Indemnités de la CNSS. Haro sur la fraude!
Le gouvernement s’apprête à introduire des ajustements visant notamment à lutter contre les déclarations frauduleuses au sujet des indemnités distribuées aux salariés affiliés à la CNSS en arrêt de travail.
Ce sont 131.955 entreprises qui se disent durement touchées par la pandémie, sur un total de 216.000 entreprises adhérentes à la CNSS. Ces entreprises ont ainsi déclaré 808.199 employés en arrêt de travail (sur un total de 2,6 millions de salariés déclarés). Ces chiffres, communiqués mercredi au Parlement par le ministre de l’Emploi Mohamed Amakraz, dépassent toutes les attentes! Même le ministre n’a pas manqué d’afficher son étonnement, mettant l’accent sur le cas des écoles privées ayant inscrit leurs salaires sur le portail Covid de la CNSS. En effet, plus de 48.000 établissements scolaires du privé ont rempli ces formalités, dont la majorité avait déjà encaissé les frais de scolarité début mars. Une démarche faisant montre, selon plusieurs, d’un manque de bonne foi. Pour verrouiller ce processus censé venir en aide aux entreprises les plus sinistrées, le Comité de veille économique s’est retrouvé obligé d’instaurer des procédures pour éviter intentions de fraude ou éventuels abus, d’autant plus qu’il s’agit là de deniers publics.
Au départ, dans le cadre d’un climat de confiance mutuelle entre l’État et les opérateurs, aucun document n’a été demandé aux entreprises en difficulté qui souhaitaient inscrire leurs employés sur le portail de la CNSS dédié à l’indemnité Covid-19. Seule une déclaration sur l’honneur «électronique» était demandée pour attester la véracité des données saisies. «La seule vérification d’usage est la déclaration du salaire provenant de l’entreprises en plus de la déclaration de l’arrêt de travail du salarié», nous explique-t-on auprès de la CNSSz.
À ce titre, la Caisse nationale de sécurité sociale, qui assure la logistique de l’octroi des indemnités, ne peut contrôler la véracité des données. En effet, selon la convention mise en place pour assurer l’opération d’indemnisation, la tâche de contrôle préalable n’a pas été assignée à la CNSS. C’est l’Inspection générale des finances (IGF) qui se chargera de cette mission… après la finalisation de l’opération, qui durera au moins jusqu’à fin juin prochain.
Toutefois, «la CNSS reçoit mensuellement des déclarations de salaires, et accessoirement la déclaration d’arrêt de travail. La caisse confronte les données des deux espaces. Si une entreprise a fait ses déclarations dans les deux espaces, on comprend bien que le salarié n’aura pas droit à l’indemnité à ce niveau», nous explique la même source.
Cela veut dire que seuls les employés en arrêt de travail auront droit à l’indemnité. Sur ce sujet, la CNSS a récemment demandé aux entreprises de déclarer leurs salariés en arrêt de travail plus tôt que prévu, avant le 3 mai (au lieu du 10). Ceci lui permettra de faire ses vérifications et donc de verser les indemnités à temps. Par ailleurs, les inscriptions sur le portail de la CNSS sont pour l’instant suspendues. La reprise des démarches dépend de la parution du décret fixant les nouveaux critères conditionnant l’octroi des indemnités. Pour rappel, ledit décret vient en application du projet de loi 25.20 fixant des mesures exceptionnelles en faveur des employeurs affiliés à la CNSS. Validé lors de la dernière réunion du Conseil de gouvernement, il a été approuvé, jeudi 16 avril, en séance plénière à la Chambre des conseillers.
Le nouveau décret
La mouture dudit projet de décret stipule que les entreprises justifiant d’une baisse de leur chiffre d’affaires d’au moins 50% (en glissement annuel) sont les seules à pouvoir inscrire leurs salariés parmi les candidats pouvant bénéficier de l’indemnité Covid-19. De plus, les entreprises déclarant plus de la moitié de leurs effectifs en arrêt de travail seront traitées au cas par cas. Pour les entreprises dont la baisse du chiffre d’affaires varie entre 30 et 50%, l’octroi de l’indemnité sera également traité au cas par cas par un comité interministériel qui se compose de représentants des ministères des Finances et de l’Emploi, en plus des représentants du ministère sous la tutelle duquel est placée l’entreprise en difficulté. Justement, un autre critère est décrété: celui du secteur d’activité de l’entreprise.
Les secteurs concernés par cette mesure seront, quant à eux, listés dans le décret en cours de finalisation. Dans ce sens, les entreprises opérant dans des secteurs lourdement affectés par la pandémie auront droit à l’indemnité du fonds spécial de façon systématique. Notons que, lors de la dernière réunion du Comité de veille économique, il a été décidé qu’un autre organe de contrôle soit désormais associé lors du déploiement du dispositif d’octroi des aides financières, à savoir la Direction générale des impôts. De plus, il a été décidé l’exonération de l’impôt sur le revenu, de tout complément d’indemnité versé au profit des salariés (affiliés à la CNSS) par leurs employeurs, dans la limite de 50% du salaire mensuel net moyen. L’objectif est de préserver le pouvoir d’achat des employés en arrêt de travail, dont le salaire dépasse les 2.000 DH.
Mehdi El Fakir
Économiste, consultant en stratégie et risk management
Au regard du temps de réaction à la crise sanitaire, qui était court, et de l’obligation de faire face rapidement aux effets négatifs du coronavirus sur l’économie nationale, l’État se devait d’agir dans le bon sens et le plus rapidement possible. Les entreprises, les salariés… tout le monde était dans l’incertitude. Le Comité de veille économique a donc réagi en prenant en compte les moyens de bords pour annoncer les procédures d’indemnisation aux opérateurs affectés par la crise du coronavirus. Maintenant, d’après les observations, soit les opérateurs économiques ont mal compris l’esprit des dispositions mises en place par le gouvernement, soit on pourrait dire qu’ils ont effectivement commis des erreurs. Les entreprises ont-elles commis des fraudes? Le jugement de valeur dépendrait de l’étude au cas par cas. Nous sommes aujourd’hui dans un état d’exception; à mon avis, le fait de clarifier les procédures et les mesures est une très bonne chose. Cependant, il ne faut pas sombrer dans des critères qui ne sont pas assez explicites. Ces derniers doivent être précis, vérifiables et surtout «auditables». Ceci poussera les entreprises à devoir respecter encore plus la loi.