Maroc

Des bébés sans papiers !

Des enfants nés sur le sol marocain de migrants en situation irrégulière sont privés de leurs droits pour des considérations financières et administratives. Un jugement du tribunal de Nador ouvre une brèche.

C’est un jugement historique! Omar Naji, président de la section de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH) à Nador affiche la mine des grands jours. La raison de l’euphorie de ce défenseur des droits de l’Homme est le jugement rendu par le tribunal de première instance de Nador dans l’affaire de l’enregistrement à l’état civil de l’enfant Ayari Jordan Toukan Founko, né le 13 juin 2016. Ce bébé n’avait pas de document de naissance depuis plus d’une année. Le décès de sa mère au moment de l’accouchement au CHU d’Oujda avait retardé son enregistrement dans le délai légal d’un mois. Fabrice, son père, a tenté de l’inscrire dans l’arrondissement administratif de sa résidence à Nador, sauf que les autorités locales ont refusé de le faire. «Dans le cas des naissances dans les campements de migrants près de Nador, les autorités refusent toujours d’inscrire les enfants», est-il expliqué. Aussi, le père qui est d’origine camerounaise porte l’affaire en justice, avec le soutien de l’AMDH. Il a eu gain de cause le 17 janvier 2017. Ce happy end dans le dossier de l’enfant Ayari Jordan n’est pas le lot de toutes les naissances en terre marocaine. Dans certaines situations, des ONG dénoncent une rétention des avis de naissance par les autorités sanitaires. L’enregistrement à l’état civil est un vrai parcours de combattant, avec des conséquences sur la scolarité des enfants de migrants.

Situation de «non-droit»
Aimée Lokake est secrétaire générale du Conseil des migrants subsahariens au Maroc (CSSM). Elle dispose de sa carte de séjour ainsi que son compagnon. Pourtant, elle a du bataillé pour inscrire sa fille à l’état civil. «Mon compagnon et moi, nous ne sommes pas mariés. Au moment de l’enregistrement de ma fille, j’ai du rédiger une  attestation indiquant être mère-célibataire. Je l’ai présenté au juge de la famille puis l’administration m’a délivré un extrait de naissance provisoire d’une durée de trois mois», déclare-t-elle. Le cas d’Aimée n’est pas isolé. «De nombreux parents n’arrivent pas à enregistrer leurs enfants car ils ne disposent pas d’actes de mariages», signale-t-elle. Cette situation à des conséquences sur l’accès à la santé et l’éducation. Un rapport de la Plateforme nationale protection migrants (PNPM) alerte contre des situations ubuesques. Plusieurs CHU (Rabat, Casablanca) ont pour méthode, afin d’obtenir le recouvrement des factures d’accouchement de retenir l’avis de naissance, une mesure d’ailleurs pratiquée à l’égard des Marocains et des étrangers. «Faute de moyens et d’assurance maladie, les femmes qui ne peuvent pas payer ne reçoivent pas l’avis de naissance, ce qui les empêchent ensuite d’entamer les démarches d’enregistrement de leur enfant à l’état civil dans les 30 jours après l’accouchement», se plaint la PNPM. Ce collectif associatif a entamé des négociations depuis 2014 avec ces CHU. Le résultat est étonnant : «Il y a des conséquences désastreuses pour les enfants – marocains et étrangers – qui n’ont pu être inscrits à l’état civil». Cette pratique ancienne, et depuis longtemps dénoncée par la société civile « provoque des situations de non-droit pour de nombreux enfants nés au Maroc», constate la PNPM. Les conséquences ne s’arrêtent pas là. Ces enfants se trouvent privés de l’accès à la vaccination pourtant gratuite et obligatoire. Certaines structures de soins en charge de la vaccination des nouveau-nés refusent de vacciner les enfants de migrants ! À cause de l’absence de l’avis de naissance confisqué par l’hôpital. Sans ce document, pas de vaccin BCG et in fine par de certificat de naissance. Kafkaïen ! «Depuis une année, au moins un cas a été relevé à Rabat au Centre de santé Océan à Rabat. À Casablanca, le personnel d’un centre de santé à forte concentration de population migrante nous a confirmé la nécessité d’avoir l’avis de naissance pour faire le vaccin, il s’agit du Centre de santé Azhar», relate le même rapport. L’accès au système éducatif est également bloqué à cause de l’absence d’un extrait de naissance. C’est le cas d’un enfant de 7 ans qui continue à se rendre à la crèche au lieu d’être inscrit à l’école. «Sa mère n’arrive pas toujours à produire un certificat de naissance», regrette Lakoké, qui préside le Conseil de la communauté congolaise au Maroc. Face à cette situations, des solutions temporaires sont mises en place (voir encadré) en attendant l’accès aux droits aux documents administratifs, à la santé et à l’éducation. Cette situation devrait interpeler le gouvernement qui vient de lancer une opération d’enregistrement des enfants non inscrits à l’état civil…


Initiatives associatives

Le projet associatif Tamkine a permis de prendre en charge des frais d’accouchement et ainsi de lever les refus de délivrance des avis de naissance. «Mais la pérennité de ces financements associatifs est à durée limitée, ce qui devrait encourager le ministère de la Santé à rechercher, avec les CHU, une solution pour assurer effectivement la gratuité des accouchements sur l’ensemble du territoire dans un délai rapide», martèle le PNPM, collectif associatif composé de 13 associations. Les immigrants installés au Maroc ont recours aussi au soutien d’association comme Caritas ou la Fondation Orient Occident qui assure le soutien juridique et l’accès à l’éducation. 



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