un accompagnement de l’OCDE. Il faut dire qu’il ne suffit pas de mettre en place des réglementations et des normes, le plus important est de pouvoir les implémenter sur le terrain.
Zoom sur l’examen des politiques publiques
L’examen des politiques publiques, dans le cadre du programme pays-Maroc, porte sur plusieurs axes : la mise en place d’un système d’évaluation et de gestion de la performance du programme de réformes au Maroc, l’examen des statistiques en matière d’investissement direct étranger, l’intégration du Maroc à l’outil statistique TIVA (Trade in Value Added), la participation des pays en développement aux chaînes de valeurs mondiales (implications pour le commerce et les politiques commerciales), le scan d’intégrité, l’appui institutionnel aux services du chef de gouvernement, l’examen de l’OCDE sur le renforcement institutionnel local pour promouvoir le développement socioéconomique, la revue de l’OCDE sur la gouvernance des risques ; l’examen sur le gouvernement numérique ; le dialogue Maroc-OCDE sur les politiques, la participation à l’enquête du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) – 2015-2018, l’étude des politiques d’évaluation du système éducatif au Maroc, une étude sur l’emploi des jeunes, une étude sur le développement de la compétitivité et de l’innovation des entreprises touristiques…
«Il y a nécessité d’approfondir les réformes»
Carlos Conde
Chef de la division Afrique et Moyen-Orient au secrétariat des relations Mondiales-OCDE
Les Inspirations ÉCO : Que pensez-vous des mesures prises par le Maroc au cours des derniers mois pour se rapprocher des bonnes pratiques et standards de l’OCDE ?
Carlos Conde : Depuis son commencement, le Programme pays Maroc a permis le développement d’un processus de dialogue intensif et renforcé entre le Maroc, l’OCDE et ses États membres. Ces derniers mois, la participation du Maroc dans un grand nombre de comités de l’OCDE a été particulièrement importante et a permis de prendre la mesure de l’élan réformiste en marche dans le pays, que je tiens ici à saluer. Très concrètement, au titre des mesures prises par le Maroc récemment pour se rapprocher des standards OCDE, on peut citer notamment la publication en 2016 de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption. Le Programme pays Maroc prévoit par exemple la réalisation d’un «scan d’intégrité», qui permet d’analyser la pertinence des mesures nationales par rapport aux standards internationaux en vigueur pour garantir l’intégrité et combattre la corruption. Ce sera donc l’occasion d’évaluer les mesures entreprises dans ce domaine pour se rapprocher des standards OCDE et d’offrir des recommandations pour atteindre des objectifs encore plus ambitieux. Dans un tout autre domaine, on peut évoquer le processus fondamental de «régionalisation avancée» dans lequel s’est engagé le Maroc. Dans ce domaine, nous sommes particulièrement satisfaits d’avoir travaillé sur le terrain dans plusieurs villes marocaines, ce qui a permis de mieux les connecter avec les circuits internationaux d’expertise, tout en offrant à l’OCDE une meilleure connaissance du pays.
Pourquoi le Maroc est-il le seul pays africain et de la région MENA retenu dans le cadre de ce programme ?
Au cours des 10 dernières années, l’OCDE a établi des relations particulièrement fructueuses avec le Royaume du Maroc qui joue un rôle essentiel dans l’Initiative MENA-OCDE pour la gouvernance et la compétitivité. Le Maroc a présidé cette initiative entre 2009 et 2015 et a impulsé de nombreux travaux et initiatives de manière à la fois visionnaire et pragmatique. La présidence marocaine a permis de maintenir le dialogue régional dans une période particulièrement mouvementé à partir de 2011. Le Maroc est aussi membre du Conseil d’administration du centre de développement de l’OCDE, et travaille avec l’OCDE sur plusieurs projets financés par le Fonds de transition MENA du Partenariat de Deauville. Le Programme Pays s’inscrit dans une logique d’excellentes relations bilatérales entre l’OCDE et le Maroc et a permis l’adhésion à de nombreux instruments ainsi que la participation à divers organes de l’OCDE. Ceci témoigne d’une coopération étroite, qui a perduré par-delà les changements politiques et qui s’inscrit dans la durée. Par ailleurs, le processus réformiste entamé par le Maroc en 2011 avec l’adoption de sa nouvelle Constitution a tout particulièrement reçu un grand appui international. Le Maroc apparaissait ainsi comme un partenaire privilégié pour inaugurer un Programme pays au sein de la région MENA. Il est essentiel de mener à terme les réformes et en assurer une mise en œuvre effective qui renforcera le rayonnement de l’expérience marocaine. Nous travaillons habituellement dans des plateformes régionales au sein de la région MENA où le Maroc joue un rôle très actif avec d’autres pays, tels que la Tunisie, la Jordanie ou l’Égypte. Je tiens à souligner qu’en tant qu’organisation globale, l’OCDE a aussi permis l’échange et la collaboration du Maroc dans le cadre du Programme Pays avec des expériences plus lointaines, comme le Chili ou la Colombie, ce qui a été particulièrement fructueux. En outre, vous avez tout à fait raison de mettre en avant la dimension africaine du Maroc. Nous observons en effet avec beaucoup d’intérêt les efforts du royaume pour renforcer ses liens économiques avec le continent et nous pensons que cette démarche est très porteuse en termes de croissance durable, stabilité économique et intégration régionale. Dès lors, vous voyez que l’exemple du Maroc enrichit également notre réflexion sur ces sujets, qui sont au cœur de l’action de l’OCDE.
Quel regard portez-vous sur les contraintes qui restent à dépasser par le Maroc en matière de croissance, compétitivité économique et réforme des politiques publiques ?
Le Maroc a réalisé d’importants progrès ces dernières années et l’OCDE est fière d’avoir accompagné ce processus. Notre expérience avec le Maroc nous permet de lancer un message très positif sur son grand potentiel, tout en étant conscients, ensemble avec nos amis marocains, du besoin d’approfondir les réformes et de s’assurer que les retombées profitent à l’ensemble des citoyens marocains. Je citerais 3 axes à poursuivre qui s’inscrivent pleinement dans la logique du Programme pays Maroc-OCDE. Le premier axe porte sur l’inclusion. L’accent doit être mis sur l’inclusion sociale avec des approches spécifiques pour la jeunesse et les femmes qui trouvent des difficultés particulières, notamment dans l’accès à l’emploi. L’inclusion a aussi une dimension territoriale, et l’ambitieuse régionalisation avancée inscrite dans la Constitution est appelée à faire bénéficier toutes les régions des opportunités de croissance. Finalement, l’inclusion par l’éducation est essentielle. Il est impératif de développer des compétences et des capacités adaptées au développement économique du pays. Le deuxième axe est relatif à la croissance pour générer de l’emploi. Le Maroc est une économie ouverte et son expansion passera par la poursuite de son ouverture à l’économie mondialisée. Pour réaliser sa vocation naturelle -mais aussi affirmée- de pont entre l’Europe et l’Afrique, le Maroc doit augmenter sa productivité, affiner son positionnement dans les chaînes de valeur mondiales, être une terre d’accueil pour les investisseurs en quête d’accès à de larges marchés, développer ses parts d’exportation vers le Sud, et offrir des infrastructures solides qui assurent la connectivité du Maroc vers la région, le continent, l’Europe et le reste du monde. Il faut saluer à cet égard les efforts du Maroc pour assurer une croissance verte et son leadership mondial pour inscrire les considérations environnementales au cœur des stratégies de développement. Le troisième axe a trait à la gouvernance. Le Maroc connaît une transformation institutionnelle ambitieuse et innovante, générée par la Constitution de 2011. Cependant, la mise en œuvre doit s’accélérer malgré les réticences et les blocages inhérents à la transformation des institutions publiques. Une bonne attention aux besoins de la coordination institutionnelle, un dialogue ouvert et approfondi entre les acteurs publics, la société civile et le secteur privé, ainsi que la garantie de la transparence des processus sont autant de fondamentaux essentiels pour améliorer la gouvernance.
«Jamais un pays n’est soumis à autant d’examens en deux ans»
Abdelghni Lakhdar
Coordonnateur national du programme pays Maroc (PPM) avec l’OCDE
Les Inspirations ÉCO : Pourquoi le choix s’est porté sur trois dimensions : l’économie, la cohésion sociale et la gouvernance ?
Abdelghni Lakhdar : L’objectif est de travailler sur des dossiers complémentaires. La discussion entre le Maroc et l’OCDE sur cet instrument-là date de 2013. Le choix de ces trois blocs a été fait d’un commun accord. Il a été décidé d’opter pour des dossiers équilibrés et ne pas s’intéresser uniquement à la dimension économique. Pour la première fois, la relation du Maroc avec l’OCDE dans le cadre du programme pays va être plus intense que celle d’un pays membre au sein de cette organisation. Jamais un pays n’est soumis à autant d’examens en deux ans. Les experts de l’OCDE assistent le Maroc pour réaliser des études sur certains domaines. Ce ne sont pas des études faites par des cabinets mais il s’agit des évaluations des politiques publiques élaborées par des experts en la matière choisis conjointement par le Maroc et l’OCDE pour leur expertise dans un domaine donné. Le programme se déroule bien au niveau de chaque département ministériel concerné. Des rapports seront produits sur chacun des sujets. Les recommandations offriront aux décideurs un espace de débats. Lesdits rapports seront également discutés au sein des comités de l’OCDE donnant ainsi une visibilité au Maroc à l’échelle internationale.
Que reste-t-il à faire pour que le Maroc se rapproche des normes de l’OCDE ?
Il faut dire que même les pays membres de l’OCDE ont des efforts à faire pour se rapprocher de manière continue des normes de l’organisation qui produit les meilleurs standards. Dès qu’un pays OCDE met en place une politique réussie dans un domaine donné et fait avancer une norme, les autres pays sont appelés à s’aligner. La relation avec l’OCDE nous permet de mesurer nos avancées, partager nos expériences et nos réformes mais elle est aussi un levier pour avancer sur certaines réformes. Le Maroc avance. Par exemple, notre pays a adhéré à une norme sur l’investissement et participe activement au Comité sur l’investissement. Le Maroc est en effet conforme à cette norme de l’OCDE. Cela ne veut pas dire qu’on le restera constamment. Il faut rester toujours vigilant et participer aux comités. En matière de gouvernance, je ne peux pas affirmer que l’on est proche des normes de l’OCDE. Cette organisation est très exigeante au niveau de la gouvernance sur le plan institutionnel et le système de prévention. Au sein du comité de la gouvernance, le Maroc essaie de se rapprocher des normes requises. La concrétisation de cet objectif nécessite un effort considérable qui peut se traduire parfois en des réformes difficiles.
Quelles sont les priorités sur lesquelles travaille le Maroc pour se rapprocher des normes de l’OCDE ?
On travaille aujourd’hui sur l’ensemble des dimensions du programme pays. Les sujets ne sont pas les mêmes en termes d’importance. Il est clair que le scan d’intégrité et le programme PISA qui sont des sujets complexes nécessitant de lourdes réformes ont plus d’importance qu’à titre d’exemple les statistiques de l’investissement étranger direct ou qu’un séminaire sur la participation du Maroc aux chaînes de valeurs mondiales. Parfois, il suffit juste d’adopter une législation et une réglementation pour être conformes à la norme. Les sujets ne sont pas donc d’égale importance. Les sujets techniques sont faciles à mettre en œuvre. Le tout se fait sur une base volontaire. Par ailleurs, le Maroc a une activité importante avec le Centre de développement de l’OCDE qui est différent de l’organisation. Nous menons un examen multidimensionnel sur la question du développement au Maroc. Une étude très intéressante sera débattue entre les acteurs. Elle portera dans une première phase sur l’existant au Maroc en termes d’analyse et de diagnostic de la situation économique, sociale et de la gouvernance. Dans une deuxième partie, on se focalisera sur la question de la cohérence des politiques publiques qui fait l’objet de plusieurs critiques.
Que compte-t-on faire au niveau de la mise en œuvre des recommandations ?
Les recommandations de l’OCDE ne sont pas certes contraignantes mais l’ambition d’aller plus loin dans la relation avec cette organisation passe par l’impératif de franchir toutes les étapes. Il faut faire un effort d’adoption des normes et de leur mise en œuvre. À titre d’exemple, en matière de norme relative à l’investissement, on est observé par les multinationales qui peuvent relever le non respect de certains principes. Au Maroc, une équipe interministérielle se réunit régulièrement pour discuter les plaintes qui pourraient être formulées par des entreprises ainsi que l’application effective des normes et des règles contenues dans cette réglementation. Le but ultime n’est pas de se rapprocher de l’OCDE mais plutôt de servir le bien-être de la population marocaine, développer la croissance et améliorer les performances de nos politiques grâce à cette relation.
Comment expliquez-vous que le Maroc est le premier de la région MENA qui adhère au programme pays de l’OCDE ?
Le Maroc se distingue dans la région par sa stabilité politique et ses réformes politiques et économiques ainsi que par certaines politiques sociales menées. Il s’est toujours montré comme étant un exemple et a su maintenir cette exemplarité dans le temps. Parfois, on peut dire que le rythme est long mais il est soutenu. On a fait des réformes économiques et sociales et de gouvernance. On a montré vis-à-vis tout particulièrement de l’OCDE une volonté de nous arrimer sur les meilleures pratiques. Sur le triptyque social, économique et de gouvernance, le Maroc a répondu présent avec des réformes importantes.