Amnistie sur le cash : un premier bilan intermédiaire positif, mais…
En quête d’un civisme fiscal renforcé, le Maroc semble sur la bonne voie avec ce premier bilan encourageant de l’opération de régularisation volontaire des situations fiscales des particuliers.
Le premier bilan de l’opération de régularisation volontaire des situations fiscales des personnes physiques au Maroc semble de bon augure pour 2024. Au 22 octobre 2024, les contribuables personnes physiques au Maroc ont déjà régularisé 280,9 millions de dirhams de revenus et avoirs non déclarés dans le cadre de l’opération de «régularisation volontaire de la situation fiscale» lancée cette année. Un montant qui révèle un certain empressement des particuliers à se mettre en conformité.
Pour un fiscaliste, «ce premier bilan intermédiaire de 2024 est encourageant. On peut supposer que bon nombre de contribuables attendent cependant la dernière ligne droite pour régulariser, comme c’est souvent le cas». Reste à voir si le rythme actuel se maintiendra et si l’objectif global sera atteint d’ici la fin d’année.
Prudence dans l’analyse de ce bilan intermédiaire
Bien que les 280,9 millions de dirhams de régularisations volontaires par les particuliers atteints au 22 octobre 2024 soient encourageants, il convient de rester prudent avant de crier victoire totale. En effet, plusieurs éléments incitent à la prudence dans l’analyse de ce bilan intermédiaire. Le comportement habituel des contribuables : comme plus d’un ont pu le souligner justement, il est courant que de nombreux contribuables attendent la toute dernière période, voire les derniers jours, avant de se décider à régulariser leur situation fiscale. Un phénomène de «régularisation de dernière minute» souvent constaté.
La dynamique temporelle : à mi-parcours, il est difficile de préjuger si le rythme actuel des régularisations se maintiendra ou non jusqu’à fin décembre 2024. On peut imaginer une accélération inhabituelle dans les dernières semaines, mais aussi un éventuel essoufflement.
L’objectif global fixé : pour bien juger de la performance finale, il faudra bien sûr la comparer à l’objectif quantitatif que s’était fixé l’administration en termes de montants attendus des régularisations des particuliers pour l’année 2024.
Un objectif qui n’est pas précisé ici. Plusieurs scénarios sont ainsi envisageables d’ici fin décembre : un coup d’accélérateur permettant de largement dépasser l’objectif initial, une poursuite du rythme actuel mais un objectif tout juste atteint, un ralentissement marqué, sous les attentes. Bref, ce premier bilan intermédiaire ne permet pas encore de crier victoire définitive. Une analyse avec plus de recul en toute fin d’année sera nécessaire, à la lumière de l’objectif précis, pour mesurer pleinement le réel succès ou non de cette opération de régularisation 2024 auprès des particuliers.
Un précédent encourageant en 2023
En 2023, l’administration fiscale ne communique pas le montant global des régularisations de particuliers, mais les dernières données suggèrent un succès relatif de ces opérations. Le rapport d’activité 2023 de la Direction générale des impôts (DGI) souligne une «performance notable» avec une hausse de 7% des recettes fiscales spontanées (194,97 milliards de dirhams), attribuée aux «actions de promotion de la conformité volontaire».
Cependant, ce chiffre agrège tous les types de contribuables sans distinguer la part respective des personnes physiques et des entreprises. Ensuite, il faut noter que les 280,9 millions représentent déjà près du quart (23,7%) du total des recette fiscales spontanées issues des particuliers en 2023 (50,6 milliards de dirhams selon les chiffres cités). Si ce montant provient bien majoritairement de régularisations volontaires plutôt que de redressements à l’initiative du fisc, il témoignerait d’une véritable prise de conscience des contribuables particuliers quant à l’impératif de mise en conformité spontanée.
Rappelons qu’en 2023, la part des recettes spontanées, toutes catégories confondues, dans les recettes globales représentait 93%, idem qu’en 2022. Ces chiffres de 2022 et 2023 confirment qu’au Maroc, les recettes fiscales proviennent en grande partie de régularisations volontaires plutôt que de redressements fiscaux imposés. Ce qui revêt une portée hautement significative et démontre une réelle adhésion croissante des particuliers à la nécessité de se mettre en conformité fiscale de leur propre chef, sans attendre d’éventuels contrôles. Un comportement positif.
Cette démarche spontanée traduit un renforcement du civisme fiscal et de la compréhension que l’impôt est un devoir citoyen au bénéfice de l’intérêt général. Elle résulterait d’une prise de conscience des risques juridiques et financiers encourus en cas de dissimulation prolongée de revenus/avoirs au fisc. Mieux vaut régulariser dans un cadre légal avantageux. Cela prouverait l’efficacité des campagnes de communication, de sensibilisation et des mesures incitatives mises en place par l’administration fiscale pour promouvoir cette démarche volontaire.
Au-delà de l’aspect financier, c’est un pas important vers une relation apaisée, de confiance, entre le contribuable et l’administration basée sur la transparence. En définitive, cette évolution positive peut résulter de plusieurs facteurs : l’efficacité des campagnes de communication de l’administration, la crainte accrue des contrôles renforcés, ou encore une meilleure intériorisation du civisme fiscal par ces contribuables. Quoi qu’il en soit, une telle dynamique de régularisation volontaire par les particuliers, si elle se confirme d’ici fin 2024, constituerait un succès indéniable. Cela permettrait d’élargir l’assise fiscale et de réduire l’évasion dans ce segment de contribuables qui pèse d’un poids considérable.
Quels profils de contribuables en 2024 ?
Si les données sont encore parcellaires pour 2024, un fiscaliste nous donne quelques pistes à explorer : «Il serait utile d’analyser la répartition des dossiers de régularisation par tranche de revenus/patrimoine, secteur d’activité et zone géographique. Cela permettrait d’identifier les profils les plus enclins à se mettre en conformité cette année et d’adapter la communication en conséquence».
Au-delà des chiffres bruts, les analystes insistent aussi sur l’importance des motivations qui poussent les contribuables à franchir le pas : «Les avantages fiscaux, la crainte des contrôles ou encore le civisme fiscal peuvent être autant de facteurs entrant en jeu. Mieux les cerner aiderait à ajuster l’approche de l’administration et lever les éventuels freins des réticents».
Cerner finement les ressorts psychologiques et rationnels
Les analystes identifient trois grandes catégories de motivations possibles. Il y a d’abord les avantages fiscaux et financiers. Il s’agit des réductions d’impôts, des annulations partielles de majorations et pénalités offertes dans le cadre des dispositifs de régularisation volontaire. Un puissant levier qui réduit le coût final pour le contribuable. Il y a ensuite la crainte accrue des contrôles renforcés : avec la modernisation des outils de datamining et de recoupement, le risque de se faire «démasquer» augmente.
Certains préfèrent alors se mettre en règle, pour ne pas tomber sous le coup de sanctions financières ou judiciaires. Le dernier ressort psychologique identifié relève du civisme fiscal et de l’éthique personnelle : c’est une prise de conscience citoyenne de la nécessité de contribuer à l’effort national qui prime sur toute autre considération.
En analysant la prévalence relative de chacune de ces motivations (par exemple via des enquêtes qualitatives), l’administration pourrait alors mieux calibrer son action, renforcer la communication sur les avantages financiers si c’est le levier principal, accroître la détection/contrôle si la crainte est le moteur majeur, intensifier la sensibilisation civique si ce facteur éthique prédomine.
En résumé, cerner finement les ressorts psychologiques et rationnels permettrait un ciblage optimal des efforts et de gagner en efficacité pour convaincre les derniers récalcitrants de régulariser leur situation. Il faut dire que la performance fiscale découle de multiples facteurs connexes. Mais si cette initiative permet un progrès, même modeste, vers plus de justice et d’équité pour l’ensemble des contribuables, alors c’est déjà un succès à saluer.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO