Nouveau modèle de développement: ce qu’il faut savoir
La mise en œuvre du Nouveau modèle de développement est le plus grand défi à relever par l’ensemble des parties prenantes qui sont appelées à s’approprier les nouvelles orientations. L’enjeu est d’opérer une véritable rupture avec les pratiques précédentes et de favoriser la convergence des politiques publiques, comme le laisse entendre le président de la Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD), Chakib Benmoussa. Une grande responsabilité incombe, à cet égard, à l’acteur politique qui devra donner forme aux nouvelles recommandations.
La volonté du changement est exprimée au plus haut sommet de l’État. L’enjeu est d’opérer une véritable rupture non plus seulement avec l’ancien modèle de développement qui a montré ses limites, mais surtout avec les mauvaises pratiques qui minent, jusque-là, l’essor du pays. C’est dans ce cadre que s’inscrit le Nouveau modèle de développement que vient de présenter Chakib Benmoussa, président de la Commission spécial sur le modèle de développement (CSMD) au souverain.
La nouvelle feuille route, dont plusieurs discours royaux ont tracé les contours, tend à mettre fin à de multiples dysfonctionnements et à « propulser le Maroc, dans différents domaines d’ici 2035, dans le tiers supérieur des différents classements mondiaux des nations ». Les défis sont énumérés, mais aussi les enjeux, les priorités ainsi que la manière d’atteindre le changement tant escompté.
Les messages de Chakib Benmoussa lors de la conférence organisée hier à Rabat, sur le Nouveau modèle de développement sont d’ailleurs on ne peut plus clairs et le diagnostic établi est sans complaisance. Pour dépasser les différents freins, il est recommandé de favoriser la convergence tant attendue des politiques publiques qui fait défaut aux réformes lancées par le Maroc, ce qui ralentit leur implémentation et limite, ainsi, leur impact sur le citoyen et le développement. Dorénavant la voie est tracée.
Il reste à élaborer des projets concrets qui devront être portés par les institutions, chacun dans son domaine de compétence. Cette fois-ci, l’enjeu est de mettre fin au travail en silo, qui ne favorise pas la mutualisation des forces et ne prend pas en considération l’ensemble des besoins exprimés par les citoyens. Une nouvelle approche basée sur le travail collectif devra être mise en place.
Il faut dire, comme le souligne le nouveau modèle de développement, que le progrès souhaité ne pourrait être atteint sans une forte mobilisation aussi bien de la part des acteurs institutionnels que des citoyens. L’appropriation collective de la nouvelle vision s’avère on ne peut plus indispensable pour réussir le défi de la mise en œuvre du Nouveau modèle du développement, selon Benmoussa.
Aussi, le souverain a-t-il recommandé de mener une vaste opération de restitution et d’explication des conclusions et recommandations du rapport auprès des citoyens et des différents acteurs aux quatre coins du pays. L’objectif étant de bien assimiler les nouvelles orientations et aussi de relever le défi de la restauration de la confiance dans les institutions. C’est, en effet, l’un des préalables indispensables pour gagner le pari du développement. Précisons à ce titre que les concertations menées par la commission de Chakib Benmoussa ont permis de relever l’existence d’une véritable crise de confiance à l’égard de certaines institutions.
Il est, ainsi, recommandé de porter un intérêt particulier aux différentes préoccupations qui alimentent, selon Chakib Benmoussa, « la démotivation, la perte de foi en l’action publique et le sentiment de frustration nourri par le décalage entre les promesses et leur concrétisation sur le terrain ». Il est grand temps de consolider la confiance « Etat-citoyen » en vue d’aller de l’avant et faciliter la marche du développement. Pour ce faire, une grande responsabilité incombe non seulement aux institutions, mais aussi aux acteurs politiques qui accèdent à la gestion de la chose publique.
D’ailleurs, ce n’est pas par hasard que les chefs de file des partis politiques représentés au parlement ont été invités à la cérémonie de présentation du Nouveau modèle de développement. À la veille des élections, les formations partisanes sont tenues de prendre en considération les nouvelles orientations dans les programmes qu’ils vont présenter aux citoyens. Les engagements pris devront être réalisés sur le terrain par les formations qui seront aux commandes tant au niveau central que local et régional en vue de faire renaitre la confiance, de l’avis de plusieurs politiciens (voir page 5).
À ce titre, Chakib Benmoussa, tient à préciser que le Nouveau modèle de développement ne se substitue pas au travail qui devra être fait par les institutions, à commencer par le gouvernement. Celui-ci devra préparer son programme gouvernemental sur la base des nouvelles orientations avec des mesures et des projets concrets. Le prochain exécutif devra surtout ériger l’harmonie de son équipe en priorité. L’actuel gouvernement, quant à lui, ainsi que les différents acteurs et institutions constitutionnelles sont appelés par le souverain, dès à présent, « à participer et contribuer activement à la mise en œuvre des recommandations pertinentes de ce rapport, afin de servir la nouvelle ambition et le nouveau cap de développement».
D’aucuns soulignent que la gestion du temps est un élément clé en matière d’implémentation de la vision prospective du Nouveau modèle de développement. Le rapport insiste sur le caractère urgent de la conduite du changement. Il s’avère, en effet, urgent «d’agir pour accélérer la transition vers un nouveau modèle de développement», d’après Benmoussa. Les décideurs sont appelés à travailler dans un esprit de continuité afin que les réformes aient la portée espérée.
La transformation souhaitée ne devra pas enclencher seulement une plus grande création de valeur, mais aussi un partage équitable entre tous les citoyens, un élargissement des acteurs concernés par la production et des rapports équilibrés entre Etat et société, «consacrant la centralité des citoyens, dans leurs droits et leurs devoirs». L’ambition est de faire beaucoup mieux que les années précédentes. Certes, il faut «capitaliser sur les acquis» qui sont nombreux, mais il n’en demeure pas moins qu’ils sont insuffisants pour enclencher le changement souhaité. Le Nouveau modèle de développement montre la voie aux décideurs pour mettre en forme le changement.
Le Maroc a-t-il pour autant les moyens de ses aspirations ? L’optimisme est, en tout cas, au rendez-vous. La mise en œuvre des objectifs nouvellement tracés «sont à notre portée, tant le potentiel de la Nation est important, et encore largement inexploité», note-t-on dans le rapport. Le manque à gagner est grand. Les nouvelles orientations sont à même de permettre au Maroc de se surpasser, à condition que toutes les parties soient impliquées.
A cet égard, il faut œuvrer à concrétiser simultanément cinq objectifs de développement « interdépendants et complémentaires » : la prospérité, la capacitation (empowerment), l’inclusion, la durabilité, et le leadership régional dans des domaines ciblés, à travers des paris d’avenir audacieux. L’humain est au cœur de la nouvelle vision prospective. Plusieurs mesures devront être prises pour favoriser le développement humain. L’ambition d’offrir un niveau et une qualité de vie élevés à tous les citoyens est tributaire du rehaussement significatif de la capacité du pays à créer de la valeur et des emplois de qualité pour tous, et à répartir équitablement les fruits de la croissance. S’ajoute à cela, la nécessité de miser sur les compétences et de permettre à tous les citoyens « de prendre en main leur projet de vie et de contribuer à la création de valeur ».
L’inclusion est également un volet très important pour pouvoir offrir des opportunités et la protection à tous et consolider le lien social. La dimension territoriale n’est pas en reste. Elle devra être liée au développement et aussi à la durabilité en prenant en considération les spécificités de chaque territoire. Il faut, par ailleurs, oser.
À ce titre, cinq paris sont identifiés pour un avenir prospère : devenir une nation numérique, où le potentiel transformationnel des technologies numériques est pleinement mobilisé, s’ériger en hub régional de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, devenir le champion régional de l’énergie à bas carbone, acquérir le statut de Pôle financier régional de référence et faire du Made in Morocco un marqueur de qualité, de compétitivité et de durabilité, accélérant l’intégration dans les chaînes de valeur mondiales et régionales.
Ces domaines d’avenir portent en eux, selon le Nouveau modèle de développement, une convergence d’intérêts entre le Maroc et ses principaux partenaires extérieurs et peuvent ainsi contribuer à renforcer la coopération et les partenariats, et à appuyer de manière transverse de multiples défis sous-jacents au NMD.
Quid du financement ?
Sans ressources financières suffisantes, la concrétisation des dispositions du Nouveau modèle de développement se heurtera à de grands obstacles, surtout après les répercussions de la crise sanitaire qui ont pesé lourdement sur le budget de l’État.
Chakib Benmoussa souligne l’importance de mettre en place des financements innovants pour compenser la faiblesse des ressources financières nationales. Quelques pistes sont proposées par la Commission en charge du Nouveau modèle de développement qui a pris en considération la conjoncture de la pandémie. La crise montre, d’après le rapport, à quel point la réussite de cette vision requiert comme préalable une stratégie adéquate de financement.
La Commission considère que les réformes transformationnelles du Nouveau modèle de développement généreront de la croissance et un retour sur investissement conséquent et permettront d’assurer à terme la soutenabilité financière du modèle, « en particulier si elles sont dûment séquencées, en priorisant celles à impact fort et rapide, permettant d’auto-générer des ressources pour le financement des chantiers de long terme et exigeant un budget élevé récurrent».
Néanmoins, il faut mobiliser «des ressources financières additionnelles conséquentes » lors de la phase du démarrage, selon Benmoussa.
Quelques propositions sont formulées pour le financement des réformes à caractère structurant, notamment celles portant sur le capital humain et le développement social, comme les ressources d’emprunt auprès des marchés des capitaux, des partenaires et des bailleurs de fonds internationaux. Mais encore faut-il que « le chemin du développement proposé soit crédible et que les ressources mobilisées soient destinées spécifiquement à des projets transformationnels ayant pour vocation d’impulser la croissance économique et de conforter la stabilité sociale ».
S’agissant des projets de développement économique et d’infrastructures, des ressources additionnelles sont à mobiliser auprès d’investisseurs nationaux et internationaux, institutionnels et privés en quête de placement dans des secteurs d’avenir à forte rentabilité. La mobilisation de ces fonds, qui optimiserait l’allocation des ressources budgétaires, nécessité, selon le Nouveau modèle de développement, la création d’espace pour l’investissement en partenariat public-privé et l’investissement direct étranger.
Deux mécanismes nécessaires
La mise en œuvre du Nouveau modèle de développement nécessite « un pilotage en mesure de créer les conditions d’appropriation par toutes les parties prenantes et d’assurer un suivi des réalisations ». Ainsi, la Commission propose deux mécanismes essentiels, dont l’adoption d’un Pacte national pour le développement qui « scellerait l’engagement des forces vives du pays autour d’un cap et d’un référentiel partagés par tous ».
Ce pacte devra arrêter collectivement une nouvelle ambition pour le pays et un référentiel commun qui guide et oriente l’action des acteurs du développement dans leur pluralité, d’après le président de la commission. Il serait le cadre global de cohérence et de synergie entre l’ensemble des acteurs et le cadre de définition des priorités stratégiques qui encadrent l’allocation des ressources. Il se focaliserait sur les choix fondamentaux de développement, socle commun à l’ensemble de la Nation pour laisser place à la pluralité des choix partisans de déploiement des politiques publiques.
Le second mécanisme, sous l’autorité du souverain, sera dédié au suivi du nouveau modèle de développement, à l’impulsion des chantiers stratégiques et à l’appui à la conduite du changement. « En veillant à la cohérence globale et à l’alignement stratégique vers le cap retenu, en impulsant et appuyant les réformes transformationnelles, ce mécanisme mettrait en responsabilité les acteurs concernés et renforcerait la performance globale ».
Les axes stratégiques de transformation
Le Nouveau modèle de développement s’appuie sur quatre axes stratégiques : une économie productive, diversifiée, créatrice de valeur ajoutée et d’emplois de qualité, un capital humain renforcé et mieux préparé pour l’avenir, des opportunités d’inclusion pour tous et un lien social consolidé ainsi que des territoires résilients, lieux d’ancrage du développement. Les nouvelles orientations fixent ausi des choix stratégiques importants qui devront enclencher la transformation du modèle de développement, à commencer par le chantier du numérique. L’appareil administratif devra aussi subir de grandes transformations et miser sur les compétences et le changement des mentalités en vue de mieux servir les citoyens et favoriser la transparence. La contribution des Marocains du monde est aussi prise en considération.
Au niveau du développement des ressources humaines, on insiste en particulier sur le secteur de l’enseignement qui devra être un choix stratégique en mettant en place une éducation de qualité pour tous. L’ambition est « d’initier une véritable renaissance éducative marocaine », d’après Benmoussa. Le secteur de la santé devra aussi être érigé en priorité pour mettre fin aux multiples dysfonctionnements dont il est miné et accompagner le grand chantier de la généralisation de la protection sociale.
Jihane Gattioui / Les Inspirations Éco