Gestion des déchets ménagers et assimilés : les chantiers inachevés se comptent à la pelle
Alors que le Programme national des déchets ménagers et assimilés (PNDM) touche à sa fin (2008-2022), l’heure est au bilan. Pour sa part, le dernier diagnostic de la Cour des comptes relève de nombreuses aberrations. Lesquelles ?
Alors que les pluies reprennent de plus belle et se font de plus en plus persistantes, les insuffisances relevées par le dernier diagnostic de la Cour des comptes au sujet du système de gestion des déchets ménagers et assimilés se posent avec acuité. D’autant plus que les prévisions météorologiques établies par la Direction générale de la météorologie annoncent des pluies par endroit et par moment aux quatre coins du pays. En règle générale, pluies et déchets ne font pas bon ménage dans nos grandes villes, d’où la multiplication, à l’approche des saisons de pluies, de programmes proactifs de curage et d’entretien des canalisations d’eaux usées et pluviales.
Objectif : évacuer les déchets accumulés et coincés dans le réseau, généralement responsables du bouchage des canalisations qui entraînent par conséquent des inondations. Mais aussi la production de lixiviat, notamment pour les décharges à ciel ouvert, d’autant plus que le rapport souligne une croissance des quantités de lixiviat résultant de l’enfouissement des déchets (estimées à 900.000 m3/an). Ce qui nécessite un coût de traitement estimé au minimum à 207 MDH, sans oublier les risques que peut comporter toute insuffisance au niveau des systèmes d’étanchéité mis en place contre l’infiltration du lixiviat et des techniques de traitement utilisées.
Le taux de valorisation n’a pas pu dépasser le seuil de 10% de l’ensemble des déchets produits annuellement !
Ainsi, le nombre de plans directeurs finalisés, jusqu’à fin 2020, a atteint un total de 45 plans seulement sur les 64 initialement prévus pour couvrir les provinces et préfectures. Quant à la professionnalisation de la gestion de ce secteur, elle a concerné 81% des villes et centres urbains visés. Pour ce qui est des décharges contrôlées, seulement 43% des prévisions de réalisation ont été concrétisées.
Conséquence : les quantités mises en décharge n’ont pas dépassé 3,95 millions de tonnes de déchets contre des prévisions de 6,3 Mt à fin 2020, soit seulement 62,69% de l’objectif fixé. Dans le même contexte, et en relation avec les résultats obtenus par rapport au but fixé, le taux de réhabilitation des décharges non contrôlées n’a pas dépassé 24% du total de celles prévues, étant donné, essentiellement, que les opérations de réhabilitation sont conditionnées par la réalisation préalable de décharges contrôlées. Le PNDM a également retenu, parmi ses objectifs, le développement du tri, recyclage et valorisation des déchets pour porter le niveau de recyclage à 20% et 30% sous d’autres formes à l’horizon 2022.
Malgré cela, le taux de valorisation des DMA n’a pas pu dépasser le seuil de 10% de l’ensemble des déchets produits annuellement. «La mise en place de centres de tri s’est limitée à trois décharges uniquement contre un objectif de 26, tandis que la réalisation des installations de valorisation énergétique s’est limitée à deux décharges uniquement contre un objectif de 18 décharges», déplore la Cour des comptes.
Un modèle économique et financier inadapté
Ce bilan est dû à plusieurs contraintes liées, en partie, aux orientations même du PNDM ainsi qu’à certaines problématiques de financement, de gouvernance et de gestion. A cet égard, et concernant le modèle économique et financier du PNDM, il a été adopté un modèle de gestion basé, principalement, sur l’augmentation du taux de collecte des DMA et leur enfouissement quasi intégral dans les décharges contrôlées. Une option qui a engendré une hausse des coûts des prestations relatives à la collecte des déchets et leur enfouissement dans les décharges, à cause, non seulement, de l’accroissement des quantités collectées, mais aussi des prix unitaires pratiqués à la tonne collectée.
En outre, l’insuffisance et la limite du modèle économique et financier adopté se manifeste dans l’incapacité de plusieurs communes à supporter les coûts des prestations rendues par le biais uniquement de leurs ressources propres. Cela apparaît, nettement, à travers les arriérés de paiement qui ont avoisiné, à fin 2020, un total de 1,77 MMDH, répartis entre 1,36 MMDH concernant la collecte et le nettoiement, et 404,58 MDH pour la gestion des centres d’enfouissement et de valorisation. Pour la Cour, l’option d’enfouissement intégral des DMA ne s’adapte pas aux conditions de soutenabilité financière et environnementale.
La cour recommande la levée des obstacles à la valorisation énergétique
Au chapitre des recommandations adressées au ministère de l’Intérieur et celui de la Transition énergétique et du développement durable, la Cour des comptes préconise de réviser le modèle économique actuel, en vue de promouvoir les ressources provenant de la réduction des déchets et de la valorisation énergétique et autres. Et ce, après la mise en place de la collecte sélective en bi-flux, l’application du principe de la responsabilité des producteurs des déchets, l’application des redevances à l’encontre des grands producteurs, ainsi que l’application des sanctions à l’encontre des contrevenants aux règlements de collecte et d’élimination des déchets.
Il a aussi été recommandé l’amélioration de la gouvernance locale à travers l’étude de la possibilité d’institution d’un acteur local solide par ses ressources humaines, financières et techniques, sous forme de société de développement régional, chargée de l’équipement et de la gestion des décharges, en qualité de maître d’ouvrage délégué, et sous forme de société de développement au niveau de la province ou de la préfecture. Laquelle serait chargée d’exercer les missions de maître d’ouvrage délégué pour tous les projets de collecte, de suivi et de contrôle des DMA.
La Cour a suggéré, également, l’étude de la possibilité de mise en place d’un modèle de gestion, en vertu duquel il sera attribué au gestionnaire public la réalisation des investissements relatifs aux projets de gestion des DMA, tout en attribuant l’exploitation au secteur privé à travers des contrats de gestion déléguée. Quant à l’aspect légal, la Cour a recommandé d’œuvrer progressivement au renforcement de la libéralisation du secteur de la valorisation énergétique, à la levée des obstacles juridiques à cet effet, à la modification de la loi n°28.00 relative à la gestion des déchets et à leur élimination, de manière à permettre l’adoption de plans régionaux de gestion et d’élimination des déchets dangereux, ainsi qu à la mise en place de centres régionaux de traitement et d’élimination.
Le Programme National des Déchets Ménagers et Assimilés touche à sa fin
Lancé en 2008 pour couvrir la période 2008-2022, le Programme national des déchets ménagers et assimilés (PNDM) touche à sa fin. Ce programme, doté d’une enveloppe budgétaire de 40 MMDH, a permis au Maroc de réaliser des progrès importants en matière de gestion des déchets ménagers et assimilés (DMA), notamment en matière de taux de collecte qui avoisine actuellement 95%.
Cependant, les autres objectifs fixés par le PNDM, notamment la finalisation de plans directeurs d’une soixantaine de provinces et préfectures, la professionnalisation de la gestion des déchets, la réduction des décharges sauvages, ou encore la réhabilitation des décharges non contrôlées, ont connu des niveaux de réalisation bien moins louables.
Modeste Kouamé / Les Inspirations ÉCO