Opinions

Gestion d’entreprise : pourquoi une comptabilité générale et une comptabilité analytique ?

Par Allal Alain Difadi
Professeur associé, Institut supérieur d’ingénierie et des affaires (ISGA), Campus Rabat.

Au Maroc, selon le Code général de la normalisation comptable (CGNC) élaboré par la Commission nationale de comptabilité en 1986, la comptabilité générale est un système d’information qui doit permettre à l’entreprise de :
– saisir, classer et enregistrer les données de base chiffrées ;
– établir en temps opportun les états prévus ou requis ;
– fournir périodiquement, après traitement, les états de synthèse ;
– contrôler l’exactitude des données et des procédures de traitement.
Ainsi, la comptabilité générale peut être définie comme un système d’organisation de l’information qui a pour but de :
– saisir, enregistrer et classer dans des comptes les opérations commerciales et financières effectuées par l’entreprise ;
– fournir, après traitement, des états financiers (notamment le bilan et le compte de produits et charges) qui indiquent le résultat réalisé par l’entreprise au cours d’une période déterminée qui est souvent l’année civile appelée exercice comptable.
Le bilan décrit la situation financière de l’entreprise à la fin de l’exercice comptable en comparant les biens de l’entreprise (actif) et les dettes de l’entreprise (passif) afin de déterminer le résultat net de l’exercice (RNE). Le compte de produits et charges (CPC) récapitule l’activité de l’entreprise au cours de l’exercice comptable en comparant les dépenses supportées (charges) et les revenus obtenus (produits) afin de retrouver et d’expliquer le résultat net du bilan. Cependant, la comptabilité générale n’est pas seulement un moyen, pour le manager, de connaître le bilan de son entreprise à la fin de l’exercice comptable et le résultat de l’activité réalisée au cours de cet exercice. Cette comptabilité générale constitue aussi :
– un moyen de preuve entre les commerçants devant les tribunaux ;
– un moyen de calcul de certains impôts (TVA, IS, IR…) à payer à l’Etat ;
– un moyen d’information des tiers sur les performances financières de l’entreprise (associés, créanciers, Etat, personnel, épargnants et le public en général). En ce qui concerne la comptabilité analytique, aucune définition n’est donnée par le CGNC au Maroc. Par contre, en France, le Conseil national de la comptabilité définit la comptabilité analytique comme un mode de traitement des données qui doit fournir, d’une manière générale, des éléments destinés à faciliter la prise de décision. Nous trouvons aussi plusieurs définitions dans les manuels de comptabilité analytique. On peut retenir certaines d’entre elles qui paraissent significatives :
– la comptabilité analytique de gestion étudie les charges pour apporter une contribution au diagnostic, à la prise de décision, au contrôle (P. Lauzel et H. Bouquin) ;
– la comptabilité analytique constitue l’outil de gestion de l’entreprise et ses informations permettent d’effectuer des choix judicieux quant à la prise de décision (B et F. Grandguillot) ;
– la comptabilité analytique est un outil de gestion conçu pour mettre en relief les éléments constitutifs des coûts et des résultats de nature à éclairer les prises de décision (L. Dubrulle et D. Jourdain).
Toutes ces définitions insistent sur l’importance de la comptabilité analytique en tant qu’outil de gestion qui permet d’éclairer la prise de décision. D’après le CGNC, la comptabilité analytique a pour principaux objectifs de :
– connaître les coûts et les résultats des différentes fonctions de l’entreprise ;
– permettre d’évaluer certains éléments du bilan de l’entreprise ;
– analyser les résultats après calcul des coûts des biens et services et leur comparaison aux prix de vente.
Le CGNC précise aussi que, dans le domaine de la gestion budgétaire, la comptabilité analytique permet d’analyser les écarts entre les prévisions de charges et de produits (coûts préétablis et budget) et les charges et les produits réels.

De manière générale, le calcul et l’analyse des différents coûts et résultats permettent aux dirigeants de l’entreprise de :
– promouvoir les produits et les activités les plus rentables ;
– modifier les conditions d’exploitation de certaines activités ;
– fixer ou modifier les prix de vente.
Finalement, il ne faut pas croire qu’il existe deux comptabilités distinctes : la comptabilité analytique n’est qu’une suite logique de la comptabilité générale. En effet, une entreprise qui ne tient qu’une comptabilité générale, sans comptabilité analytique, n’aura que des informations sur les opérations effectuées avec ses partenaires au cours de l’exercice comptable et des informations sur sa situation patrimoniale à la fin de l’exercice (à partir du bilan) ainsi que des informations sur la formation du résultat net de l’exercice qui apparaît au bilan (à partir du CPC). Cette entreprise n’aura donc qu’une vision globale sur sa performance financière par rapport à son environnement externe. D’autre part, il ne peut y avoir de comptabilité analytique sans comptabilité générale : cette dernière saisit et enregistre les données, notamment les charges, qui seront traitées par la comptabilité analytique. Le traitement de ces données et le calcul des différents coûts et résultats permettront alors à l’entreprise de connaître la rentabilité interne de ses différents produits et activités et de prendre les décisions nécessaires pour un meilleur pilotage de la performance. On peut relever quatre principales différences entre ces deux types de comptabilité :
– Au niveau des flux :
La comptabilité générale est centrée sur les flux externes : elle s’intéresse aux mouvements de valeur (paiements, encaissements, dettes et créances) avec ses partenaires externes (fournisseurs, clients, institutions financières, administrations publiques…). On l’appelle aussi comptabilité financière.
Par contre, la comptabilité analytique est centrée sur les flux internes : elle s’intéresse aux opérations liées à l’approvisionnement et au stockage des matières et fournitures diverses, à la fabrication des produits dans les différents ateliers, au stockage des produits fabriqués et à l’écoulement de ces produits sur les différents marchés de l’entreprise. On l’appelle aussi comptabilité de gestion.
– Au niveau du résultat :
La comptabilité générale calcule un résultat global : par exemple, pour un hôtel, le bilan et le CPC indiquent le résultat net de l’exercice (RNE) obtenu à la fin de l’exercice comptable sur toutes les activités de cet hôtel. Par contre, la comptabilité analytique calcule des coûts et des résultats partiels par produits, par activités ou par commandes : par exemple, pour l’hôtel, on calculera le résultat réalisé sur chaque activité : hébergement, restauration, piscine, discothèque…
– Au niveau de la loi : La comptabilité générale est obligatoire en vertu de la loi n°9-88, relative aux obligations comptables des commerçants, toute entreprise doit enregistrer les mouvements affectant ses actifs et ses passifs (article 1) sur un registre dénommé livre-journal (article 2). De même, toute entreprise doit tenir un livre d’inventaire sur lequel est transcrit le bilan et le CPC de chaque exercice (article 6). Par contre, la comptabilité analytique n’est que facultative parce que, certainement, il serait difficile de normaliser le calcul des coûts pour des activités aussi diverses que la confection, la menuiserie, le bâtiment, la restauration, le transport, la téléphonie, la banque, la santé…. Le CGNC indique clairement que «dans une économie libérale, le normalisateur comptable ne saurait imposer aux entreprises des méthodes d’analyse et de représentation de leur gestion qui doivent être choisies par chaque entité, en fonction de sa politique et de sa stratégie, de sa structure et de son organigramme et de ses méthodes de fonctionnement». Néanmoins, le CGNC propose aux entreprises, à titre purement indicatif, une terminologie et une nomenclature de comptes susceptibles de faciliter la mise en place d’une comptabilité analytique considérée par ce code comme une condition fondamentale d’une gestion rigoureuse. Le caractère optionnel de la comptabilité analytique justifie, sans aucun doute, l’absence des écritures comptables analytiques (en comptes réfléchis) dans les programmes de formation de la quasi-totalité des institutions d’enseignement du management dans la plupart des pays et notamment au Maroc. Cependant, la comptabilité analytique s’est imposée dans les faits suite à la mondialisation et à l’accroissement de la compétitivité internationale et régionale et face à un environnement instable et incertain induit par différents événements économiques, sociaux et politiques, tels que la crise des subprimes de 2007-2008, la pandémie du Covid-19 de 2019-2021 ou la guerre Ukraine/Russie à partir de 2022. L’entrepreneur d’aujourd’hui doit absolument être à l’écoute de ses coûts afin de prendre les décisions de gestion nécessaires pour un meilleur pilotage de la performance.
– Au niveau de la période de calcul :
La comptabilité générale a une périodicité annuelle : les états de synthèse (bilan, compte de produits et charges, état des soldes de gestion, tableau de financement et état des informations complémentaires) doivent être établis au plus tard dans les trois mois suivant la date de clôture de l’exercice (article 18 de la loi n° 9-88). Par contre, la comptabilité analytique a une périodicité plus courte (mensuelle ou trimestrielle) parce que l’on ne doit pas attendre toute une année pour s’apercevoir que l’on réalise une perte sur tel ou tel produit, ou sur telle ou telle activité. Ainsi la période de base est le mois pour le calcul des coûts et résultats des différents produits ou activités. Cependant, lorsque le rythme de production de l’entreprise n’est pas trop important, le service de comptabilité analytique peut retenir le trimestre comme période de base pour le calcul de ses coûts et résultats.



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