Géopolitique : Moscou exclue de la Communauté politique européenne
Par Jawad Kerdoudi
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Alors que le Général De Gaulle souhaitait une «Europe de l’Atlantique à l’Oural», la Fédération de Russie ne fait pas partie de la Communauté politique européenne, du fait du déclenchement de la guerre en Ukraine. C’est le président Emmanuel Macron qui a lancé cette initiative durant la présidence française du Conseil de l’Union européenne en 2022. Le projet consiste à mettre sur pied une instance informelle de coopération intergouvernementale. Son objectif est de favoriser le dialogue politique et la coopération, afin de répondre aux questions d’intérêt commun telles que la sécurité, la stabilité, et la prospérité du continent européen.
Cette instance pourra également servir à l’accompagnement des candidats à l’adhésion de l’Union européenne. Cependant, ce cadre ne remplacera pas les politiques et instruments existants de l’Union européenne, notamment l’élargissement, et il respectera pleinement l’autonomie décisionnelle de l’Union européenne. Les membres de la Communauté politique européenne sont tout d’abord les 27 pays de l’Union européenne. S’y ajoutent les pays membres de l’Espace économique européen et/ou de l’Association européenne de libre-échange : Islande, Liechtenstein, Norvège, Suisse. Sont également membres les pays candidats à l’Union européenne : Albanie, Bosnie-Herzégovine, Géorgie, Macédoine du Nord, Moldavie, Monténégro, Serbie, Turquie, Ukraine. Enfin d’autres pays européens : Andorre, Arménie, Azerbaïdjan, Kosovo, Monaco, Royaume-Uni, Saint-Marin.
Deux sommets
Le premier sommet s’est tenu le 6 octobre 2022 au Château de Prague en Tchéquie. 44 Chefs d’État et de gouvernement y ont pris part. Deux tables rondes ont été organisées : l’une intitulée «Paix et sécurité en Europe» et l’autre «Énergie, Climat et économie». Le sommet a donné lieu à des rencontres entre chefs d’État et de gouvernement pour des discussions informelles. C’est ainsi que le Premier ministre arménien a rencontré le président azerbaïdjanais pour discuter du contentieux du Haut-Karabakh sur les frontières entre les deux pays. La deuxième réunion de la Communauté politique européenne s’est tenue le 1er juin 2023 à Chisinau, la capitale de la Moldavie, au château Mimi Castle à une vingtaine de kilomètres de la frontière ukrainienne. 44 Chefs d’État et de gouvernement et 4 responsables de l’Union européenne y étaient présents, en plus du président ukrainien Volodymir Zelenski qui a plaidé avec force en faveur de l’adhésion de son pays à l’Union européenne et à l’OTAN.
La Moldavie au centre de l’échiquier européen
Rappelons que la Moldavie, peuplée de 2,6 millions d’habitants, était une République socialiste soviétique. Elle a proclamé son indépendance de l’URSS en 1991, mais en 1992 la guerre du Dniestr accentue la rupture avec la région sécessionniste de Transnistrie soutenue par la Russie et occupant 12% du territoire national. La présidente moldave Maia Sandu dénonce les tentatives de déstabilisation de Moscou. Elle a été élue sur une plateforme pro-occidentale et anticorruption. La Russie a réduit considérablement ses livraisons de gaz à la Moldavie, entrainant une inflation de 20%, et a prévenu que la Moldavie pourrait connaitre le même sort que l’Ukraine. À noter que la Transnistrie abrite 3.000 soldats russes déployés en tant que force d’interposition depuis la fin du conflit armé en 1993. Ce territoire de 500.000 habitants n’est reconnu en tant qu’État par aucun pays de l’ONU. Ses habitants sont russophones alors que les Moldaves parlent roumain et ont d’étroits liens culturels et économiques avec la Roumanie. Le choix de la Moldavie pour la tenue du deuxième Sommet de la Communauté politique européenne traduit le soutien de l’Europe à ce petit pays enclavé entre la Roumanie et l’Ukraine. D’ailleurs, Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a annoncé un paquet d’aides financières à la Moldavie à compter du 1er janvier 2024. Outre les problèmes politiques, les dirigeants moldaves ont soulevé les thématiques de sécurité, d’infrastructures de transport, de réseaux d’électricité et d’énergies renouvelables, notamment l’hydrogène. La souplesse du format, l’adaptabilité de l’agenda, et l’informalité des discussions sont propices à créer la confiance ainsi que le sens et la conscience de la communauté d’intérêts. Le Sommet permet aussi les échanges bilatéraux entre les membres tels que le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, et le réchauffement des relations entre le Royaume-Uni et les autres pays européens suite au Brexit. Ont été également discutées les réformes que doit entreprendre la Moldavie pour adhérer à l’Union européenne. La Moldavie a obtenu en juin 2022 le statut de candidat à l’adhésion en même temps que l’Ukraine.
L’Europe polarisée
En conclusion, la communauté politique européenne est une nouvelle institution qui regroupe 47 pays qui peuvent discuter d’une façon informelle des intérêts communs. Cependant, elle traduit la division de l’Europe en deux entités hostiles : d’un côté, la Fédération de Russie et la Biélorussie, et de l’autre côté, la quasi-totalité des autres pays européens. D’où la nécessité pour chaque entité de rechercher des alliances extérieures à l’Europe : la Russie avec la Chine, les autres pays européens avec les États-Unis. La guerre en Ukraine aurait pu être évitée si une formule d’autonomie avait été accordée à la Crimée et au Donbass en raison de la forte minorité russophone vivant sur ces territoires. C’est le cas par exemple de la Catalogne qui dispose d’un gouvernement régional et d’une assemblée locale, tout en faisant partie de l’État espagnol.