Edito. Influence fiscale

Ce n’est ni par l’armée ni par la diplomatie classique que le Maroc tisse aujourd’hui une partie des liens les plus décisifs avec ses partenaires africains. C’est par l’impôt. Par la technique qui conditionne les marges de manœuvre des États.
Derrière les chiffres et les audits, c’est une forme de puissance que le Maroc est en train de bâtir. Une puissance discrète mais structurante, qui s’inscrit dans la durée. En accompagnant les administrations fiscales africaines dans la traque à l’évasion, le Maroc ne se contente pas de rendre service. Il prend pied dans l’appareil d’État de pays stratégiques. Il forme les cadres. Il transfère des méthodes. Il codifie des doctrines.
Ce que ses inspecteurs installent, ce ne sont pas seulement des outils de contrôle, ce sont aussi des façons de penser l’économie, de structurer les flux d’investissement, de défendre les intérêts publics dans un monde globalisé.
Là où certains exportent du soft power par la langue ou la culture, le Royaume installe de l’influence par la fiscalité. Et cela change tout. Parce que ce levier est rarement identifié comme tel. Il est silencieux, non conflictuel, mais extrêmement efficace.
En sept ans de participation au programme «Inspecteurs sans frontières», les cadres marocains ont collaboré à des redressements fiscaux majeurs. Rien qu’en 2024, près de deux milliards de dollars de recettes supplémentaires ont été enregistrés dans des pays partenaires. Une manne qui renforce leur autonomie sans passer par l’aide internationale.
Dans le même temps, le Maroc consolide son propre socle. En repérant les failles de ses conventions fiscales, en traquant les flux douteux, en dénonçant des traités léonins comme celui jadis signé avec la Suède, le pays a mis à jour un corpus de règles cohérentes, désormais alignées sur les standards internationaux du BEPS.
Ce capital réglementaire devient exportable. Et dans un monde où la compétence fiscale se fait rare, il vaut de l’or. Ce jeu d’alliances techniques n’est pas neutre. Il positionne le Maroc comme un centre de ressources pour des États africains en quête de maîtrise budgétaire. Cela lui donne une légitimité nouvelle, hors du champ traditionnel de l’aide ou de l’investissement direct. Il devient partenaire sur un enjeu clé que peu de pays africains maîtrisent encore pleinement. Il y a là un basculement.
L’influence ne passe plus seulement par la possession ou l’argent. Elle passe par la capacité à structurer le cadre dans lequel les autres évoluent. Le Maroc n’impose rien. Il propose des outils, des formations, des modèles. Et en retour, il s’inscrit au cœur de décisions souveraines, celles qui déterminent qui paie.
Moulay Ahmed Belghiti / Les Inspirations ÉCO