Distinction : la physicienne marocaine Mounia Laassiri honorée par l’UNESCO

Dr. Mounia Laassiri
Chercheuse postdoctorale au Brookhaven National Laboratory
À seulement 35 ans, Dr. Mounia Laassiri a été désignée lauréate du prestigieux Prix international UNESCO–Al Fozan pour la promotion des jeunes scientifiques. Son parcours, marqué par une détermination sans faille et un engagement fort pour la recherche et l’éducation, incarne l’émergence d’une nouvelle génération de chercheurs marocains et africains sur la scène mondiale.
Que représente pour vous cette distinction décernée par l’UNESCO et la Fondation Al Fozan, en tant que scientifique marocaine et jeune chercheuse dans un domaine aussi pointu que la physique des particules ?
Cette distinction est un encouragement pour moi de faire mieux, de faire davantage pour le progrès de l’éducation et la recherche scientifique en Afrique et dans le monde arable.
Vous avez grandi dans un quartier modeste près de Rabat et découvert la physique dès le lycée, malgré des pressions sociales et un manque de moyens. Que retenez-vous de cette période et en quoi elle a forgé votre détermination ?
Je retiens surtout l’exemple de ma mère, une femme marocaine simple, qui m’a toujours soutenue et m’a appris, à travers sa personnalité et sa vie quotidienne, à me débrouiller. Je me rappelle, et je vois encore aujourd’hui, que de sa simplicité, se dégagent une volonté inlassable de faire mieux pour sa famille, de montrer l’exemple et forger le caractère de ses enfants en n’importe quelle circonstance. Je retiens aussi les supports de ma famille, de mes professeurs et collègues, en particulier le professeur Rajaâ Cherkaoui El Moursli qui a supervisé mes travaux de recherche du doctorat.
Vous avez convaincu plus de 80 camarades de rejoindre la filière sciences physiques pour que votre lycée ouvre une classe dédiée. D’où vous vient cette capacité à fédérer dès vos années d’élève ?
J’avais voulu faire les sciences physiques au lycée mais j’avais aussi compris que cette filière ne pourrait pas être ouverte pour un petit nombre élèves. Je pensais que si je pouvais expliquer davantage ce que constituent les sciences physiques à mes camarades, certains seraient intéressés. À ma belle surprise, j’ai été suffisamment convaincante pour faire basculer 80 camarades dans cette direction.
Votre parcours démontre qu’il est possible de partir d’un cursus au Maroc et d’intégrer des projets scientifiques d’envergure mondiale. Que manque-t-il encore pour mieux accompagner les étudiants marocains vers l’excellence ?
Je ne suis pas la première a effectuer ce parcours ; j’ai simplement suivi l’exemple de beaucoup d’autres Marocains avant moi, dont beaucoup ont été mes professeurs et, encore aujourd’hui, mes conseillers expérimentés. J’espère à mon tour jouer ce rôle pour les étudiants marocains, africains et arabes.
Ces encadrements volontaires de conseillers expérimentés, qui ont emprunté des parcours similaires, m’ont marquée très positivement. Je leur dois beaucoup et je les en remercie. J’encourage les étudiants marocains à valoriser ces rapports précieux avec leurs aînés. Ceux-ci constituent des ressources humaines inépuisables avec des expériences et moyens concrets pouvant contribuer au succès scientifique.
Vous travaillez sur l’amélioration des détecteurs de l’expérience ATLAS au CERN. Quelles avancées concrètes vos travaux apportent-ils à la physique des particules ?
L’amélioration de ces détecteurs nous permettront des recherches approfondies de nouveaux phénomènes et la détection de nouvelles particules ; tout ceci pour améliorer notre compréhension des dynamiques en force et matière. Il y a beaucoup de questions fondamentales qui pourront être élucidées, en l‘occurrence l’état de la matière noire, l‘asymétrie entre matière et antimatière, etc.
Il faut aussi reconnaître que les améliorations requises pour ces détecteurs nécessitent le développement de technologies de pointe avec des retombées socio-économiques. Elles requièrent également la formation d’étudiants de qualité dont beaucoup seront à même d’évoluer dans d’autres domaines comme la finance, l‘économie, la médecine…
Pensez-vous que le Maroc investit suffisamment dans la physique fondamentale et la recherche de pointe, ou faut-il revoir les priorités ?
L’Union Africaine recommande aux pays africains d’investir au moins 1% de leur GDP en recherche scientifique. Nous n’avons pas encore atteint ce niveau. Certes, il y a des problèmes fondamentaux à résoudre, tels que la pauvreté, la malnutrition, la qualité d’éducation, les conflits armés… Et les ressources sont malheureusement limitées. Mais on doit attendre de résoudre ces problèmes avant de se pencher sur la recherche. Tout doit aller de pair, à travers le développement de stratégies et de feuilles de route.
D’ailleurs, je vous signale qu’une stratégie de physique fondamentale et appliquée est en cours de développement ; un symposium est prévu du 17-21 novembre à l’ICTP en Italie pour exposer le rapport écrit de cette stratégie à la communauté internationale. L’UNESCO soutient le développement de cette stratégie africaine et se charge de distribuer le rapport écrit à ses États membres. Ensuite, nous espérons passer au stage d’implémentation des recommandations qui seront retenues.
À travers votre engagement dans l’African School of Physics (ASP), vous contribuez à la formation de jeunes talents. Quel impact concret cette initiative a-t-elle déjà eu, et comment peut-elle transformer l’avenir de la recherche en Afrique ?
En termes d’impact, je précise que j’ai été étudiante à cette école ASP en 2016, au Rwanda. J’ai rencontré beaucoup de physiciens à travers l’ASP, et ceux-ci ont amélioré mon parcours scientifique. Je ne suis qu’un exemple ; il y a beaucoup d’autres Marocains et Africains qui sont passés par l’ASP et ont trouvé leurs directions scientifiques à travers leurs réseaux et network. Plus de 600 étudiants sont passés par l’ASP, et beaucoup ont fini leur maîtrise ou doctorat.
En plus, près de 300 enseignants du secondaire y ont été formés pour mieux enseigner la physique dans les lycées. Par ailleurs, il y a presque 4.000 lycéens dont il faut développer et maintenir l’intérêt pour les sciences physiques. L’ ASP travaille avec les pays hôtes pour développer des collaborations scientifiques internationales dans le cadre des feuilles de route du pays.
Quelles sont selon vous les priorités pour développer la recherche scientifique au Maroc et plus largement en Afrique ?
Ces priorités seront exposées durant le symposium sur la stratégie africaine de physique fondamentale et appliquée qui aura lieu en novembre à l’ICTP, en Italie. Après avoir fait des études avancées à l’étranger, les pays africains doivent développer des systèmes d’intégration encourageant leurs jeunes à revenir ou à participer concrètement aux développements de leurs pays. Il faut développer des stratégies nationales, régionales et africaines, et attaquer de concert des problèmes communs.
Dans le développement de ces stratégies, il est nécessaire de faire participer les communautés nationales et internationales de physiciens, et investir au moins 1% de leur GDP en recherche scientifique. Et beaucoup d’autres recommandations similaires seront discutées en novembre à l’occasion du symposium préalablement mentionné.
Que diriez-vous à une étudiante marocaine qui hésite à se lancer dans un parcours scientifique exigeant mais porteur ?
Je les encourage à suivre leurs passions et à se laisser guider par leur curiosité afin de mettre en évidence leurs talents. Il n’y a rien de facile ni de gratuit. Tout succès demande un travail sérieux et continu. Le parcours scientifique peut paraître exigeant et moins porteur, mais ce n’est pas moins facile dans les autres disciplines non plus. En outre, ce parcours scientifique peut être gratifiant et enrichissant dans beaucoup d’autres aspects de la vie.
L’UNESCO a dévoilé, à Paris, les cinq lauréats de l’édition 2025 du Prix international UNESCO–Al Fozan pour la promotion des jeunes scientifiques en sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (STEM). Représentant la région des États arabes, Dr. Mounia Laassiri, chercheuse postdoctorale au Brookhaven National Laboratory, a été distinguée pour ses contributions majeures dans le domaine de la physique des particules et son rôle dans le développement de la science sur le continent africain. Originaire de Rabat, elle a suivi l’ensemble de son parcours universitaire au Maroc avant de rejoindre des collaborations scientifiques internationales d’envergure. Son engagement dépasse le cadre de la recherche fondamentale. Elle participe activement à l’African School of Physics, un programme qui vise à former et à inspirer de jeunes chercheurs africains, tout en renforçant la coopération scientifique entre l’Afrique, le monde arabe et la communauté internationale. Cette distinction salue à la fois l’excellence scientifique de Dr. Laassiri et son implication dans la transmission du savoir. À travers son mentorat et ses initiatives de vulgarisation, elle contribue à éveiller de nouvelles vocations, notamment chez les jeunes femmes, dans un domaine encore largement dominé par les hommes.
Faiza Rhoul / Les Inspirations ÉCO