Poivrons marocains visés en Allemagne : alerte sanitaire ou manœuvre protectionniste ?

Les autorités allemandes annoncent le retrait d’un lot de poivrons marocains en raison d’une présence excessive de résidus de pesticides. Une situation qui survient alors que le Maroc, en pleine ascension sur le marché européen, bouscule la hiérarchie établie. L’ONSSA affirme avoir lancé des analyses pour vérifier les faits.
L’offensive contre les produits agricoles marocains se poursuit. Après les fraises, c’est au tour des poivrons d’être pointés du doigt par le système européen d’alerte alimentaire.
L’Allemagne a détecté des traces d’abamectine, substance utilisée dans certains produits phytosanitaires, dans un lot importé par des opérateurs espagnols. Les résidus retrouvés lors des tests présentent des concentrations supérieures aux seuils autorisés. Alors que les accusations se multiplient, certains observateurs s’interrogent sur la crédibilité de ces alertes et leurs motivations.
Le Maroc, un acteur qui monte sur le marché européen
Depuis plusieurs années, le Maroc s’impose comme un fournisseur incontournable de poivrons en Europe. Face au recul de la production espagnole, le Royaume a vu ses exportations bondir de plus de 65% entre 2019 et 2024, atteignant près de 188 millions de kilos l’an dernier.
Cette percée sur le marché européen suscite des tensions, notamment avec l’Espagne, qui reste le fournisseur historique de l’UE. La détection de pesticides dans des lots marocains pourrait-elle être une nouvelle tentative pour freiner la progression des exportations agricoles marocaines ? Selon les autorités allemandes, les niveaux d’abamectine dans les poivrons marocains dépassaient la limite maximale de résidus fixée à 0,03 mg/kg, avec des analyses révélant des taux allant de 0,12 à 0,29 mg/kg.
Ce pesticide, connu pour ses effets neurotoxiques à forte dose, est strictement réglementé en Europe. Pourtant, le système d’alerte alimentaire européen (RASFF), qui a recensé un nombre record de notifications en 2024, est souvent accusé de générer des alertes infondées.
D’autres pays fournisseurs, comme la Turquie et l’Égypte, ont eux aussi été visés par des notifications de dépassement des seuils réglementaires, ce qui laisse planer le doute sur une éventuelle instrumentalisation du système d’alerte à des fins protectionnistes.
Certains experts estiment que ces contrôles renforcés visent en priorité les produits issus de pays hors UE, alors que des pratiques similaires ne sont pas toujours relevées dans les productions européennes.
L’ONSSA lance ses propres vérifications
L’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA) indique avoir «enclenché la procédure habituelle face à ce genre de notification» et affirme que «des analyses sont en cours afin de déterminer la véracité de ces informations». Les autorités marocaines rappellent que l’ensemble des productions agricoles exportées sont soumises à des normes strictes et à des contrôles avant leur expédition vers l’Europe.
D’autres produits marocains, comme les fraises et les tomates, avaient déjà fait l’objet d’accusations similaires par le passé, avant que les investigations ne révèlent l’absence de tout risque sanitaire avéré. En 2023, une alerte concernant des fraises marocaines suspectées de contenir un virus avait été largement relayée avant d’être finalement démentie par les autorités sanitaires européennes elles-mêmes.
Une guerre commerciale en toile de fond ?
L’affaire des poivrons marocains s’inscrit dans un contexte de tensions commerciales croissantes. L’institut Coordenadas de gouvernance et d’économie appliquée alerte sur les conséquences économiques et réputationnelles de ces alertes sanitaires parfois abusives.
L’organisme pointe du doigt «la multiplication des notifications injustifiées, souvent orientées contre des produits en provenance du nord de l’Afrique».
Cette situation rappelle les tensions déjà existantes entre le Maroc et l’Espagne sur le terrain agricole. Madrid a longtemps bénéficié d’un quasi-monopole sur certaines productions maraîchères destinées à l’Europe, un avantage progressivement remis en cause par l’essor des exportations marocaines, plus compétitives en raison de coûts de production moindres et de conditions climatiques plus favorables.
En attendant les résultats des analyses de l’ONSSA, cette nouvelle affaire pose une question essentielle. S’agit-il d’une véritable alerte sanitaire ou d’un nouvel épisode dans la guerre commerciale qui oppose le Maroc à certains de ses concurrents
européens ?
L’abamectine, un pesticide controversé
L’abamectine est un pesticide utilisé principalement pour lutter contre les acariens et certains insectes ravageurs. Son mode d’action neurotoxique affecte le système nerveux des organismes ciblés, entraînant leur paralysie et leur mort.
Toutefois, en cas d’exposition excessive chez l’homme, ce produit peut provoquer des troubles neurologiques, digestifs et dermatologiques. L’Union européenne a imposé des limites strictes sur les résidus de ce pesticide dans les produits alimentaires, avec un seuil fixé à 0,03 mg/kg pour les poivrons.
Son usage est toujours autorisé dans plusieurs pays, bien que soumis à des restrictions accrues. Au Maroc, l’abamectine est réglementée par l’ONSSA, qui veille à son usage conforme aux normes internationales en vigueur.
Faiza Rhoul / Les Inspirations ÉCO