Les Cahiers des ÉCO

Monnaie unique de la CEDEAO : Est-ce une bonne affaire pour le Maroc ?

« Le Maroc n’a pas intérêt à adhérer à la monnaie unique de la CEDEAO »

Dr. Khadim Bamba DIAGNE, Directeur Scientifique du Laboratoire de Recherches Economiques et Monétaires à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.

Alors que la naissance de la future monnaie unique de la CEDEAO semble encore improbable, le Maroc n’aurait aucun intérêt à y adhérer, au risque de perdre la main sur sa politique monétaire. C’est l’avis du Dr. Khadim Bamba DIAGNE, Directeur Scientifique du Laboratoire de Recherches Economiques et Monétaires à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Interview.

Les ECO : Depuis plus d’une décennie, la CEDEAO essaie de créer sa monnaie unique en vain. Est-ce un projet utopique ?

Dr. Khadim Bamba DIAGNE : Il est très difficile de parler de projet utopique. Le fonds du problème est que le Franc CFA, qui est la monnaie commune à 8 pays membres de l’Union économique et monétaire ouest-africain (UEMOA), est une monnaie qui fait son job à savoir maitriser l’inflation et faciliter la croissance économique. Si aujourd’hui on parle de monnaie unique de la CEDEAO, cela reviendrait tout bonnement à parler d’une monnaie du Nigéria. Car ce pays est la première économie de la CEDEAO et représente 78% de son PIB. Si la CEDEAO parvient à une unité monétaire, elle sera sous domination nigériane. Sauf que l’économie nigériane est aussi volatile que les cours du pétrole dont elle dépend à 73%. L’autre souci est que le Nigéria ne parvient pas à maitriser son inflation qui a été de 16% en 2016, contrairement à des économies utilisant le CFA comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire qui ont des taux très faibles (1%). Entrainer la CEDEAO dans une monnaie unique revient donc à exposer l’ensemble de ses pays aux incertitudes de l’économie nigériane. Et je ne crois pas que des pays comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal vont l’accepter.

Malgré les critères de convergence mis en place, certains Etats trainent encore. Qui sont ces canards boiteux ?

Il n’y a pas de canards boiteux. La vérité est que certains pays de l’UEMOA ne voient pas l’intérêt d’abandonner leurs fondamentaux économiques au profit d’une monnaie qui ne leur offre pas suffisamment d’assurance. Le président ivoirien, Alassane Ouattara a été gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Il connait très bien les avantages et les inconvénients d’entrer dans cette monnaie unique. Et je ne pense pas qu’il accepte de se lancer dans cette aventure sans visibilité.  

Le Maroc, qui s’apprête à rejoindre la CEDEAO, se dit favorable à adopter sa future monnaie unique. Est-ce une bonne idée pour le royaume ?

Je pense que le Maroc peut rejoindre l’espace monétaire du Franc CFA, mais pas la monnaie unique de la CEDEAO. Le Maroc ne peut pas se permettre d’adhérer à la monnaie unique de la CEDEAO, car il n’en a aucun intérêt. Le royaume ne peut pas prendre les risques d’exposer son économie si diversifiée à celle du Nigéria qui est très rentière et volatile. Je crois que le Maroc recherche moins à adopter la monnaie de la CEDEAO que des marchés d’exportations pour ses secteurs productifs.

Concrètement quelles en seront les conséquences pour le Maroc ?

Je le répète, je ne voix aucun intérêt pour le Maroc d’adhérer à cette monnaie unique. Le contraire reviendrait pour lui à perdre une bonne partie de sa politique économique. Celle-ci est constituée de la politique monétaire et budgétaire. Une fois que le Maroc entre dans cette monnaie unique, il perdra la main sur sa politique monétaire. Quand un pays dispose d’une industrie productive, il doit maitriser l’inflation. Dans le cas d’une monnaie communautaire, il perd ce levier de régulation. Sauf que dans l’espace CEDEAO c’est le Nigéria qui en sera le grand bénéficiaire puisque c’en est la première économie.

Plus globalement, l’arrivée du Maroc au sein de la CEDEAO est-ce une bonne chose selon vous ?

Tout dépend de ce que le Maroc et les pays de la CEDAO entendent donner et recevoir en même temps. La CEDEAO permettra au Maroc de faire partie d’un marché communautaire de 320 millions de consommateurs et dans lequel les échanges intercommunautaires sont de 17% entre les pays membres. Les produits marocains pourront circuler librement dans l’ensemble des pays membres. Ce sont donc des opportunités pour les entreprises marocaines. Et franchement, je pense que c’est une bonne chose également pour les pays de la CEDEAO qui pourront avoir accès à certains produits sans se déplacer hors du continent. Mais en retour, il faut que le marché communautaire profite également du Maroc. J’espère qu’il y aura un effet d’entrainement au bénéficie du secteur industriel des pays ouest-africains.


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