Addictions : Chami plaide pour une politique de santé publique
Le CESE lève le voile sur les tabous et les stéréotypes liés aux addictions. Dans son rapport, il rappelle les définitions internationales, examine la diversité des formes, l’extension et la gravité dans le pays. Parmi les recommandations du conseil, présidé par Ahmed Réda Chami, la reconnaissance des addictions, avec ou sans substance, comme étant des maladies éligibles à des soins remboursables, la révision du cadre légal et le renforcement des sanctions contre les trafiquants.
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) s’est attaqué à un sujet sensible et mal connu de notre société en réalisant une étude sur les addictions. Dans son rapport : «Faire face aux conduites addictives : état des lieux & recommandations», il traite les phénomènes complexes entourant les conduites addictives et les troubles de la dépendance, mais aussi les différentes formes d’addictions, à savoir : drogues, alcool, jeux, écrans, médicaments psychotropes… Considérés comme un sujet entouré de tabous et de stéréotypes, les addictions se répandent davantage, se diversifient et s’aggravent. Définies comme des pathologies cérébrales liées à une dépendance à une substance ou à une activité avec des conséquences délétères, la reconnaissance des addictions comme maladie reste relativement récente. «Cette pathologie est d’un coût incommensurable en termes de détresses émotionnelles et affectives», relève le conseil. Elles concernent les populations pauvres, les personnes et les groupes vulnérables et socialement déprotégées, la population carcérale dont un tiers est identifié comme en situation d’addiction à des substances psycho-actives, ou encore des jeunes et des adultes en âge ou en situation d’activité, ainsi que des femmes ou des personnes en situation de handicap.
Les biens et services licites à fort potentiel addictif représentent 3% du PIB
Le rapport établit des constats qu’il juge préoccupants. «Aujourd’hui, au Maroc, les addictions ne sont pas encore suffisamment reconnues et traitées en tant que maladie par les organismes de protection sociale», souligne Ahmed Réda Chami, président du CESE. Pourtant, l’Organisation mondiale de la Santé les définit comme telles et sont de facto éligibles à des soins. Le conseil relève aussi que les biens et services licites à fort potentiel addictif représentent un volume d’affaires de l’ordre de 3% du PIB (plus de 30 milliards de DH). Ils pèsent près de 9% dans les recettes fiscales. Rien que le volume d’affaires des tabacs, estimé à 17 milliards de DH en 2021, représente 5 fois le budget d’investissement du ministère de la Santé (3,35 milliards de DH projetés pour 2021). Il est ainsi préconisé qu’une part substantielle et pérenne de ces revenus soit affectée à la prévention et aux soins contre les troubles addictifs. Quelque 6 millions de personnes fument au Maroc, parmi lesquels 5,4 millions d’adultes et un demi-million de mineurs. Chaque année, 15 milliards de cigarettes sont consommées avec des teneurs en nicotine et en substances toxiques supérieures aux produits autorisés en Europe, tandis que plus du tiers de la population est exposé au tabagisme. Selon les dernières enquêtes en la matière menées par le ministère de la Santé (enquêtes MedSPAD Maroc 2017 et GSHS 2016), l’usage des substances psychoactives auprès des adolescents scolarisés n’en est pas moins alarmant.
Jeux d’argent : 40% des joueurs sont à risques excessifs
Concernant les jeux, les opérateurs estiment que 2,8 à 3,3 millions de personnes au Maroc pratiquent le jeu d’argent, dont 40% sont considérés comme des joueurs à risques excessifs. Par ailleurs, l’usage pathologique des écrans, jeux vidéo et internet commencent à se développer dans notre pays. Il s’agit là d’une problématique actuellement ignorée au niveau de notre santé publique. Toutefois, une étude épidémiologique effectuée par un cabinet privé en 2020 sur un échantillon de 800 adolescents, âgés de 13 à 19 ans, à Casablanca, révèle que 40% ont un usage problématique à internet et environ 8% sont en situation d’addiction ! Cependant, malgré l’existence d’une stratégie nationale et les avancées réalisées par le pays, la réponse collective demeure limitée, et les politiques publiques insuffisantes, dominées par une approche répressive, fondée sur un cadre légal désuet et non protecteur. «La lutte contre les addictions se confond encore trop avec la lutte (nécessaire mais non suffisante) contre les drogues. Les addictions aux comportements sans substance (jeux d’argent, jeux vidéo, cyberdépendance, achats compulsifs…) demeurent hors du champ des politiques de prévention et de prise en charge», relève l’étude.
18 structures d’addictologie et 3 CHU comptant un service résidentiel et 64 médecins spécialisés
En termes de structures d’addictologie, le Maroc en possède à peine 18, avec 15 centres ambulatoires dont 5 en capacité d’assurer un traitement de substitution aux opiacés (TSO) et 3 services résidentiels dans les centres hospitaliers universitaires (CHU) de Rabat, Casablanca et Fès. Pis encore, le pays ne compte que 64 médecins généralistes ou psychiatres formés en addictologie. «L’absence de reconnaissance du diplôme d’addictologie ainsi que l’absence de reconnaissance et de régulation du statut de psychologue constituent des facteurs de démotivation de nature à renforcer cette pénurie», déplore le conseil. En ce sens, le conseil présidé par Chami préconise 5 principales recommandations. D’abord, la reconnaissance des addictions avec ou sans substance comme des maladies éligibles à des soins remboursables, la révision du cadre légal en vue de la protection et du soin des personnes et le renforcement des sanctions contre les trafiquants. Il est également préconisé le transfert d’une partie pérenne (10%) des recettes de l’État tirées des biens et services addictifs vers le soin, la recherche et la prévention. Le CESE suggère aussi le lancement d’un plan national de prévention et de lutte contre les addictions dans les milieux professionnel, de formation et dans la société au sens large. Enfin, il est recommandé de mettre en place une autorité nationale indépendante de régulation technique et déontologique des jeux.
Tilila El Ghouari / Les Inspirations ÉCO