Influenceurs vs opticiens : le duel qui vous en mettra plein la vue
La vente illégale de dispositifs médicaux, notamment optiques, prend de l’ampleur au Maroc. Face à la multiplication des offres en ligne et des publicités trompeuses, souvent relayées par des influenceurs, les professionnels de santé tirent la sonnette d’alarme. Cette pratique menace non seulement l’intégrité des métiers médicaux, mais aussi la santé des citoyens et l’industrie locale, appelant à une régulation urgente du secteur.
Dans un monde de plus en plus connecté où le commerce en ligne connaît une croissance exponentielle, la vente de dispositifs médicaux fait face à de nouveaux défis. Qu’il s’agisse de prothèses dentaires, de lentilles de contact, ou encore d’équipements plus complexes, la commercialisation de ces produits essentiels à la santé se trouve aujourd’hui au cœur d’une polémique grandissante.
Le Maroc, comme de nombreux autres pays, est confronté à une recrudescence des pratiques illégales dans ce domaine, mettant en danger non seulement l’intégrité des professions médicales, mais aussi et surtout la santé des citoyens. Les professionnels de santé, qu’ils soient dentistes, opticiens ou autres spécialistes, tirent la sonnette d’alarme face à la multiplication des offres en ligne et des publicités trompeuses pour des dispositifs médicaux.
Ces produits, qui nécessitent normalement une prescription et un suivi médical, se retrouvent parfois en vente libre sur Internet ou font l’objet de promotions agressives sur les réseaux sociaux, souvent par le biais d’influenceurs peu scrupuleux.
Santé bucco-dentaire et visuelle en péril
Dans le domaine dentaire, par exemple, on observe une augmentation inquiétante de la vente en ligne de kits d’orthodontie à domicile ou de produits de blanchiment des dents potentiellement dangereux. Ces pratiques, qui contournent la supervision nécessaire d’un professionnel de santé, peuvent avoir des conséquences graves sur la santé bucco-dentaire des consommateurs.
Cependant, c’est dans le secteur de l’optique que la situation semble prendre une ampleur particulièrement préoccupante. Les opticiens font face à une concurrence déloyale et à des pratiques publicitaires illégales qui menacent non seulement leur profession, mais aussi la santé visuelle de la population. Le Syndicat national des opticiens du Maroc (SNOM) a récemment lancé l’alerte sur un phénomène en pleine expansion, celui de la publicité illégale de dispositifs optiques par des influenceurs sur les réseaux sociaux.
Cette pratique, qui va à l’encontre de la législation en vigueur, soulève de nombreuses inquiétudes au sein de la communauté des professionnels de l’optique et met en lumière les défis auxquels le secteur est confronté en matière de réglementation et de protection des consommateurs.
Double infraction des influenceurs dans l’optique
Nouamane Cherkaoui, Secrétaire général du Syndicat professionnel national des opticiens du Maroc (SPNOM), souligne que le problème est particulièrement grave en ce qui concerne la commercialisation des verres optiques, plus encore que celle des montures médicales.
Au cœur de cette controverse, on trouve la loi 84-12 relative aux dispositifs médicaux, dont l’article 33 interdit explicitement la commercialisation, à travers des publicités, de tous les dispositifs médicaux remboursés par les systèmes de couverture médicale. Cela inclut donc les montures optiques et les verres correcteurs, qui ne devraient en aucun cas faire l’objet de publicité auprès des consommateurs.
Selon Cherkaoui, la première infraction commise par ces influenceurs est donc clairement identifiée. «Ils font la promotion de produits dont la publicité est strictement interdite par la loi».
Mais le problème ne s’arrête pas là. Cherkaoui souligne un aspect encore plus préoccupant de ces pratiques, expliquant que «lorsque les influenceurs font la promotion de ces produits, ils s’aventurent souvent à donner des conseils ophtalmologiques sur l’utilisation médicale de ces dispositifs.
Or, ils n’ont ni la qualification ni le statut requis pour informer le grand public sur les aspects médicaux de ces produits. En agissant ainsi, ils s’immiscent dans un domaine purement médical, touchant directement à la santé des citoyens», précise-t-il.
Les dérives du marketing d’influence en optique
Cette situation met en évidence plusieurs problèmes majeurs. D’une part, elle souligne le manque de contrôle et de régulation des activités des influenceurs sur les réseaux sociaux, particulièrement lorsqu’il s’agit de produits liés à la santé.
D’autre part, elle révèle une méconnaissance ou un mépris des lois en vigueur par certains acteurs du marketing digital. Les conséquences de ces pratiques peuvent être graves.
Au-delà de la concurrence déloyale qu’elles représentent pour les professionnels de l’optique qui respectent la réglementation, elles mettent potentiellement en danger la santé des consommateurs. En effet, les conseils médicaux inappropriés ou les informations erronées sur les produits optiques peuvent conduire à des choix inadaptés, voire dangereux pour la santé oculaire des utilisateurs.
Le SPNOM passe à l’offensive
Face à cette situation, le SPNOM a décidé de passer à l’action en portant plainte contre ces pratiques illégales. Cette démarche vise non seulement à protéger la profession d’opticien, mais aussi et surtout à préserver la santé des citoyens marocains.
Cependant, la solution à long terme réside dans l’application effective des lois existantes et dans la mise en place de nouvelles réglementations plus adaptées au contexte actuel. À cet égard, les professionnels du secteur attendent avec impatience l’activation de la loi n° 45.13 relative à l’exercice des professions de rééducation, de réadaptation et de réhabilitation fonctionnelle.
Cette loi promet des sanctions plus dissuasives que celles prévues par la législation actuelle sur les dispositifs médicaux et devrait apporter des précisions supplémentaires sur la réglementation en matière de publicité directe et indirecte. Cette problématique soulève également des questions plus larges sur la régulation du marketing d’influence dans le domaine de la santé.
Les marques locales face au défi de la contrefaçon et de la vente illégale
La problématique de la vente illégale de dispositifs médicaux ne se limite pas seulement aux aspects réglementaires et de santé publique, mais touche également l’industrie locale et la concurrence loyale. Mouhcine Beqqali, propriétaire de plusieurs marques de montures marocaines, met en lumière cet aspect du débat. Il souligne l’importance de réglementer rigoureusement les processus de vente des dispositifs médicaux, notamment face à la prolifération de produits ne respectant pas les normes de qualité requises.
Ces produits, souvent commercialisés illégalement par certains influenceurs, représentent non seulement un risque pour la santé des consommateurs, mais aussi une concurrence déloyale pour les producteurs nationaux et les importateurs de marques reconnues.
Beqqali pointe du doigt une faille importante, à savoir que «malgré l’existence d’un cadre réglementaire au Maroc, le contrôle effectif de ces produits de qualité inférieure reste insuffisant.
Cette situation permet une commercialisation à grande échelle de ces produits non conformes (interdit en Europe), ce qui nuit considérablement à l’industrie locale et aux acteurs respectueux des normes. Pour lui, ce constat renforce l’urgence d’une action coordonnée entre les autorités de régulation, les professionnels du secteur et les forces de l’ordre pour assurer une application stricte des lois existantes et protéger à la fois la santé publique et l’économie nationale.
Mehdi Idrissi / Les Inspirations ÉCO