Hydrogène vert. Les enjeux d’un pari stratégique
Le Département d’Aziz Rabbah a publié la feuille de route nationale sur le Power-To-X. Scindée en trois parties, la nouvelle Stratégie nationale de développement de l’hydrogène a pour horizon l’année 2050, avec huit plans d’actions thématiques. Sa mise en œuvre pourrait s’avérer compliquée par deux facteurs importants. Analyse…
C’est fait, le ministère de l’Énergie, des mines et de l’environnement a officiellement dévoilé, en début de semaine, la nouvelle Stratégie nationale de développement de l’hydrogène vert. Ainsi, malgré la brouille qui persiste avec l’Allemagne, principal partenaire de notre pays dans ce chantier hautement stratégique, le Maroc a décidé d’avancer.
La nouvelle feuille de route, conçue après une large concertation, court sur la période 2020-2050. Elle est scindée en trois décennies, avec des objectifs clairs d’applications fixés pour chacune d’entre elles et des plans d’action précis.
Une stratégie scindée en trois parties…
C’est ainsi que, sur la décennie 2020-2030, le Département d’Aziz Rabbah et ses partenaires visent trois principaux objectifs : utiliser les molécules vertes, notamment l’hydrogène, l’ammoniac et le méthanol, comme matière première pour l’industrie ; les exporter, principalement vers l’Europe ; et se lancer dans l’exploration de gisements d’hydrogène naturel.
Ensuite, sur la seconde décennie 2030-2040, le Maroc a décidé de développer les premiers projets économiquement viables dans ce qui est également dénommé le Power-to-x (PtX), d’exporter des combustibles liquides synthétiques et d’utiliser l’hydrogène comme vecteur de stockage d’énergie. Sur la troisième et dernière décennie enfin, le ministère va se lancer dans l’amélioration de la capacité nationale de production d’hydrogène, d’ammoniac et de carburants synthétiques verts pour booster les exportations ainsi que dans l’utilisation locale de l’hydrogène vert dans l’industrie, la production de chaleur, le secteur résidentiel, la mobilité urbaine et le transport aérien.
Et huit plans d’action thématiques…
S’agissant des plans d’action, ils sont au nombre de huit, adossés à des thématiques telles que le développement du contenu local, la recherche-innovation, le financement, la réduction des coûts, les exportations, les marchés intérieurs, le stockage et la création d’un cluster dédié à l’hydrogène.
Pour le développement du contenu local, par exemple, quatre actions seront initiées. La première va consister à légiférer dans le domaine du power-to-x pour garantir des règles du jeu équitables aux acteurs nationaux et aux citoyens. Secundo, il est envisagé de renforcer la coordination université-industrie-recherche-formation. Tertio, le transfert de compétences à l’industrie et aux chercheurs sera institué. Enfin, la coopération internationale et la création de joint-ventures seront favorisées.
Pour ce qui est du financement, essentiel pour tout projet, il est envisagé de s’engager dans des PPP pour déployer l’infrastructure nécessaire, obtenir un soutien international, fournir un soutien indirect, favoriser accords, associations et projets PtX intégrés et, également, exploiter les outils internationaux de financement. Autres exemples d’actions envisagées pour les exportations : la mise en place d’un transport maritime de combustibles liquides synthétiques et le déploiement d’infrastructures de production, de stockage et d’exportation ainsi que d’infrastructures portuaires adaptées.
Dont certains sont déjà lancés
Sur ce dernier plan, il faut signaler que le travail a déjà commencé, depuis l’année dernière. En effet, une lettre d’entente a été signée entre les autorités des ports de Tanger Med et de Hambourg, et des spécialistes allemands avaient déjà fait le déplacement pour aider le port marocain à mettre en place l’infrastructure nécessaire pour l’exportation du PtX. La lettre d’entente prévoyait également l’échange d’expériences et de bonnes pratiques en matière de cybersécurité portuaire et de digitalisation.
Concernant le plan d’action relatif à la création d’un cluster industriel, un grand pas a, par ailleurs, été déjà franchi. En effet, le cluster GreenH2 a été mis en place. Ses objectifs vont consister, d’une part, à contribuer à l’émergence d’une filière de l’hydrogène vert compétitive, et à positionner le Maroc comme hub régional, leader dans l’export de l’hydrogène vert et de ses dérivés.
Et, d’autre part, à œuvrer à fédérer l’écosystème national autour d’objectifs communs et à construire en commun un cadre réglementaire incitatif et équitable en faveur du développement de la filière. Ceci sans oublier qu’il sera dédié à l’innovation et à la valorisation industrielle de l’hydrogène, à travers le développement des technologies hydrogène et l’élaboration d’un schéma directeur des infrastructures correspondantes, notamment en s’appuyant sur les infrastructures de l’Institut de recherche en énergie solaire et énergies nouvelles (IRESEN), développées en partenariat avec l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P).
Signalons que cette feuille de route est le fruit du travail de la Commission technique nationale Power-To-X, mise en place par le ministère de l’Énergie, des mines et de l’environnement en 2019. Cette commission était, notamment, scindée en trois groupes de travail.
Le premier, chargé de décliner la feuille de route en un portefeuille de projets concrets, pilotes et de déploiement des technologies Power-to-x. Le second, chargé d’élaborer une approche appropriée pour développer les exportations de molécules vertes, afin de saisir les opportunités offertes au Maroc et qui s’illustrent déjà par l’intérêt exprimé par les partenaires européens du royaume. Tandis que le travail du troisième portait sur le renforcement de la recherche-développement dans les différents domaines liés au Power-to-x.
Le Maroc pourrait capter 2 à 4% de la demande mondiale en PtX d’ici 2030
Bref, ces derniers ont travaillé sous la houlette de Aziz Rabbah, avec en ligne de mire, l’importance des technologies PtX pour le tissu économique marocain, en particulier le secteur industriel pour lequel le Maroc est appelé à adopter les meilleures solutions et à mobiliser tous les moyens nécessaires pour renforcer davantage sa compétitivité et faire face aux nouvelles exigences, notamment de nos partenaires, dans l’objectif de promouvoir nos exportations.
A cet effet, les technologies PtX permettraient d’avoir une économie décarbonée, particulièrement dans les secteurs industriel et du transport. En effet, deux études, présentées en 2019 par trois instituts de recherche allemands Fraunhofer (IMWS, IGB et ISI), ont révélé que, grâce à sa situation géographique privilégiée et son potentiel exceptionnel en énergies éolienne et solaire, le Maroc pourrait capter une part non négligeable de la demande de Power-to-x, estimée entre 2 et 4% de la demande mondiale, dès 2030.
A cet horizon, l’ammoniac vert offrirait d’importantes opportunités au pays pour satisfaire les besoins de son industrie locale des engrais et celle du marché international, à long terme. En attendant, signalons que la réalisation de cette feuille de route peut s’avérer compliquée par deux facteurs sonnant comme des impératifs catégoriques.
Le premier concerne la coopération avec l’Allemagne, actuellement gelée, et qui a intérêt à reprendre au plus vite pour le bien des deux pays. En effet, l’Allemagne a besoin du Maroc et le Royaume a aussi besoin de l’Allemagne dans le PtX. Plusieurs pas ont été franchis ensemble pour promouvoir l’hydrogène vert.
C’est simple, l’Allemagne envisage d’investir 9 milliards d’euros (environ 100 MMDH) à l’horizon 2030 pour développer des projets PtX dont plus de 2 MMDH en provenance de fournisseurs étrangers parmi lesquels le Maroc est le plus privilégié. L’autre factewur qui risque de compromettre la bonne mise en œuvre de la feuille de route nationale PtX, c’est la disponibilité de l’eau. Les technologies PtX sont, en effet, très gourmandes en eau. Or, notre pays est sous stress hydrique !!!
Aziz Diouf / Les Inspirations ÉCO