Système de santé : un traitement de choc s’impose
Le rapport de la commission parlementaire qui a passé au crible la situation du système de santé au Maroc met le doigt sur nombre de dysfonctionnements. Les députés plaident notamment pour l’élaboration d’un Code général de la santé et la mise en place d’une politique financière prenant en considération les besoins et spécificités du secteur. Le point sur les principales conclusions et recommandations.
Les députés viennent de finaliser le rapport du groupe de travail thématique sur le système de santé qui a été formé le 31 août 2020, en vue de faire le point sur des dossiers stratégiques : les infrastructures, les ressources humaines, la justice territoriale en matière d’accès aux soins et la gouvernance en matière de gestion des programmes relatifs au secteur de la santé.
Dans le contexte actuel, marqué par les répercussions de de la pandémie du Covid-19, le verdict et les recommandations des députés, qui ont auditionné plusieurs responsables, professionnels et experts, sont très attendus. Ils seront débattus mardi prochain en séance plénière.
En gros, le constat des députés se recoupe largement avec celui établi par le département de tutelle qui a pointé, à plusieurs reprises, les insuffisances et les dysfonctionnements qui minent le secteur de la santé. On peut citer, entre autres, la problématique des disparités territoriales en matière de répartition des infrastructures.
La commission parlementaire a pointé du doigt l’absence de Centres hospitaliers universitaires dans certaines régions ainsi que la faiblesse du nombre de lits dans les centres hospitaliers en comparaison avec les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé. La gouvernance du secteur n’est pas en reste et gagnerait à être améliorée.
À titre d’exemple, au niveau des urgences, les députés ont observé l’absence de diagnostic initial des cas urgents en raison notamment de la grande pression exercée sur ces structures. Plusieurs problèmes en suspens sont liés, d’après le rapport, à l’absence de mécanismes pratiques et techniques permettant d’assurer un suivi efficace, tels que les systèmes nationaux d’information et de statistiques liés au domaine de la santé.
Pour garantir un accès juste et équitable aux soins à tous les Marocains dans les quatre coins du pays, les députés plaident pour l’élargissement de la carte sanitaire. Cet objectif ne pourra se concrétiser qu’à travers la révision de la répartition des infrastructures de santé tant publiques que privées, notamment les hôpitaux et centres publics, les cliniques, les cabinets médicaux, les facultés de médecine et de pharmacie, et l’amélioration des structures d’accueil.
Outre le renforcement des infrastructures, les parlementaires prônent l’adoption d’un découpage territorial prenant en considération les spécificités de chaque région, sa densité de population et son étendue géographique, ainsi que la question des spécificités épidémiologiques, économiques, sociales et administratives.
S’agissant des ressources humaines, les chiffres font froid dans le dos. Le Maroc ne dispose que de 9.021 médecins exerçant dans le secteur public et 14.626 dans le privé. Les disparités régionales sont, on ne peut plus, énormes. Presque la moitié des cadres de santé sont concentrés dans deux régions : 30,7% dans la Région Casablanca-Settat et 18% dans la Région Rabat-Salé-Kénitra.
Le financement, le nerf de la guerre
Les ressources financières, allouées au secteur de la santé, demeurent en deçà des besoins, en dépit des efforts budgétaires déployés au cours des dernières années. Le budget de la santé est de 6,79% du budget général de l’État en 2021, alors que l’OMS recommande un taux de 10% du PIB. Cette situation fait que le poids des dépenses supportées par les ménages a considérablement augmenté. Il a en effet atteint un pourcentage de 50,7% des dépenses de santé, alors que la couverture médicale ne dépasse pas 22% et le financement fiscal 24,4%. À cela s’ajoute l’absence de mécanismes d’incitations au profit du secteur privé pour l’amener à investir dans le domaine médical surtout au niveau territorial.
Par ailleurs, le manque à gagner pour le secteur public est grand. Les établissements publics de santé qui fournissent 77% du nombre de lits ainsi que le plus grand nombre de services médicaux ne bénéficient que de 27,3% des dépenses totales de santé. Les hôpitaux publics ne bénéficient du tiers payant, des organismes gestionnaires de l’assurance maladie, qu’à hauteur de 10,3% contre 65% pour les cabinets et cliniques privés. Pour que la réforme puisse atteindre ses objectifs, il est impératif de s’atteler en priorité au problème du financement qui est parmi les obstacles qui se dressent devant la mise à niveau du secteur, surtout que le Maroc aspire à généraliser la protection sociale qui nécessite un effort financier supplémentaire, comme le recommandent les députés. La problématique du financement se recoupe avec nombre d’autres problèmes.
Il s’avère en effet impossible d’aborder la question de l’augmentation du nombre des ressources humaines ou encore celle de l’amélioration des infrastructures sans une augmentation du budget alloué au secteur de la santé, et ce, en vue d’atteindre les niveaux fixés par l’OMS. Le renforcement des ressources humaines doit être au cœur de la politique du financement.
Le rapport parlementaire cite, à cet égard, les recommandations de la Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD) qui a plaidé pour la mise en place d’une politique financière donnant la priorité à l’allocation des ressources au capital humain, tout en réorientant les coûts de compensation vers les mécanismes intégrés en matière de protection sociale.
Les parlementaires recommandent d’investir davantage dans la santé en tant que secteur productif et économique pour les générations futures, et pas uniquement en tant que secteur social. Il est également proposé d’augmenter d’un point le budget du secteur chaque année, jusqu’à ce qu’il atteigne 10% du PIB et de restructurer le budget du ministère de la Santé, en l’élaborant sur la base des besoins réels, de l’efficacité, de la mise en œuvre et de la rentabilité.
Les députés appellent aussi à lancer des réformes structurelles pour l’amélioration de l’offre de soins et à adopter des mécanismes de financement innovants en matière d’investissement dans le cadre du partenariat public-privé. Ils prônent également la nécessité de miser sur la cohérence et la convergence entre les caisses chargées de la couverture médicale de base.
En outre, le renforcement des équilibres financiers des systèmes de base d’assurance maladie obligatoire s’impose, ainsi que l’amélioration et la rationalisation du système de couverture médicale. Cet objectif est tributaire de la clarification du rôle des différentes institutions et instances concernées. Les parlementaires plaident pour la réhabilitation de l’hôpital public pour qu’il devienne plus attractif surtout en ce qui concerne les ressources du tiers payant, la mise en place de la facturation réelle des services, la mise en œuvre des recommandations des troisièmes assises de la fiscalité, relatives notamment à l’élargissement de l’assiette fiscale de la TVA et l’affectation de l’excédent aux secteurs sociaux, notamment la santé.
En ce qui concerne la diversification des sources de financement, les députés recommandent l’ajout de certaines taxes relatives à la santé, comme les cigarettes et l’alcool, ainsi que l’implication d’autres départements ministériels et administrations publiques, des régions, du secteur privé, de la coopération internationale… Le gouvernement est appelé, par ailleurs, à adopter un modèle de financement de la couverture médicale universelle basé sur un financement partagé et une répartition équitable des coûts : 25% pour les ménages, 25% pour les collectivités territoriales, 50% pour l’État.
Nécessité d’une vision globale
Les députés pointent du doigt nombre d’obstacles relatifs aux enjeux organisationnels, aux ressources humaines et aux financements, ainsi que des contraintes majeures liées à la gouvernance et aux infrastructures. L’ensemble des dysfonctionnements relevés nécessitent d’être traités dans le cadre d’une vision globale et intégrée en vue de pouvoir, finalement, réaliser les objectifs souhaités en matière de mise à niveau du secteur de la santé. Les lacunes constatées par les députés sont dues, notamment, à l’absence de certaines législations, à la nécessité de réviser et de modifier un ensemble de lois en vigueur et d’élaborer de nouveaux textes juridiques.
Dans ce cadre, il est proposé d’élaborer un code général relatif au secteur de la santé et à porter un intérêt particulier à la formation des ressources humaines et à la réorganisation des métiers médicaux et paramédicaux.
Jihane Gattioui / Les Inspirations Éco