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Maroc : comment l’apprentissage de l’arabe pâtit des ambitions économiques ?

Comment faire de la maîtrise de la langue arabe un levier de progrès du capital humain des pays de la région MENA ? Quels sont les leviers à actionner pour faire progresser l’enseignement et l’apprentissage de cette langue en vue de réduire la pauvreté des apprentissages ? Pour la Banque mondiale et la Fondation Queen Rania, ces défis méritent d’être urgemment relevés.

Selon le rapport de la Banque mondiale, intitulé «Advancing Arabic Language Teaching and Learning: A Path to Reducing Learning Poverty in MENA», «plus de la moitié des enfants des pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) vivent en situation de pauvreté d’apprentissage de l’arabe. Ils ne sont pas en mesure de lire ni de comprendre un texte adapté à leur âge avant 10 ans». Autant dire que le constat est alarmant.

Face à l’importance des enjeux, la banque a réuni des décideurs politiques de la région, d’une part pour présenter les conclusions de ce rapport publié le 29 juin, mais aussi pour identifier et explorer les facteurs influençant cet état de fait, permettre aux pays de la région de renforcer l’efficacité de l’enseignement et de l’apprentissage de la langue arabe, et acquérir davantage de connaissances sur les initiatives et les expériences conduites sur le terrain, lors d’un webinaire organisé le mardi 29 juin. Nul n’ignore l’importance de la langue arabe. Une langue qui existe depuis plus de 15 siècles et qui a joué un rôle prépondérant pour la transmission de connaissances humaines, de savoirs et de civilisations anciennes. Aujourd’hui, cette langue usitée par plus de 220 millions fait face à des difficultés en termes d’apprentissage et d’enseignement.

Parmi ses défis, l’on cite la concurrence avec les dialectes arabes. Avec la Covid-19, les difficultés d’apprentissage de la langue se sont aggravées du fait d’un déficit de suivi en présentiel. En Afrique du Nord, le pourcentage d’enfants qui ne sont pas capables de lire et de comprendre un texte simple à l’âge de 10 ans s’est encore creusé à 70% pour l’Égypte, suivi du Maroc (66%), et la Tunisie (65%). Le cas du Yémen, qui affiche le plus haut taux de pauvreté de l’apprentissage de la langue arabe dans la région, s’explique par le conflit que traverse le pays. Les pays de l’Afrique du Nord sont souvent indexés de ne pas assez se concentrer sur la langue arabe, qui se trouve surplantée par le français ou l’anglais en raison des relations historiques entretenues avec les pays européens qui les ont colonisés. «Cet état de fait empêche les enfants de s’investir pleinement dans leur éducation et entrave les progrès des pays de la région en matière de formation du capital humain», déplore la Banque mondiale. Une myriade de facteurs influence cet état de fait, mais «nombre de ces facteurs peuvent être traités par des changements dans les politiques et les programmes d’éducation liés à l’enseignement et à l’apprentissage de l’arabe», soulignent les experts.

L’environnement familial constitue parfois un frein
Le coup de pouce de l’environnement familial, politique et social est bien évidemment indéniable pour améliorer les compétences de lecture et la connaissance de la langue arabe. L’une des difficultés est que pour les milieux à revenu moyen (la classe moyenne) dans les pays du Maghreb en général, et au Maroc en particulier, les enfants sont encouragés à étudier dans les langues étrangères plutôt qu’en arabe classique. «Les gens pensent que les langues étrangères sont un ascenseur social, le moyen d’accéder à une éducation de meilleure qualité à l’étranger. Au Maroc, les écoles d’apprentissage des langues étrangères (français, anglais, allemand, espagnol…) sont pleines à craquer. Ce qui représente une énorme concurrence par rapport à la position de la langue arabe», explique Dr Fouad Chafiqi, directeur des programmes au ministère de l’Éducation, de la formation professionnelle, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. La performance réalisée par le Maroc dans cette étude reposerait-elle uniquement sur les classes défavorisées ?

Recommandations de l’étude et les défis à relever
Parmi les obstacles à l’emploi de l’arabe classique au quotidien, Hanada Taha Thomure, professeur titulaire de langue arabe à l’Université Zayed aux Émirats arabes unis, évoque «le manque de confiance des jeunes en leur capacité à parler correctement la langue». Il existe d’autres facteurs freinant l’apprentissage de l’arabe classique au sein des systèmes d’enseignement, notamment la caducité des programmes de formation des enseignants, le fait qu’ils ne correspondent pas aux réalités actuelles. Aussi, les programmes de formation ne correspondent pas aux programmes scolaires dispensés aux enfants.

Pour changer la donne, le rapport de la banque mondiale fait sept recommandations. La première consiste en la mise en place dans les pays d’une stratégie nationale pour l’apprentissage et la lecture avec des objectifs mesurables bien définis en amont et en lien avec les ambitions des politiques économiques ; identifier la terminologie commune entre l’arabe classique et les dialectes locaux et les utiliser en guise de pont permettant aux enfants de passer aisément du dialecte à l’arabe classique ; augmenter l’exposition à l’arabe classique à la maison, par des moyens didactique légers et faciles d’accès et attractifs ; mettre en place des critères détaillés pour mesurer le développement mesuré de l’acquisition des compétences de la lecture et proposer des ressources d’apprentissage électroniques, numériques et manuels en mettant au point des examens de mesure plus faciles d’accès. La cinquième recommandation consiste à revoir les programmes de formation des professeurs d’arabe au niveau de l’université, avant leur nomination et leur permettre d’accéder à des moyens de formation tout au long de la vie et leur fournir des moyens didactiques utiles pour mieux aider leurs élèves ; veillez à ce que les écoles disposent de programmes bien ficelés et aboutis pour l’apprentissage de l’arabe en y accordant le temps nécessaire pour la dispensation des cours. Et enfin, identifier les élèves ayant le plus de difficultés dans l’apprentissage de l’arabe et leur fournir un soutien scolaire ou post-scolaire. Le but étant d’améliorer la capacité des enfants à apprendre à lire et acquérir de nouvelles connaissances grâce à l’acquisition de ces compétences.

Les mauvaises habitudes ont la peau dure chez les enseignants
«Le principal problème à améliorer est le comportement des enseignants dans les écoles. Après 3 ou 4 jours de formation pour les enseignants, l’on observe que sur le terrain, ils appliquent les nouveaux systèmes auxquels ils ont été formés, mais au bout d’un certain temps, ils reviennent à leurs anciennes habitudes. L’enjeu est de faire en sorte que les nouveaux programmes soient adoptés sur le long terme par les enseignants.», explique Dr Fouad Chafiqi .

Réformer les programmes ou les enseignants ?
Sur le terrain, des efforts sont faits pour pallier aux insuffisances observées dans la lecture et l’écriture de l’arabe classique. Pour renforcer l’apprentissage et l’enseignement de l’arabe au Maroc, le royaume renforce les actions depuis ces sept dernières années. En 2014, le royaume a préparé des études sur l’apprentissage et l’enseignement de la langue. À l’instar de l’étude de la Banque mondiale, ces études ont diagnostiqué une pauvreté au niveau de l’apprentissage.

«Dans le cadre de notre programme «la lecture pour réussir» nous avons essayé de nous concentrer sur un programme modèle déployé dans 90 écoles pilotes réparties sur 8 régions», explique Dr Chafiqi.

Dans le déploiement des actions sur le terrain, le Maroc a commencé par capitaliser les expériences nationales et internationales. Ainsi, en 2011, les programmes scolaires du primaire ont été revus. Le programme de la lecture a été réécrit, étant donné que cet exercice représente 50% des cours d’arabe, qui constituent un volume horaire de 10 heures dans le cadre de cycles primaires. Le Maroc a introduit des concepts nouveaux rendant l’apprentissage de la langue plus facile et le plus tôt possible, au cours des trois premières années du cycle primaire. Des curriculums et du matériel lié à la formation des enseignants dans les centres de formation ont été mis au point, les manuels scolaires aussi.

«Après le démarrage de ce programme, il était clair que les écoliers étaient capables de déchiffrer les mots et les phrases au bout de 3-4 semaines. Ce programme pilote a été généralisé en 2018 à toutes les écoles marocaines. Nous avons donc formé tous les enseignants, publié de nouveaux manuels scolaires et équipé plus de 1,4 million d’écoliers des deux premières années du cycle primaire. En 2019, nous avons touché les écoliers des trois et quatrièmes années du cycle primaire, soit 3 millions de bénéficiaires du programme de lecture précoce et du nouveau curriculum d’enseignement de la langue arabe. Puis touché les écoliers de 5e et 6e année du cycle primaire», explique Dr Fouad Chafiqi.

Pour ce qui est des leçons apprises, le cadre souligne qu’il ne s’agit pas uniquement de remplacer un programme par un meilleur. Mais, il est important de convaincre d’abord les décideurs politiques et syndicaux, de convaincre les enseignants que leurs approches ne sont pas efficaces. Il est aussi important de préparer les documents pédagogiques indispensables, éveiller la créativité culturelle et artistique chez les enfants, ou encore créer un environnement favorable de la part des familles et la société. Il faut aussi systématiser l’enseignement de l’arabe classique lorsque l’on enseigne les sciences sociales et les matières scientifiques. Il faut tenir compte du fait que les erreurs faites en enseignant langue arabe ont un impact sur les enfants. Au niveau de la deuxième partie de 2020, le Maroc a évalué le programme actuel et obtenu des résultats positifs. Une évaluation est également en cours au niveau du programme Hikaya (histoire). Pour encourager la lecture chez les écoliers le ministère de tutelle a distribué plus de 500.000 livres. 

Modeste Kouamé  / Les Inspirations Éco



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