Le véhicule d’occasion, un Eldorado à structurer !
Dominé par l’informel, le marché marocain du véhicule d’occasion (VO) se professionnalise et s’assainit… doucement ! Certes, depuis 2013 et un amendement fiscal décisif, conformément aux dispositions de la loi de Finances de cette année-là, il attire de plus en plus les acteurs du marché du neuf. En tête d’affiche dans ce domaine d’activité sur le marché européen, ces derniers peinent pourtant à s’y faire une place au soleil sous nos latitudes. Ils n’ont droit, pour l’instant, malgré les efforts déployés, qu’à une part famélique de cet immense gâteau, qui représente plus de 70% des transactions totales, le mix européen étant globalement composé de la même manière. Pourquoi les labels VO lancés ces dernières années par les marques automobiles présentes sur notre marché, n’arrivent-ils pas à activer pleinement ce puissant levier de croissance ? Quels sont les freins qui entravent leur prise de pouvoir ? Comment les desserrer ?
À l’occasion d’une table ronde de la 9e édition du «Cercle des Éco», concept du groupe «Horizon Press», quatre experts en la matière ont répondu à ces questions, et à d’autres, après avoir dressé un état des lieux du marché de l’occasion. Ils ont livré, ensuite, une sorte de recueil de recommandations susceptibles de dynamiser le secteur, de le rendre plus transparent et plus porteur pour les «players» de la distribution automobile comme pour leurs partenaires historiques, notamment les opérateurs financiers. Une «Masterclass» donnée par Benacer Boulaajoul, directeur général (DG) de la Narsa, Adil Bennani, président de l’Aivam et DG d’Auto Nejma, Fabrice Crevola, DG de Renault Commerce Maroc et directeur de Dacia Maroc, et Khalid Dbich, DG délégué de Sofac. Le décor est planté.
VO : l’état des lieux
Le marché du véhicule d’occasion a le vent en poupe. Les perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales, l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat n’en finissent pas de plomber le marché du neuf. Et de jouer, par ricochet, en faveur des véhicules disponibles et moins chers. En 2021, le volume des ventes dans le VO a progressé de 34,32% par rapport à 2020, qui n’était pas une année comme les autres, il est vrai, et de 15,91% versus 2019. Le premier intervenant de notre table ronde, Benacer Boulaajoul, DG de la Narsa, a détaillé ce bilan de santé très positif : «Aujourd’hui, on apprécie le secteur des véhicules d’occasion sous le prisme des mutations qui sont assurées au niveau de notre système. On remarque qu’il y a eu une augmentation très intéressante entre 2020 et 2021 puisqu’on est passé de 492.000 mutations en 2020 à 662.000 en 2021. Et là, sur les dix premiers mois de l’année en cours, on en est déjà à 573.000 mutations, ce qui signifie qu’on va dépasser assez largement la performance de 2021».
Boulaajoul a également indiqué que 229.000 nouvelles immatriculations (Ndlr : VN + VO importé) ont été enregistrées en 2021, tandis qu’à fin octobre 2022, la jauge indiquait 178.000 opérations. «Sur ce volet, on a constaté un petit déclin par rapport au seuil atteint avant le Covid. On est passé pratiquement de 242.000 immatriculations avant la crise sanitaire à 182.000 en 2020. Et, aujourd’hui, on est autour de 230.000 immatriculations par an. Je pense qu’avec toutes les contraintes que connaît le marché du neuf, notamment en termes de livraisons et en termes de disponibilité de véhicules, il y a eu un glissement en faveur du VO. Et ce phénomène commence à prendre de l’ampleur», a-t-il précisé.
Pour Adil Bennani, président de l’AIVAM et DG d’Auto Nejma, le VO est un véritable relais de croissance pour les spécialistes du VN, qui ont vu leurs marges bénéficiaires fondre comme neige au soleil ces dernières années. «La problématique du VO a toujours été très présente dans nos plans d’action depuis maintenant quasiment une dizaine d’années. Parce qu’il se trouve que dans le passé, nous nous contentions de vendre des véhicules neufs, et il faut dire que la rentabilité des affaires était, jusque-là, suffisante. Cependant, au fil des ans, il se trouve que la rentabilité de l’activité véhicules neufs, dans une concession, a baissé sous la pression de l’inflation, de la concurrence et d’un certain nombre d’éléments. Par conséquent, comme ça s’est produit il y a quelques décennies en Europe et aux États-Unis, c’est arrivé chez nous. Il faut donc trouver des relais de croissance en termes de revenus. Et ces relais de croissance, on va les retrouver dans le financement, mais aussi dans les véhicules d’occasion. On va les retrouver aussi dans d’autres services annexes, comme le service après-vente, bien entendu, ou l’accessoire. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’une concession automobile en Europe n’est pas rentable sans le véhicule d’occasion ! Sur les 500 points de vente de l’automobile au Maroc, une infime minorité en fait une vraie activité».
Démarreur grippé
On en arrive aux contraintes, plus précisément à celle qui a longtemps retardé, voire renvoyé aux calendes grecques l’arrivée sur le marché du VO des «institutionnels», des enseignes automobiles du marché du neuf : la contrainte réglementaire. Le flash-back suivant vous est présenté par Adil Bennani : «Il y avait une problématique de TVA, qui faisait que quand on achetait un véhicule à 100 et qu’on le revendait à 110, on réalisait 10% de marge, ce qui est excellent dans l’occasion, mais il fallait payer 20% de TVA sur les 110. Du coup, on perdait 10. C’est la raison pour laquelle on ne s’intéressait pas à cette activité. On a longuement sollicité l’administration pour considérer la TVA sur la marge.
L’idée était de payer 20% sur les 10. Nous avons pu avoir gain de cause, obtenir ce traitement fiscal. Et cela nous a permis de commercer dans ce secteur d’activité. Néanmoins, il subsiste un certain nombre de problèmes administratifs que nous souhaitons lever, de manière à pouvoir fluidifier ce secteur et en faire un vrai levier de rentabilité. Ce n’est même plus pour faire plus. Aujourd’hui, sous la pression de beaucoup de facteurs, ça devient vital pour nos activités. Et c’est en ce sens que nous travaillons main dans la main avec la Narsa».
Si le terrain n’était pas favorable pour les importateurs de véhicules neufs avant l’application de ce nouveau régime fiscal, ce n’est toujours pas le Pérou, aujourd’hui ! Les professionnels du VN ont dû apprendre un nouveau métier, créer de nouveaux process et faire face à un contexte loin d’être facile, ainsi que nous l’explique Fabrice Crevola, DG de RCM et directeur de la marque Dacia au Maroc : «On a lancé l’activité en essayant de capitaliser sur l’expérience très importante accumulée en Europe.
On l’a démarrée il y a plus de trois ans comme un «test and learn». C’est un apprentissage à 100%, notamment pour les commerciaux VN, qui n’avaient ni les process, ni les outils pour proposer une reprise. Ce n’est absolument pas dans la culture. Proposer une reprise, expertiser le véhicule d’un client, sont des opérations qui nécessitent une organisation. L’idée, c’était de partir petit pour mieux comprendre les tenants et aboutissants et en faire, ensuite, une vraie activité. On a pu le faire car on partait de zéro, vu que ça n’a jamais été un pilier d’activité des concessionnaires au Maroc.
Il a donc fallu tout créer : les systèmes internes, les effectifs, mais aussi les compétences, étant donné qu’un commercial VO n’a pas le même profil qu’un commercial qui vend des véhicules neufs. C’est l’ensemble de l’activité qu’il a fallu créer de toutes pièces. Ce n’est pas simple. Et ça l’est d’autant moins qu’il y a des freins au développement de l’activité. On a mis du temps. On y est depuis quatre ans, et on réalise encore des volumes très faibles».
Un long apprentissage
Dans un marché quasiment quatre fois plus gros que celui du neuf, les volumes réalisés par les marques automobiles ayant démarré une activité VO sont anecdotiques, en effet. Si Renault Commerce Maroc est la locomotive des ventes sur le marché local du neuf, son antenne VO, née Renault Sélection à l’été 2018 et devenue Renew en juin 2022, n’est pas logée à la même enseigne. «Aujourd’hui, on fait essentiellement de l’activité VO sur Casablanca, dans les sites de nos succursales, en direct. On commence à peine à la déployer auprès de concessionnaires privés au-delà de Casablanca, sur les grandes villes du Royaume. Mais on est au tout début de l’histoire.
À Casablanca, les volumes ne progressent pas comme on le souhaiterait. Pour vous donner un ordre d’idées, on va faire autour de 900 véhicules d’occasion cette année, et on a l’ambition de réaliser 1.200 transactions l’an prochain. Vous voyez de quoi on parle ? En interne, on se fait plaisir. La progression serait énorme. Mais, on part de rien, en fait ! Ces chiffres sont à mettre en perspective avec le potentiel du marché, avec les chiffres qui viennent d’être communiqués, mais aussi avec les 40% de PDM que réalisent Dacia et Renault sur le marché du neuf. En réalité, on n’existe quasiment pas sur le VO.
Et les autres marques non plus», a déclaré Crevola. Et de tempérer ses propos en indiquant que l’activité a quand même réussi à démarrer, que les efforts considérables consentis par les marques n’ont pas été vains : «C’est balbutiant, mais on progresse.
Cette année, on va quand même faire plus de 700 reprises dans les succursales de Casablanca. On a ouvert un deuxième site à Lissasfa. On fait de notre mieux. Après, il y a des freins, un vrai plafond de verre». Crevola explique enfin que ces freins – qui ralentissent l’essor d’enseignes structurées sur le marché de l’occasion – contrarient aussi les desseins du client VO. La professionnalisation du secteur est synonyme de véhicules en meilleur état, garantis : «Nous proposons, à titre d’exemple, des garanties pouvant atteindre 24 mois sur nos véhicules d’occasion. Évidemment, le client, le consommateur marocain, a tout à gagner à avoir des véhicules au kilométrage et à l’état certifiés… On est au tout début de l’histoire. Faisons en sorte de l’accélérer.»
Financement : des opportunités à saisir
L’un des principaux défis que se doivent de relever les nouveaux acteurs du VO concerne le financement, le nerf de la guerre. Les banques et les sociétés de financement n’affichent pas encore le même appétence pour ce marché. En cause, la prédominance de l’informel, selon Khalid Dbich, directeur général délégué de Sofac, qui développe : «c’est le contexte qui a fait que ce gâteau de vente de véhicules n’a pas énormément progressé. Depuis dix ans, on est passé de 120.000 transactions à près de 180.000. Avoir un marché de financement potentiel de plus de 600.000 véhicules, c’est une aubaine pour nous.
Maintenant, notre métier est d’évaluer le risque. Tant qu’il reste dans l’informel, le circuit d’acquisition des véhicules, notamment entre particuliers, fait qu’on a des zones d’ombre sur lesquelles on aura du mal à évaluer le risque potentiel. On sait le faire, mais cela va renchérir l’offre de financement, qui est, de toute façon, capée par la Banque centrale.
On a une limite par rapport au taux de financement et le risque actuel ferait que ce serait difficile d’avoir une offre vendable». Les choses sont appelées à évoluer, cependant. Dbich qualifie d’aubaine, en effet, l’engouement affiché par les distributeurs automobiles par rapport à l’occasion. «Ce sont des partenaires avec lesquels on travaille aujourd’hui sur le neuf.
Mehdi Labboudi / Les Inspirations ÉCO