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Nouvelle réglementation décennale : ce qui change pour les acquéreurs immobiliers

Des avancées réglementaires majeures viennent renforcer la protection des acquéreurs immobiliers. Décryptage de la réforme de l’assurance décennale obligatoire. 

Les promoteurs véreux n’auront plus la vie facile. L’arrêté du ministre de l’Économie et des Finances n° 3202.24 du 20 décembre 2024, récemment publié au Bulletin officiel, renforce considérablement l’arsenal juridique entourant la responsabilité civile décennale dans le secteur de la construction.

En imposant des conditions générales types pour les contrats d’assurance liés à cette garantie légale, le texte vise à mieux protéger les acquéreurs immobiliers contre les vices de construction menaçant la solidité de l’ouvrage. Rappelons que la responsabilité civile décennale émane de l’article 769 du Code des obligations et des contrats. Elle concerne l’architecte et l’entrepreneur désigné par le maître d’ouvrage.

Cette responsabilité les oblige à couvrir pendant dix ans le risque d’écroulement partiel ou total lié à un défaut des matériaux, un vice de construction ou un vice du sol, à compter de la réception des travaux. Disons qu’avec cette nouvelle réglementation sur la responsabilité civile décennale, le secteur immobilier et de la construction se dote d’un filet de sécurité supplémentaire. Un garde-fou juridique et assurantiel renforcé qui, sans régler tous les problèmes, promet de mieux protéger les intérêts des acquéreurs.

Un formalisme juridique renforcé et un cadre juridique strict pour la déclaration des sinistres
Si le nouvel arrêté renforce la protection des acquéreurs immobiliers, il les astreint également à un formalisme juridique strict en cas de sinistre.

Kamal Semlali Bader, expert-comptable et fondateur du cabinet Audicompliance consulting, souligne que «le risque d’écroulement ou d’effondrement est sujet à interprétations et nécessite une définition plus détaillée». Selon lui, «l’intervention d’un bureau d’études agréé semble la seule option possible pour constater ce risque» couvert par l’assurance décennale. Une fois le vice de construction avéré, l’acquéreur devra agir vite.

«La déclaration d’un sinistre par l’acquéreur est encadrée, avec notamment un délai de cinq jours pour effectuer cette déclaration auprès de l’assureur», précise l’expert. Un court délai qui pourrait surprendre les nouveaux propriétaires peu au fait des procédures.

Par ailleurs, certains dégâts sont exclus de la couverture. C’est le cas, notamment, des dommages liés à des «travaux secondaires» réalisés par le propriétaire lui-même après acquisition, comme l’aménagement d’une pièce supplémentaire en sous-sol par exemple.

De tels travaux, non validés par un professionnel agréé, risquent de compromettre la solidité de l’ouvrage… et donc d’annuler la garantie décennale en cas d’effondrement. Un encadrement juridique strict qui vise à responsabiliser l’ensemble des parties prenantes et à délimiter précisément le champ d’application de l’assurance décennale. Mais il suppose également une information rigoureuse des acquéreurs sur leurs droits et obligations en la matière.

Une meilleure sécurisation de l’immobilier neuf
Mohamed Belkhayat, expert-comptable et commissaire aux comptes, et Kamal Semlali Bader, s’accordent à dire que le nouvel arrêté sur la responsabilité civile décennale constitue «une avancée de taille» pour sécuriser l’offre d’immobilier neuf au Maroc. En détaillant l’obligation de couverture des vices de construction menaçant la solidité du bâtiment pendant 10 ans, le texte apporte une garantie supplémentaire aux acquéreurs.

«C’est un atout supplémentaire qui permet de sécuriser l’offre adressée aux potentiels acquéreurs», confirme Kamal Semlali Bader.

Un argument de poids pour les programmes immobiliers neufs, souvent plus onéreux que l’ancien mais offrant théoriquement plus de garanties. Prenons l’exemple d’un couple acquérant un appartement dans une résidence neuve.

Grâce à l’assurance décennale obligatoire, ils sont assurés que le promoteur et les entreprises de construction assumeront leur responsabilité en cas de vice caché menaçant la structure du bâtiment pendant 10 ans après livraison. Attention cependant à bien comprendre le point de départ de cette garantie décennale.

«Le compteur commence à partir de la date de réception des travaux et non de la date d’acquisition», rappelle Kamal Semlali.

Un élément essentiel pour les acquéreurs concernés par un programme en état futur d’achèvement. Imaginons que le couple achète en 2025 un bien qui ne sera livré qu’en 2027. La garantie décennale prendra effet à partir de 2027, année de réception par le promoteur, et non de l’acquisition en 2025. Une subtilité de taille dont les acquéreurs doivent avoir parfaitement connaissance.

Assurance décennale : l’impératif de transparence et d’actualisation
Pour une meilleure protection des acquéreurs, Kamal Semlali Bader plaide pour «la mention obligatoire de l’existence de cette assurance dans les contrats de vente de biens immobiliers». Une clause essentielle qui permettrait d’informer clairement les acheteurs sur leurs droits et obligations en lien avec la garantie décennale. Prenons l’exemple d’un particulier achetant un appartement dans un programme neuf. Sans cette mention explicite au contrat, il pourrait être tenté de croire que l’assurance décennale est automatiquement incluse dans le prix d’acquisition, comme c’est le cas pour d’autres garanties légales. Or, ce n’est pas forcément le cas selon les promoteurs. Une clause dédiée éviterait tout malentendu.

L’expert évoque également «la nécessité d’actualiser tous les contrats sous-jacents au bien immobilier» lors d’un transfert de propriété. «La continuité du contrat d’assurance et l’information du propriétaire sur sa continuité ou sa résiliation éventuelle» doit être assurée.

Imaginons un propriétaire décidant de louer son bien quelques années après acquisition. S’il ne transmet pas le contrat d’assurance décennale initial à son locataire, ce dernier pourrait se retrouver sans couverture en cas de sinistre pendant la période de location. Une formalité d’actualisation essentielle pour maintenir les effets de la garantie.

De même, en cas de revente du bien, l’acquéreur doit être dûment informé des dates de validité et de fin de couverture du contrat d’assurance décennale initial. Cela lui permettra de prendre les dispositions nécessaires pour prolonger la garantie à son nom au-delà de la décennie initiale. Autant de situations qui démontrent l’impératif de transparence et d’actualisation permanente concernant l’assurance décennale obligatoire. Un suivi rigoureux qui s’avère indispensable pour assurer une pleine effectivité de ce dispositif de protection.

Des zones d’ombre à dissiper, délai de prescription très court, primes d’assurance à clarifier
Si le nouveau cadre juridique de la responsabilité civile décennale apporte des avancées notables, Kamal Semlali Bader pointe également quelques zones d’ombre à dissiper. Notamment en ce qui concerne les délais de prescription et le calcul des primes d’assurance.

«En matière de durée, la garantie décennale couvre dix ans, par contre la prescription dans les déclarations des risques d’effondrement n’est que de 2 ans (article 19)», souligne l’expert-comptable.

Un délai de prescription extrêmement court au regard de la période couverte par l’assurance. Concrètement, cela signifie que si un propriétaire détecte des fissures inquiétantes à la 8e ou 9e année suivant la réception du bien, il n’aura que 2 ans pour engager les procédures auprès de son assureur sous peine de prescription. Une contrainte de taille pour les acquéreurs peu au fait de ce formalisme juridique strict.

L’expert pointe également «un autre point d’interrogation» concernant le montant des primes d’assurance décennale. S’il reconnaît que leur «valeur est variable et plafonnée», il regrette cependant «qu’il n’y ait pas de critères juridiques permettant de déterminer» leur niveau. Dans les faits, deux constructions de superficie et de standing équivalents pourraient ainsi se voir appliquer des primes très différentes selon l’assureur, complexifiant les comparaisons pour les acquéreurs. Un manque de visibilité regrettable sur un élément aussi essentiel que le coût de cette assurance obligatoire.

Pour Semlali Bader, quelques éclaircissements réglementaires sur ces deux aspects permettraient de parfaire un dispositif par ailleurs globalement protecteur pour les acheteurs immobiliers. Des compléments indispensables pour garantir une application homogène et équitable de cette réforme majeure.

D’autres chantiers à ouvrir
Au-delà de la réforme de la responsabilité civile décennale, Mohamed Belkhayat plaide pour l’instauration «d’une couverture obligatoire des avances faites aux promoteurs par les clients contre la défaillance de ce dernier ou sa disparition». Une garantie indispensable qui permettrait de restituer les fonds versés par les acquéreurs en cas d’abandon pur et simple du projet immobilier.

«Il y a encore à cet égard des drames concernant des clients qui n’ont pas été livrés dont les projets perdurent et parfois finissent par être abandonnés par le promoteur», déplore le commissaire aux comptes.

Une situation dramatique qu’ont malheureusement connue de nombreux acquéreurs, notamment parmi les Marocains du monde qui doivent alors engager une procédure judiciaire au Maroc, avec tous les frais et délais que cela implique pour un résident à l’étranger. Un véritable parcours du combattant pour un dossier qui traîne encore des années plus tard.

Pour éviter ce type de drames humains et financiers, Mohamed Belkhayat préconise la mise en place d’un système de cautionnement obligatoire des avances versées aux promoteurs. Cela imposerait à ces derniers de provisionner un montant équivalent sur un compte bloqué afin de garantir la restitution de ces fonds en cas d’abandon avéré du programme immobilier. Une mesure de protection de premier ordre pour les acquéreurs, qui n’auraient alors plus à se lancer dans des procédures judiciaires aléatoires pour tenter de récupérer leur mise de départ. Elle renforcerait grandement la sécurité de leur investissement immobilier.

En responsabilisant davantage les promoteurs immobiliers, ce dispositif contribuerait aussi à assainir les pratiques du secteur dans son ensemble. Une avancée réglementaire de plus pour regagner la confiance des particuliers, moteur indispensable au développement pérenne de la promotion immobilière au Maroc.

Un filet de sécurité prometteur pour l’immobilier

Disons qu’avec la nouvelle réglementation sur la responsabilité civile décennale, le secteur immobilier marocain se dote incontestablement d’un filet de sécurité supplémentaire. Un garde-fou juridique et assurantiel renforcé qui, même s’il ne règle pas tous les problèmes, promet de mieux protéger les intérêts des acquéreurs.

Ce texte marque une avancée majeure en obligeant les constructeurs et promoteurs à contracter une assurance couvrant les vices de construction menaçant la solidité de l’ouvrage pendant dix ans. Une garantie décennale qui vient s’ajouter aux obligations légales déjà en vigueur, comme la garantie de parfait achèvement ou celle des vices apparents. Pour les acquéreurs, c’est l’assurance de voir leur investissement immobilier sécurisé sur le long terme.

En cas de sinistre avéré menaçant la structure du bâtiment, ils pourront se tourner vers l’assurance pour la prise en charge des réparations souvent coûteuses. Un filet de protection indispensable face aux risques inhérents à toute construction.

Le cadre juridique strict désormais en place vise par ailleurs à responsabiliser toutes les parties prenantes. En amont, une étude de sol et des audits renforcés devront être réalisés. En aval, des délais de déclaration stricts et un formalisme accru pour la constatation des désordres sont prévus. De quoi garantir un suivi rigoureux et limiter les dérives.

Certes, quelques zones d’ombre subsistent, comme les modalités de calcul des primes d’assurance ou le court délai de prescription en cas de sinistre. Mais dans l’ensemble, cette réforme marque un progrès substantiel en matière de sécurisation de l’acte d’acquisition immobilière au Maroc. Un signal positif à ne pas négliger pour à la fois rassurer les acquéreurs, responsabiliser les professionnels, et in fine, renforcer la confiance dans le marché national de l’immobilier neuf.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO



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