Maroc

Niveau de vie des ménages : les inégalités persistent, la vulnérabilité urbaine s’intensifie

Selon l’enquête nationale menée par le HCP sur le niveau de vie des ménages entre mars 2022 et mars 2023, le creusement des inégalités du niveau de vie des Marocains se confirme, atteignant 40,5% en 2022. Quant à la vulnérabilité urbaine, elle est en hausse avec une tendance au changement dans la manifestation de la pauvreté. Près de la moitié des personnes vulnérables sont des citadins (47,2%), les classes moyennes n’ayant véritablement bénéficié ni des fruits de la croissance ni des politiques de redistribution.

Un creusement par le haut. L’indice de Gini – qui mesure les inégalités du niveau de vie – a atteint 40,5% en 2022 au Maroc après avoir enregistré une diminution à 38,5% en 2019.

Cette hausse s’explique essentiellement par la combinaison de trois facteurs : une crise post pandémique qui a entrainé une inflation élevée, surtout alimentaire, et un chômage en forte hausse avec un ressenti des ménages qui demeure concernant les perspectives d’évolution de leur niveau de vie, surtout en termes de consommation et d’épargne.

Cette enquête nationale a été menée par le HCP entre mars 2022 et mars 2023 auprès d’un échantillon de 18.000 ménages, représentatif de l’ensemble des catégories socioéconomiques et de toutes les régions du Royaume.

À la lecture de ces résultats, on constate qu’en 2022, l’indice de Gini est revenu à son niveau de de 2007 (40,5%). Selon cette enquête qui fournit une vision actualisée des dynamiques socio-économiques de la société marocaine, il ressort que, structurellement, le niveau de vie des ménages s’améliore, sans que cette dynamique ne s’accompagne d’une réduction des inégalités.

Pour rappel, cette enquête de structure fait suite à celle de 2014 et à une enquête partielle menée en 2019.

Politique de redistribution : les classes moyennes délaissées
Selon le HCP, les politiques de filets sociaux ont un impact tangible sur la réduction de la pauvreté, mais la vulnérabilité des couches sociales, non ciblées par ces politiques, augmente. Ainsi, la part des ménages avec un risque de déclassement vers la pauvreté s’élargit, et, pour la première fois, elle concerne autant les milieux urbains que ruraux.

Selon l’enquête en question, l’élargissement du risque de déclassement signifie qu’un nombre croissant de ménages, qui n’étaient pas considérés comme pauvres auparavant, sont désormais menacés de basculer sous le seuil de pauvreté.

Ces ménages se trouvent dans une situation de vulnérabilité accrue, surtout en milieu urbain, alors que la pauvreté et le risque de déclassement étaient plus fortement associés aux zones rurales. Le fait que ce risque touche désormais autant les milieux urbains est une évolution significative, selon l’enquête, qui suggère que les facteurs de vulnérabilité se propagent ou se manifestent différemment en milieu urbain.

Dans ce sens, les couches les plus pauvres et les plus riches ont certes vu globalement leur niveau de vie progresser alors que les classes moyennes, qui sont souvent considérées comme le noyau stable de la société, n’ont pu bénéficier ni des fruits de la croissance ni des politiques de redistribution.

La vulnérabilité devient de plus en plus prégnante en milieu urbain
L’un des points saillants de cette enquête est également la question de la vulnérabilité à la pauvreté. Elle renseigne sur le risque de basculer dans la pauvreté en l’absence de filets de sécurité protégeant contre les chocs économiques et sociaux. Dans ce sens, la vulnérabilité a connu une légère hausse, de 12,5% à 12,9% entre 2014 et 2022, après avoir baissé à 7,3% en 2019.

Dans les zones rurales, la prévalence de la vulnérabilité en 2022 (19,2%) demeure similaire à celle observée en 2014 (19,4%), tandis qu’en milieu urbain, elle a augmenté à 9,5% en 2022 par rapport à 7,9% en 2014. C’est cette augmentation qui tire la moyenne nationale vers le haut et qui souligne un changement important dans la dynamique de la pauvreté.

En chiffres, le nombre de personnes économiquement vulnérables est de 4,75 millions en 2022, dont 2,24 millions en milieu urbain et 2,51 millions en milieu rural. La vulnérabilité économique se développe en milieu urbain. Au titre de l’année 2022, une tendance nouvelle se dessine : près de la moitié des personnes vulnérables sont des citadins (47,2%), contre 36% en 2014, ce qui confirme, selon le HCP, cette tendance au changement dans la dynamique de la pauvreté.

En milieu urbain, elle a enregistré une hausse, de 2,2% en 2022 contre 1,6% en 2014 alors que le taux de pauvreté absolue a globalement reculé entre 2014 et 2022, passant de 4,8% à 3,9% après avoir atteint 1,7% en 2019. La même tendance est observée en milieu rural, avec une baisse du taux de pauvreté, passant de 9,5% en 2014 à 6,9% en 2022.

Au total, l’effectif de la population pauvre au niveau national est de 1,42 million en 2022, dont 512.000 en milieu urbain et 906.000 dans le rural. En 2022, cinq régions présentent un taux de pauvreté supérieur à la moyenne nationale, qui est de 3,9% : Fès-Meknès (9%), Guelmim-Oued Noun (7,6%), Béni Mellal-Khénifra (6,6%), Darâa-Tafilalet (4,9%) et L’Oriental (4,2%).

Une nouvelle évaluation du niveau de vie des ménages
La pauvreté multidimensionnelle a considérablement diminué, passant de 9,1% en 2014 à 5,7% en 2022, surtout en milieu rural, où le taux est passé de 19,4% à 11,2%, tandis qu’en milieu urbain, il a progressé de 2,2% à 2,6%.

L’analyse des déterminants de la réduction de la pauvreté montre que les politiques sociales en faveur des plus pauvres ont permis à ces couches de la population de mieux bénéficier des fruits de la croissance.

L’accentuation de l’indice de Gini, et l’évolution à la marge du niveau de vie des classes intermédiaires, quant à elles, révèlent la nécessité de politiques publiques redistributives volontaristes à l’adresse de la classe moyenne, en vue de répondre à l’enjeu de réduction des inégalités.

À noter que l’inflexion dans la trajectoire d’amélioration des différents indicateurs, de 2019 à 2022, une période marquée par la pandémie Covid-19, nécessite une nouvelle évaluation du niveau de vie des ménages afin de distinguer ce qui relève du structurel et ce qui relève du conjoncturel. Deux régions affichent des taux de pauvreté multidimensionnelle à deux chiffres : Béni Mellal-Khénifra (11,6%) et Fès-Meknès (10,4%). Ces deux régions concentrent, à elles seules, plus de 40% de la population en situation de pauvreté multidimensionnelle.

Décélération entre 2019 et 2022 après Covid
Par ailleurs, entre 2014 et 2022, la dépense annuelle moyenne par ménage est passée de 76.317 DH à 83.713 DH à l’échelle nationale correspondant à 95.386 DH en milieu urbain et à 56.769 DH en milieu rural. Ramenée à l’échelle individuelle, la dépense annuelle moyenne par personne est passée de 15.876 DH en 2014 à 20.658 DH en 2022. Elle a ainsi progressé, aux prix constants, à un taux annuel moyen de 1,1% entre 2014 et 2022, passant de 3,1% entre 2014 et 2019 à -3,1% entre 2019 et 2022.

Sur ce dernier point, des changements significatifs ont été constatés dans la consommation des ménages avec plus de charges pour l’alimentation et moins de dépenses de loisirs compte tenu du contexte inflationniste qui a marqué cette période.

Concernant les dépenses dans le budget total des ménages, la part des dépenses alimentaires a augmenté de 37% en 2014 à 38,2% en 2022 alors que les dépenses d’habitation et d’énergie sont passées de 23% à 25,4% ; les dépenses d’hygiène de 2,7% à 3,9% et les dépenses de communication de 2,2% à 2,6%.

En revanche, les dépenses de soins de santé ont diminué de 6,1% à 5,9% ; les dépenses de transport ont baissé de 7,1% à 5,8% alors que les dépenses d’équipements ménagers sont passées de 3,2% à 2,3% et les dépenses de loisirs et culture de 1,9% à 0,5%.

Par ailleurs, plus de la moitié des revenus des ménages provient des salaires (35%) et des transferts (21%). De ce fait, les revenus salariaux représentent la principale source de revenu pour les ménages. Cette proportion est de 36,4% en milieu urbain et de 29,5% en milieu rural. Les transferts publics et privés représentent 21,3% du revenu total, avec une proportion de 22,8% en milieu urbain et de 15,1% en milieu rural.

Yassine Saber / Les Inspirations ÉCO



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