Prélèvement à la source des prestataires de services : une “bombe” à retardement, selon l’APEBI
Au-delà des professionnels percevant des honoraires et des commissions, le PLF 2023 prévoit d’instaurer le prélèvement à la source à beaucoup de corporations qui l’ignorent. Sont concernées toutes les entreprises de la Tech et celles qui font de la prestation de services en BtoB ou BtoC, quel que soit leur secteur d’activité. Détails !
Les professionnels percevant des honoraires et des commissions (avocats, médecins, notaires, topographes, et autres experts-comptables…) ne sont pas les seuls à se plaindre du prélèvement à la source d’une partie des revenus générés par leurs activités.
Après les pourparlers, la Commission Finances de la Chambre des conseillers a adopté l’amendement permettant la réduction du taux de l’impôt retenu à la source sur le chiffre d’affaires des prestataires de services «personne morale» de 10 à 5%, en limitant cette retenue aux revenus payés par l’État ainsi que les établissements et entreprises publics.
Selon Redouane El Haloui, président de l’APEBI (Fédération marocaine des technologies de l’information de télécommunication et de l’offshoring), «toutes les entreprises marocaines de la Tech et celles qui font de la prestation de services en BtoB ou BtoC, quel que soit leur secteur d’activité, vont se voir prélever à la source 10% de leur chiffre d’affaires (CA)». Autrement dit, il s’agit de 10% d’amputation sur chaque facture de vente réalisée, à compter du 1er janvier 2023.
Dans le digital, les entreprises exerçant dans l’Offshoring ne sont pas concernées, puisqu’elles travaillent pour des clients à l’étranger. Contacté par Les Inspirations ÉCO, Redouane El Haloui explique que «non seulement la mesure signe l’arrêt de mort du développement du Digital dans le Royaume, mais elle est injuste. Et ce, dans la mesure où ce sont juste les entreprises qui font du CA avec les entreprises publiques qui bénéficient de la réduction de cet impôt.
Dans ce cadre de figure, l’exemple donné est que si les prestataires font des affaires avec l’État, ils ne sont pas taxés. S’ils font des affaires avec les acteurs du privé, ils le sont !». Ce qui, à ses yeux, est paradoxal quand on sait que le Digital figure parmi les cinq paris du Nouveau modèle de développement. Selon ce qui nous revenait, des négociations étaient en cours pour que ce prélèvement à la source sur le CA soit réduit de 10% à 5% sur toutes les factures de prestations de services.
Au final, ce sont l’État et les Établissements et entreprises publics qui se font la part belle. Et même 5% de prélèvement à la source, ce n’est pas rien. Si plusieurs sujets relatifs au PLF 2023 amènent l’APEBI à monter au créneau – notamment le doublement du taux de l’IS pour les TPEs du secteur, la limitation drastique du CA à 50 KDH pour les auto-entrepreneurs, la suppression de l’avantage fiscal réservé au secteur, ou encore la suppression des avantages des entreprises ayant le statut Casablanca finance city (CFC) – celui du prélèvement à la source sur le CA des entreprises exerçant dans le Digital, les touche particulièrement. Grosso modo, sont concernés par la retenue à la source, tous ceux qui font de la prestation de services BtoB ou BtoC.
«L’APEBI essaie de faire de son mieux avec la CGEM pour supprimer cette mesure. Nos membres ont bien conscience de la problématique. Cependant, beaucoup de sociétés ne disposent pas cette information, et ne se rendent pas encore compte du danger qui les guette», réagit le président de l’APEBI.
«C’est un non-sens. Comment se fait-il que cela n’ait pas fait de bruit ? Cela occasionnera des dégâts énormes. À titre d’exemple, j’ai croisé plusieurs sociétés opérant dans les travaux d’installation et d’aménagement (BTP léger) qui facturent à leurs clients la prestation mode forfait. Et en général, ils ne connaissent leur marge qu’à l’achèvement total des chantiers avec, souvent, des dépassements sur les quantités initialement prévues. Avec une retenue à la source de 10%, ils ne pourront même pas payer les fournisseurs des matières consommées. J’imagine le choc que cela fera quand les gens sauront que 10% du CA sera ponctionné sur chaque facture. Qu’en est-il des sociétés de construction, de nettoyage, de gardiennage, d’aménagement… ? Et si la facture est un mix entre marchandises et services ?», réagit un entrepreneur qui mesure l’impact que pourrait avoir une telle mesure.
Jeter le bébé avec l’eau du bain !
Pour le président de l’APEBI, le gouvernement a tout simplement jeté le bébé avec l’eau du bain. Autrement dit, il n’a pas pris la peine de séparer le bon grain de l’ivraie dans sa lutte contre l’informel, et a fait un amalgame entre le BtoB et le BtoC.
Le dirigeant estime que, lors de la rédaction de la mesure sur le prélèvement à la source de 10% sur le CA des prestataires de services, les pouvoirs publics ont certainement confondu le BtoB et le BtoC. «Nous comprenons que le gouvernement ait une problématique au niveau de sa trésorerie, étant donné qu’il y a un certain nombre de chantiers structurants pour le pays qui nécessitent des fonds.
Face à cela, nous aurions pu comprendre que l’État aille chercher des ressources dans le BtoC, notamment là où le cash circule le plus», lance El Haloui. Il estime qu’il faut «ériger des règles dans le BtoC et mettre en place des solutions pour essayer de capter l’informel, mais pas en procédant ainsi. Non seulement, le PLF 2023 attaque le statut d’auto-entrepreneur, où il y avait des gens qui commençaient à passer de l’informel au formel via ce statut, mais en même temps, il fait un amalgame entre le BtoB et le BtoC.
Alors que, précédemment, l’Identifiant commun entreprise (ICE) a été mis en place pour renforcer les moyens de lutte contre la fraude fiscale dans la facturation inter-entreprise (BtoB). Mesure que nous trouvons ingénieuse, et qui permet de croiser l’information avec les banques, les comptables, les fiduciaires…». Rappelons que l’objectif fondamental de l’ICE est d’accélérer les démarches administratives en facilitant la communication inter-administrations. L’ICE est attribué aux personnes morales, mais également aux succursales d’une entreprise, ainsi qu’aux personnes physiques justifiant d’une activité commerciale ou autre. Pour notre interlocuteur, face aux nombreux défis qui attendent l’économie nationale, l’État doit éviter de briser la confiance chez le contribuable.
«Cet amendement est encore plus injuste et n’est pas logique. Je trouve que c’est assez pathétique, parce qu’il savent pertinemment que du moment où s’ajoute cette taxe de 10%, les entreprises vont essayer de la répercuter sur leurs clients. Au niveau du public, ils n’auront qu’un surcoût de 5%. Un sondage que nous avons réalisé sur ce prélèvement à la source révèle que plus de 80% des participants sont contre. Prélever 10% du chiffre d’affaires d’un entrepreneur, c’est énorme ! À croire que les acteurs du secteur font du 65-70% de bénéfice. Ce qui est impossible ! L’APEBI compte, parmi ses membres, des entreprises qui sont dans la revente de logiciels et qui réalisent des marges d’à peine 5%. Prenant en compte leurs charges d’exploitation, cela impose à ces derniers de faire du volume. Pour de telles entreprises, imaginez ce que représente cette mesure de retenue à la source. Et si l’on vient leur dire qu’à compter du 1er janvier 2023, on va leur prélever 10% de leurs ventes, ils mettront la clé sous la porte».
Taxer le Digital, c’est aller à l’encontre du NMD !
«Le secteur du Digital représente le moteur de l’économie, comme consacré par le Nouveau modèle de développement (NMD)», estime Redouane El Haloui. Le président de l’APEBI ajoute que le ministère de la Transition numérique redouble d’efforts pour préparer une stratégie digitale qui permettrait de faire du Maroc un leader régional et, pourquoi pas, mondial dans ce secteur. La spécificité de ce dernier fait que la nature de ses activités est intrinsèquement intellectuelle, s’agissant de «prestations de service». La souveraineté numérique du Royaume passe essentiellement par la création d’un écosystème fort qui portera haut les couleurs du pays… Un écosystème de sociétés fortes, de startups innovantes et de champions nationaux, capables de faire face aux enjeux de demain. «Nous avions même entretenu l’espoir que le PLF 2023 allait enfin mettre le Digital sur une rampe de lancement et encourager son développement pour accompagner la transition numérique de notre économie», ajoute El Haloui, selon qui les dispositions du PLF 2023 font tout l’inverse : «Au lieu d’encourager le développement de ce secteur névralgique, elles viennent l’étouffer dans son berceau en mettant un frein au Nouveau modèle de développement auquel nous sommes tous très attachés», déplore-t-il.
Modeste Kouamé / Les Inspirations ÉCO