Devises étrangères : comment l’évolution des taux de change impacte-t-elle les contribuables ?
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Les nouveaux taux de change moyens en dirhams retenus par la Direction générale des impôts pour l’exercice fiscal 2024 sont les suivants : 1 euro = 10,756 dh, 1 dollar = 9,959 dh, 1 livre sterling = 12,733 dh et 1 franc suisse = 11,295 dh. Tour d’horizon des conséquences pour les contribuables concernés.
En comparaison avec 2023, le nouveau taux de 10,756 dirhams pour 1 euro marque une baisse de 1,8%. Concrètement, pour un revenu annuel de 50.000 euros perçus par un expatrié, son montant imposable passe de 547.800 dirhams en 2023 (avec un taux de 10,955) à 538.000 en 2024, soit une baisse de près de 10.000 dirhams.
La réduction est encore plus prononcée pour le dollar américain, avec un taux qui chute de 10,110 en 2023 à 9,959 dirhams en 2024, soit une diminution de 1,5%. Un professionnel libéral comme un consultant facturant 100.000 dollars à des clients étrangers verra ainsi son revenu imposable au Maroc passer de 1.011.000 à 995.900 dirhams.
A contrario, la livre sterling s’apprécie de 1,1%, avec un bond de 12,601 dirhams en 2023 à 12,733 pour 1 livre en 2024. Cette hausse fera mécaniquement augmenter la base imposable pour les contribuables rémunérés en livres, comme certains travailleurs frontaliers opérant en Espagne. Seul le franc suisse affiche une quasi-stabilité, avec une très légère appréciation de 0,2% par rapport à 2023, passant de 11,278 à 11,295 dirhams.
Sur une période plus longue, par rapport à 2022, l’euro et le dollar ont connu des évolutions contrastées, avec une appréciation de 0,4% pour la monnaie européenne, mais une baisse de 2,5% pour le billet vert.
«Ces fluctuations peuvent sembler minimes, mais elles ont un impact réel, année après année, sur le calcul de l’impôt. Cet impact est d’autant plus significatif que les revenus en devises sont élevés», commente un comptable interrogé à ce sujet.
Il conseille donc une vigilance accrue et une anticipation régulière pour en minimiser les effets sur la fiscalité.
Les deux visages de la fluctuation
Plus le taux de change est élevé, plus le montant converti en dirhams est important, et donc plus l’impôt sera élevé pour un même revenu en devise étrangère. Si la baisse du taux de change de l’euro et du dollar permet de réaliser des économies d’impôt pour certains contribuables en 2024, l’appréciation de la livre sterling produira l’effet inverse.
Pour un cadre expatrié percevant un salaire annuel de 50.000 euros, la baisse du taux de 10,956 dirhams en 2023 à 10,756 pour 1 euro en 2024 se traduit par un revenu imposable réduit de 547.800 à 538.000 dirhams. Soit près de 10.000 dirhams en moins. Avec un revenu situé dans la tranche de 50.000 à 60.000 dirhams taxée à 20%, cela représente une économie d’impôt de 1.980 dirhams pour 2024. Un effet d’autant plus marqué que le revenu en devise est élevé. Ainsi, pour un entrepreneur percevant 100.000 euros de revenus professionnels, l’économie d’impôt atteindrait près de 4.000 dirhams.
Toutefois, le constat s’inverse pour les contribuables rémunérés en livres sterling, devise qui s’est appréciée de 1,1% en 2024. Un travailleur frontalier basé à Sebta et percevant un salaire annuel de 30.000 livres verra son revenu converti passer de 378.030 dirhams en 2023 (à 12,601 dirhams la livre) à 382.000 cette année (à 12,733 dirhams la livre).
Soit une hausse de revenus imposables de près de 4.000 dirhams, qui pourrait le faire basculer dans une tranche d’imposition supérieure selon sa situation familiale et ses autres revenus. Bien que limitées, ces variations ont un impact fiscal réel et peuvent faire basculer certains contribuables dans une tranche différente du barème, avec les conséquences que cela implique sur le calcul final de l’impôt.
Expatriés, frontaliers, libéraux : les principaux contribuables impactés
Certains profils sont particulièrement exposés aux fluctuations des taux de change en 2024. Les expatriés constituent sans doute la catégorie la plus directement impactée. Qu’ils soient salariés dans des multinationales ou entrepreneurs indépendants, leurs revenus sont généralement perçus en devises étrangères avant d’être convertis en dirhams pour le calcul de l’impôt au Maroc. Un cadre expatrié touchant un salaire annuel de 80.000 dollars verra son revenu imposable passer de 808.800 dirhams en 2023 à 795.720 cette année, soit une baisse de plus de 13.000 dirhams liée à la dépréciation du billet vert.
Les travailleurs frontaliers opérant dans les pays voisins comme l’Espagne sont également concernés. Rémunérés en euros ou en pesetas espagnoles et imposés au Maroc, leurs revenus subissent de plein fouet les variations de change. Un Marocain employé à Sebta et touchant un salaire annuel de 25.000 euros verra son revenu converti chuter d’environ 5.000 dirhams, passant de 274.875 à 269.000 dirhams imposables avec la baisse de l’euro.
Autre catégorie impactée, les professions libérales comme les avocats, consultants ou experts-comptables facturant des honoraires à une clientèle internationale en devises. Une baisse des taux de change signifie mécaniquement une diminution de leurs revenus imposables. Un cabinet de conseil réalisant un chiffre d’affaires annuel de 2 millions de dollars verra ce montant converti reculer de près de 30.000 dirhams, passant de 20,22 millions de dirhams en 2023 à 19,92 millions imposables.
Enfin, les professions liées aux secteurs exportateurs et touristiques, partiellement rémunérées en devises (guides, hôteliers, intermédiaires, commerciaux…), sont également concernées par ces taux de change pour la part de leurs revenus en monnaie étrangère. Au vu de ce qui précède, il est crucial pour ces différents contribuables de bien appréhender ces évolutions de change et d’en évaluer l’impact concret sur leur imposition afin d’optimiser leur gestion fiscale.
Un impact fiscal différencié selon les catégories de revenus
Pour les revenus professionnels, agricoles et salariaux soumis au barème progressif de l’IR, ces fluctuations de taux de change peuvent faire basculer certains contribuables dans une tranche d’imposition supérieure ou inférieure.
Avec le barème de 2024 allant de 0% pour les revenus inférieurs ou égaux à 30.000 dirhams à 38% au-delà de 180.000 dirhams, l’enjeu fiscal est de taille. Pour les autres catégories de revenus comme les profits de capitaux mobiliers (dividendes, plus-values mobilières) soumis à des taux spécifiques, l’impact restera proportionnel aux fluctuations des taux de change.
Un ajustement annuel indispensable dans un monde économique globalisé
Dans un environnement économique mondialisé où les échanges de biens, services et capitaux avec la sphère internationale ne cessent de croître, la fixation de ces taux de change revêt une importance capitale. La DGI les réactualise ainsi chaque année pour tenir compte de la réalité économique et des parités monétaires en vigueur.
«C’est une solution pragmatique qui permet de lisser les impacts d’une volatilité excessive des taux de change au jour le jour, même si, sur une année, les variations peuvent sembler minimes», nuance un analyste.
Toute la subtilité réside dans le calcul de cette moyenne représentative. L’analyse détaillée des décisions de la DGI révèle donc que l’impact fiscal lié aux taux de change n’est en rien négligeable.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO