Maroc

DR. Jamal Diwany : “Le déploiement au Maroc de l’électromobilité-bus soulève plusieurs enjeux”

DR. Jamal Diwany
Président du Groupement des collectivités territoriales Grand Agadir pour le transport et la mobilité urbaine

Dans cet entretien, Jamal Diwany, président du Groupement des Collectivités territoriales Grand Agadir pour le transport et la mobilité urbaine, revient sur l’importance stratégique de l’électromobilité dans le transport public urbain. Il aborde les conditions nécessaires à l’ancrage durable de l’électromobilité au Maroc en affirmant que le Royaume possède des atouts majeurs pour développer son propre modèle. Il a noté aussi que l’option des bus électriques n’est pas encore prise en considération par le nouveau plan de modernisation du transport par bus (2025-2029).

Quel regard portez-vous sur la question de l’électromobilité en comparaison avec le contexte marocain ?
Face à la forte pression exercée par l’urbanisation, la motorisation et la démographie et suite aux deux défis majeurs contemporains, à savoir l’énergie et l’écologie, le système de transport public urbain est un secteur «carrefour» ou s’entrecoupe – dans le désordre – l’économique, le social, le sécuritaire et la santé publique.

Pierre angulaire de l’infrastructure de la ville intelligente, l’électromobilité devient, de facto, un fort enjeu stratégique, notamment pour le Maroc et Agadir, en particulier, qui s’est engagée dans un vaste chantier de déplacements et de mobilité.

En effet, le progrès technologique viendra à la rescousse pour faciliter cette transition apparemment inéluctable vers un modèle qui pivote autour de la «convergence» des politiques sectorielles et la «contingence» des solutions à adopter.

Au-delà des exigences normatives pour figurer parmi les bons élèves de la classe du zéro carbone, avec une batterie d’indicateurs dont le voyant vert s’impose, le caractère transversal de la mobilité convoque la convergence des politiques sectorielles et questionne leur efficacité. Il est tout aussi évident que plusieurs facteurs de contingence dessinent les chemins «paths» vers un nouveau modèle de mobilité durable.

La multiplicité des acteurs, donc des objectifs, l’état d’avancement des chaînes de valeur locales, le pouvoir d’influence des territoires, le phénomène de digitalisation viendront mettre au défi la formation de cette nouvelle matrice de changement.

Dans le contexte socio-économique et politique marocain d’aujourd’hui, comment évolue l’électromobilité dans le transport en commun à l’international ?
Le transport est à l’origine de près d’un quart des émissions mondiales de CO2 liées à l’énergie, et environ 1 billion de dollars de dommages à la santé par an. L’adoption de l’électromobilité ne paraît plus comme un «luxe» mais comme un impératif, surtout dans le transport public urbain.

Par le biais du Fonds mondial pour la décarbonation des transports (GFDT), la Banque mondiale a adopté depuis 2016 un vaste programme d’aide à 32 pays pour développer des activités favorisant la transition vers la mobilité électrique (infrastructures essentielles, flottes de véhicules électriques en particulier des bus électriques, connectivité numérique, technologie d’automatisation avancée…). Elle a engagé près de 2,3 milliards de dollars dans des projets de transport qui incluent des éléments de mobilité électrique dont une partie a été allouée au soutien dans les pays en voie de développement.

Sur un premier plan, l’inde, le Chili, le Brésil ou encore le Sénégal sont souvent cités comme des exemples d’amorçage de systèmes de transport public urbain basés sur l’énergie verte avec des économies de charges grâce à des économies d’échelle, même si l’on tient compte des coûts initiaux élevés prétendant que les véhicules électriques sont moins coûteux à utiliser et à entretenir.

Sur un second plan, des villes comme Los Angeles en Californie (3,9 millions d’habitants) s’engagent à convertir l’intégralité de ses bus (au nombre de 2300) à l’électrique d’ici 2030 ! Si le rythme de transition vers des systèmes de transport public électrique dans les grandes villes du monde diffère d’un pays à l’autre, il n’en demeure pas moins que nous sommes en présence d’une démarche volontariste apparemment irréversible. Si l’usage de l’hydrogène vert n’a pas connu de réel succès, le marché mondial des transports en commun électriques, quant à lui, est en pleine croissance.

Quels sont les conditions d’ancrage d’un système durable d’électromobilité dans le transport public au Maroc ?
L’électrique est le propre du métro et du tramway. Le marché des bus est segmenté en motorisations électriques hybrides, hybrides rechargeables et en batterie. La batterie, cheval de bataille, domine ce marché qui présente la meilleure combinaison possible : des bus silencieux, efficaces et respectueux de l’environnement.

Fin 2024, la Commission européenne et la BEI projettent d’investir 4,6 milliards d’euros pour soutenir les batteries de véhicules électriques en Europe pour renforcer la chaîne de valeur des batteries, concurrence asiatique croissante oblige. Certains experts constatent, toutefois, que les coûts initiaux des bus électriques par rapport au diesel, qui passent pratiquement presque du simple au double, demeure problématique.

La progression spectaculaire de l’autonomie des batteries et de leur performance ne se sont pas traduits en termes de coût de fabrication, qui reste tributaire de la forte demande sur les matières premières, notamment le lithium, le nickel, le cobalt, le phosphate, le manganèse… Aussi, les chaînes d’approvisionnement des pièces de rechange, la sensibilité des batteries actuelles aux conditions climatiques et les solutions de recyclage de ces batteries pour réduire l’empreinte carbone sont aussi des enjeux majeurs pour garantir le bon fonctionnement de ce dispositif.

De ce fait, opter pour un bus électrique devient un défi de taille : facture énergétique (qui peut être aussi d’origine solaire), infrastructure, notamment, pour les charges lentes au dépôt pendant leur inactivité, charges rapides en ligne via les pantographes ou encore charges d’opportunité lors de courtes pauses pendant le trajet… Visiblement, il y a encore du chemin à parcourir.

Dans ce sens, est-ce que le Maroc est en mesure de développer son propre modèle ?
Depuis deux décennies, le Maroc s’est imposé progressivement comme étant le leader africain en matière de développement durable de l’industrie du véhicule électrique. Les richesses de son sol en matières premières pour la production des batteries pour véhicules électriques, sa stratégie énergétique verte ambitieuse, sa forte intégration dans les chaînes de valeur mondiales, sa proximité avec le marché européen, ses partenariats stratégiques en faveur de l’implémentation des écosystèmes par filière avec des technologies innovantes sont autant d’atouts qui plaident en faveur d’un développement futur incontestablement important en matière d’électromobilité.

L’ouverture de la première unité de production de matériaux pour batteries lithium-ion à Jorf Lasfar signe le déclenchement de l’écosystème industriel stratégique pouvant équiper annuellement jusqu’à 1 million de véhicules électriques. Il ne s’agit pas uniquement, pour le cas du Maroc, d’adopter l’électromobilité comme une réponse à ses engagements fermes en matière de protection de l’environnement et d’efficacité énergétique, mais surtout d’en créer les conditions favorables à sa durabilité.

Quelle place occupe l’électrique dans le nouveau business model du transport public par bus au Maroc ?
Un plan de modernisation du secteur de transport par bus 2025-2029 de grande envergure est lancé par l’Etat à travers le FART (Fonds d’accompagnement des réformes du transport routier urbain et interurbain), supporté et mis en œuvre par les acteurs locaux (Groupement de Collectivités territoriales dédiés au transport, Conseil régional, Société de développement local…).

Avec un budget qui dépasse 1,2 milliard de dollars, les pouvoirs publics projettent des investissements en équipements de dernière génération : (bus intelligents), technologies avancées (systèmes d’aide à l’exploitation et d’information des voyageurs – SAEIV, billettique…), infrastructures modernes (centres de maintenance, arrêts et abris bus, poste de commandement central..).

Probablement pour des impératifs de gestion optimisée compte tenu des besoins importants et pressants et des limites budgétaires, l’option bus électrique n’a curieusement par retenu l’attention des décideurs, du moins durant cette phase d’implémentation. On peut facilement comprendre que le déploiement de l’électromobilité-bus interpelle plusieurs acteurs et suscite plusieurs enjeux.

Les décideurs empruntent souvent – sinon toujours – le chemin de la prudence quant à un arbitrage entre la promotion de l’innovation et le maintien de la stabilité. Vouloir remplacer tous azimuts les bus à énergie thermique par ceux à énergie électrique est un pari audacieux. Il est établi aujourd’hui que tous les choix d’investissement dans des secteurs qui connaissent des innovations rapides en matière de technologie (en moyenne 2 ans pour les batteries bus) se trouvent confrontés au risque systémique, du fait de la cohabitation forcée de deux systèmes concurrentiels.

Tant que le point d’inflexion n’est pas encore atteint, qui n’est autre que le triomphe d’un modèle sur l’autre en termes de rentabilité globale et d’efficience à terme, l’évolution de l’électromobilité-bus dépendra des acteurs susceptibles d’agir – directement ou indirectement – sur les variables d’état du système actuel. Suspendre toutes réflexions – les «technosolutionnistes» ont parfois raison – et adopter la posture de spectateur en attendant ce point d’inflexion équivaut à passer à côté d’un avantage concurrentiel de taille et tourner le dos à l’avenir des nouveaux modes de transport public.

Où en est le décret relatif à la procédure d’élaboration du plan de transport ?
En attendant l’adoption du décret relatif à la procédure d’élaboration du plan de transport qui reste un mécanisme important de planification stratégique, les conseils régionaux sont censés enclencher les réflexions nécessaires sur leurs systèmes de mobilité en fonction de leurs caractéristiques propres.

Les autorités locales chargées du transport public sont appelées à jouer un rôle déterminant dans l’implémentation de l’électromobilité-bus et garantir les conditions de sa mise en œuvre et son bon fonctionnement. En profitant de l’implantation récente de centres de maintenance et de remisage et d’infrastructures urbaines, de nouvelles expériences au niveau de l’usage des bus électriques, même pour quelques lignes en guise d’expérimentation, semblent être un pas décisif vers la généralisation du bus électrique.

Enfin, une approche intégrée s’impose, impliquant les divers départements ministériels en jeu, les collectivités territoriales, les entreprises privées et la société civile afin de créer un environnement favorable à la promotion de l’électromobilité-bus au Maroc.

Yassine Saber / Les Inspirations ÉCO



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